Volume 77 no 28 le 22 juillet 2013
Au milieu de manifestations monstres, le haut commandement de l’armée a destitué Morsi le 3 juillet dernier, l’arrêtant lui ainsi que d’autres dirigeants des Frères musulmans et fermant une bonne partie des médias de l’organisation. Les militaires ont suspendu la nouvelle constitution islamiste — imposée par le gouvernement Morsi à la fin de l’année dernière — qui était devenue une pomme de discorde autant chez les travailleurs que chez les factions concurrentes de la classe capitaliste.
Les Frères musulmans, le plus grand parti capitaliste du pays, a organisé de grandes actions pour défendre le gouvernement Morsi. Des affrontements ont eu lieu entre des partisans et des opposants de Morsi au Caire, à Alexandrie et dans d’autres régions du pays. Des habitants du quartier Manial au Caire ont dit à l’agence d’information Al Arabiya qu’ils avaient aperçu des partisans des Frères équipés d’armes automatiques, de machettes et de bâtons.
Lorsque des hélicoptères de l’armée ont survolé la place Tahrir le 30 juin en larguant des drapeaux égyptiens, les manifestants ont applaudi le signal donné par l’armée qu’elle soutiendrait les manifestations contre les tentatives des Frères musulmans de les noyer dans le sang. « Nous n’avons pas les armes qu’ont les Frères, » a expliqué au Militant Karam Youssef, le propriétaire d’une petite librairie dans la banlieue du Caire, par téléphone le 7 juillet dernier. « Nous ne pouvions pas nous seuls les mettre en échec. C’aurait été le chaos. »
« Il y avait des gens de toutes les couches de la société sur la place Tahrir — la classe moyenne, la classe ouvrière, des pauvres et beaucoup de femmes, » a affirmé Youssef. « Des millions de personnes étaient dans la rue à travers le pays, même plus que durant les manifestations contre Moubarak. »
Les manifestations, qui ont été initiées par Tamarod (Rebelle), un groupe de jeunes qui avait amassé 22 millions de signatures exigeant la démission de Morsi, ont été nourries par la détérioration de l’économie égyptienne, les tentatives du gouvernement de contenir les luttes syndicales croissantes, l’opposition à la tentative des Frères musulmans d’imposer leur vision sectaire d’un islam sunnite dans la vie politique et sociale, ainsi que la colère face aux attaques violentes menées par les gros bras des Frères musulmans.
Dans les dernières semaines avant que Morsi ne soit chassé, une pénurie nationale d’essence a causé de longues attentes aux stations d’essence et des pannes d’électricité périodiques ont affecté des millions de personnes, particulièrement dans les quartiers ouvriers.
Les travailleurs profitent de l’espace
Les travailleurs ont pu mettre à profit l’espace ouvert par le renversement de Moubarak et les conflits qui se sont ensuivis entre les factions capitalistes rivales pour commencer à s’organiser afin de défendre leurs intérêts. La lutte de pouvoir au sein de la classe possédante — représentée par l’armée d’un côté et les Frères musulmans de l’autre — n’a fait que s’intensifier pendant que les combats ouvriers, les discussions politiques et les efforts des travailleurs pour s’organiser se sont accrus.
Les actions de protestation, sous forme d’occupations, de grèves et de manifestations, ont explosé, passant de 200 par mois pendant la dernière année de Moubarak à plus de 1 000 par mois récemment. Les espoirs des dirigeants, y compris de certains dans le haut commandement de l’armée, qu’un gouvernement dirigé par les Frères musulmans ait plus de succès qu’eux en mettant un terme à ces luttes, ont été anéantis.
« Les travailleurs font toujours face aux mêmes problèmes, » a déclaré par téléphone Mohamad Ahmad Salem, un porte-parole du Congrès démocratique syndical égyptien, peu avant la destitution de Morsi. « La police rafle toujours des réunions de travailleurs qui tentent d’organiser des syndicats et le nombre de travailleurs en détention a augmenté. »
« Le nombre de travailleurs syndiqués a au moins doublé depuis le renversement de Moubarak, » a affirmé au Militant le 1 juillet depuis le Caire Fatma Ramadan, une porte-parole pour la Fédération égyptienne des syndicats indépendants.
En décembre dernier, Morsi a imposé une nouvelle constitution qui limitait les droits démocratiques, l’organisation en syndicats et la liberté de culte. Celle-ci a été adoptée avec la participation de moins du tiers des électeurs éligibles.
« Nous ne nous sommes pas débarrassés d’un régime militaire pour le remplacer par une théocratie fasciste qui impose un règlement extrémiste au nom de la religion, » a expliqué au quotidien égyptien El Wady, Ali Ahmed, 12 ans, à une manifestation en octobre dernier.
Des factions capitalistes manoeuvrent pour le pouvoir
Après que Morsi a été arrêté et son gouvernement dispersé, le haut commandement militaire a nommé Adly Mansour, chef de la Haute Cour constitutionnelle, comme président par intérim. Au début, le Front de salut national a indiqué que Mohamed ElBaradei, ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique de l’ONU, serait nommé premier ministre. Mais le parti Nour, un groupe islamiste salafiste qui a rompu avec Morsi au milieu des protestations de masse, s’y est opposé.
Le 8 juillet, alors que différentes factions se disputaient encore leur part de pouvoir, plus de 50 partisans des Frères musulmans qui exigeaient le retour de Morsi ont été tués lorsque des soldats et des policiers ont ouvert le feu sur un sit-in devant le siège de la Garde républicaine, où ils croient que Morsi est détenu.
Selon le Financial Times, l’armée a mis sur pied des enquêtes pour corruption concernant des entreprises appartenant aux Frères musulmans, y compris ceux de Khairat al-Shataer, un magnat de l’immobilier et du textile.
L’armée égyptienne est elle-même le plus grand employeur du pays. Elle possède un large éventail d’entreprises, d’immobilier et d’usines.
Le 9 juillet, Mansour a nommé premier ministre l’ancien ministre des finances, Hazem El-Beblawi et comme vice-président des relations étrangères Mohamed ElBaradei. Mansour a publié une « feuille de route » pour la rédaction d’une nouvelle constitution et la tenue d’élections législatives et présidentielles au cours des cinq à six prochains mois.
La Maison Blanche n’est pas parvenu à négocier un accord
Depuis des décennies, Washington a soutenu l’armée et une succession de régimes dictatoriaux en Égypte afin de promouvoir la stabilité capitaliste dans la région. Après la chute de Moubarak, l’administration de Barack Obama a continué à envoyer quelque 1,3 milliards de dollars d’aide par an à l’armée, tout en cherchant à établir des rapports de collaboration avec Mohamed Morsi et les Frères musulmans.
Le président Obama a publié une déclaration depuis le renversement de Morsi, appelant l’armée égyptienne « à agir rapidement et de manière responsable pour rendre les pleins pouvoirs à un gouvernement civil, démocratiquement élu » et à « éviter toute arrestation arbitraire du président Morsi et de ses partisans. » Beaucoup de personnes en Égypte voient Obama comme un partisan du régime des Frères musulmans, tandis que les partisans des Frères musulmans se sentent trahis. La méfiance généralisée ou la haine envers Washington semble n’avoir qu’augmenté de tous les côtés.
Selon le New York Times, la Maison Blanche a tenté de négocier un accord qui aurait permis à Morsi de rester président tout en faisant participer au gouvernement des partis d’opposition bourgeois. Morsi a refusé.
Entretemps, les gouvernements de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Koweït ont annoncé le 9 juillet leur intention de fournir un total de 12 milliards de dollars au gouvernement égyptien dans l’espoir de stabiliser et consolider le régime qui se met en place, quel qu’il soit — avec l’armée comme principal pilier perpétuel de la domination bourgeoise.
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