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Volume 77, no 32      le 9 septembre 2013

 
Les travailleurs égyptiens poursuivent leur
combat pour les salaires et les droits syndicaux
 
SETH GALINSKY  
Moins d’une semaine après la confrontation sanglante entre l’armée égyptienne et les Frères musulmans, des centaines de travailleurs de la Société de tissage et de textile de Mahalla, entreprise nationalisée, ont lancé une nouvelle grève le 26 août exigeant le paiement d’une prime promise et le licenciement du directeur détesté. Ceci est un des nombreux signes montrant que les travailleurs en Egypte restent déterminés à lutter pour leurs intérêts.

Le président Mohammed Morsi, un dirigeant des Frères musulmans, a été débarqué par l’armée le 3 juillet après que des dizaines de millions d’égyptiens sont descendus dans les rues dans tout le pays exigeant sa démission. Quelques 1 000 partisans de Morsi ont été tués et des milliers ont été blessés lors de la réponse musclée de l’armée face aux tentatives des Frères musulmans de reprendre les rênes du gouvernement. Les dirigeants des Frères musulmans ont été emprisonnés.

La plupart des journaux U.S. – depuis les principaux quotidiens bourgeois jusqu’aux publications les plus radicales prétendant parler dans l’intérêt des travailleurs – ont gesticulé face au débarquement du président élu, présentant ce fait comme un coup porté contre la « démocratie » et ont appelé à sa restauration ou à une réconciliation avec les Frères musulmans, sérieusement affaiblis.

Le New York Times, prenant acte de l’imposition de la loi martiale et du couvre-feu par le gouvernement d’intérim ainsi que la nomination d’officiers militaires comme gouverneurs de nombreuses provinces, avertissait qu’une répression contre les travailleurs et leurs organisations allait rapidement suivre les actions contre les Frères musulmans.

Mais l’un ne suit pas si facilement l’autre.

D’un côté se trouve un mouvement islamiste bourgeois et sectaire qui a surestimé son pouvoir réel. De l’autre se trouvent des millions de travailleurs qui se sont construit un espace politique et ont gagné confiance en eux au cours des dernières années à travers les luttes contre le régime répressif de Moubarak, la junte militaire qui l’a remplacé, et le gouvernement Morsi qui a suivi soutenu par les gros-bras des Frères musulmans. Après s’être débarrassé de son principal rival capitaliste, la bourgeoisie liée à l’armée en Egypte fait maintenant face à un défi autrement plus complexe : le déploiement de la lutte des classes et l’approfondissement de la crise du capitalisme.

Les travailleurs, les petits agriculteurs et des Égyptiens de tous milieux – y compris beaucoup qui avaient voté pour Morsi en 2012 après le renversement populaire de Moubarak en février 2011 – en avaient assez du gouvernement des Frères musulmans. Les travailleurs étaient en colère du fait que le régime de Morsi ne remplisse aucun de ses engagements et leur fasse payer cher l’approfondissement de la crise capitaliste – avec des hausses abruptes des prix et des taxes sur les produits de première nécessité et avec un chômage grandissant. Ils étaient aussi de plus en plus en colère en raison des attaques incessantes contre les droits démocratiques de bases et les mesures visant à imposer dans la vie publique la vision sectaire de l’Islam sunnite des Frères musulmans.

« L’obstination des Frères musulmans est la principale cause de la crise actuelle, » déclarait par téléphone au Militant Kamal Fayoumy, un électricien à l’usine textile géante Mahalla El Kubra et dirigent central de nombreuses luttes ouvrières. « Ils ont refusé de rester sur la touche devant la volonté populaire. »

Les Frères musulmans espéraient qu’en provoquant les attaques de l’armée contre eux, les partisans du mouvement qui allaient mourir deviennent alors des « martyrs » et l’aident à regagner du soutien. En préparant leur bataille dans le camp de Rabaa al-Adawiya, ils avaient mis en place une cantine, une pharmacie et un hôpital de campagne. Le 14 août, des soldats et des flics ont nettoyé le camp au moyen de véhicules blindés, de bulldozers, de gaz lacrymogènes et finalement de balles réelles, tuant ainsi au moins 200 personnes. Selon le ministère de l’intérieur, 43 policiers et soldats ont aussi été tués au cours de la confrontation.

Dans le même temps, les partisans des Frères musulmans prenaient pour cible la communauté chrétienne copte, qui représente environ 10 pourcent de la population du pays. Selon l’hebdomadaire Al Ahram, lors de la seule journée du 14 août, les islamistes ont incendié au moins 50 églises, commerces possédés par des chrétiens et écoles.

Les gens protègent les chrétiens

Dans de nombreux cas des travailleurs, des jeunes et d’autres qui sont musulmans ont rejoint les chaînes humaines qui se sont dressées pour protéger les institutions et les habitations chrétiennes des violences réactionnaires. « Les Frères musulmans essaient de créer de l’animosité entre les religions et des conflits. Mais personne ne doit être en mesure de nous diviser, » disait Ibrahim Abdel Gawad, président du Syndicat indépendant des agriculteurs à Ismailia. « C’est pour cette raison que vous voyez des jeunes musulmans et chrétiens se dresser ensemble côte à côte pour protéger les églises. »

Les récentes actions des Frères musulmans ne constituent pas une surprise pour les travailleurs en Egypte. Au début du mois de décembre de l’an passé, des gangs armés des Frères musulmans ont attaqué des manifestants qui protestaient contre la constitution proposée par Morsi, laquelle aurait rapidement été utilisée pour restreindre les droits démocratiques, les organisations syndicales et la liberté de culte.

L’intimidation n’a pas réussi à faire reculer les travailleurs. Selon le Centre International de développement basé au Caire, il y a eu une moyenne de 1 140 grèves, sit-ins, marches et autres actions ouvrières en juin et juillet 2013 précédant le renversement de Morsi.

Les travailleurs se sont organisés eux-mêmes face au gangstérisme accru qui a suivi la mise à l’écart de Morsi.

A Ismailia, une ville industrielle au bord du canal de Suez, « nous avons discuté avec l’armée pour mettre en place des comités populaires mais ils ont rejeté l’idée, » disait au téléphone Mahmoud Salama, un travailleur de la construction et dirigeant de la fédération des syndicats indépendants égyptiens. « Alors les gens ont commencé eux-mêmes à former des comités populaires pour se défendre contre les attaques des Frères musulmans. »

Des comités populaires ont aussi été mis sur pied à Mahalla El Kubra, un centre industriel textile. « Formé de travailleurs, d’étudiants et d’habitants, ils ont surveillés les quartiers ouvriers ainsi que les institutions publiques et privées, » disait Fayoumy.

Mais souvent les comités n’étaient pas assez forts pour empêcher les éléments non prolétariens de saper leur objectif.

Fatma Ramadan, membre du conseil exécutif de la Fédération syndicale égyptienne indépendante disait depuis le Caire que maintenant « la plupart de ces comités sont constitués de voyous ou bien sont utilisés par des opportunistes. »

Le 18 août le gouvernement a ordonné le démantèlement des comités.

Le mouvement ouvrier s’oppose au retour
des Frères musulmans

Les militants syndicaux et les participants aux luttes de petits agriculteurs qui ont parlé par téléphone avec le Militant les 20 et 21 août s’opposent au retour des Frères musulmans au pouvoir. Bien qu’ils aient toute une série de points de vue différents sur la répression, ils continuent d’avoir confiance en leur capacité et leurs perspectives pour les luttes à venir.

« La situation est dangereuse, » disait Salama. « Les routes entre les villes ne sont pas sûres. Beaucoup de travailleurs ne vont pas au travail. Cela crée un certain chaos. » En même temps, il affirmait que le couvre-feu « n’est pas dangereux pour les droits des travailleurs qui de toutes façon se réunissent de jour et pas de nuit. »

Fayouny notait que les travailleurs de Mahalla mènent une campagne de pétition « demandant que soit votée une loi sur les syndicats légalisant nos syndicats, que des élections libres soient tenues, que les travailleurs licenciés soient réintégrés dans leur poste de travail et que soit établi un salaire minimum mensuel de 2 000 livres égyptiennes (286 dollars U.S.) et un salaire maximum égal à 20 fois ça. »

« A Mahalla 10 000 travailleurs l’ont déjà signée, » disait-il. « Mais l’état d’urgence rend difficile de se déplacer, donc ça s’est pas mal ralenti maintenant. »

« Nos luttes ont été reportées à plus tard, c’est le prix que les travailleurs sont obligés de payer, » disait du Caire Karam Saber, président du Centre communal pour les droits de l’homme. « Le mouvement syndical des agriculteurs entame une campagne contre l’emprisonnement des débiteurs, pour la distribution des terres et de meilleurs prêts, mais lorsque nous allons voir le Ministère de l’agriculture, ils nous disent d’attendre que la bataille avec les Frères musulmans soit terminée.»

« Cet état d’urgence ralentira la lutte des classes parce que pour l’instant, la seule chose que peut faire le travailleur est d’aller au travail et rentrer chez lui, » a dit Ramadan.

Mahitab Algilani, un membre des Jeunesses révolutionnaires qui a été actif pendant les manifestations de la place Tahrir au Caire disait que « bien que l’état d’urgence soit dirigé contre les droits des travailleurs, cela est justifié dans la situation actuelle pour éliminer la terreur. Mais nous savons que l’état d’urgence pourrait être ensuite dirigé contre nous. »

« Je soutiens l’intervention de l’armée et les arrestations de militants des Frères musulmans parce que les travailleurs n’ont pas d’armes pour l’instant, » disait Gamal Abu’l Oula, directeur du bureau de Mahalla du Centre pour les services des syndicats et des travailleurs. « Nous sommes pour un état d’urgence temporaire. Cela ne sera pas une barrière sur le chemin des luttes syndicales. »

Une grève pour une augmentation de salaire de 2 100 travailleurs des Acieries de Suez qui a commencé début juillet s’est terminée le 22 août selon Al Ahram. Le journal a rapporté que deux dirigeants de la grève ont été relâchés sous caution le 13 août après que des camarades de travail ont protesté devant le tribunal de la ville de Suez. La police a alors arrêté trois autres travailleurs les 21 et 22 août.

Selon le Times, l’armée a cherché à désigner les Frères musulmans comme responsables de la grève. Mais Al Ahram fait remarquer que tout un éventail de partis politiques soutient la lutte des travailleurs.

« Le gouvernement de Suez a promis de relâcher nos camarades de travail vendredi, » affirmait Walid Hassan au journal. « Sinon, les travailleurs devront se remettre en grève. »

Le président Obama affirmait dans une déclaration datée du 15 août que Washington « condamne fermement les mesures prises par le gouvernement intérimaire égyptien et les forces de sécurité » et se prononçait en faveur « d’un processus national de réconciliation. »

Bien qu’Obama ait annulé un exercice militaire conjoint des États-Unis et de l’Égypte prévu en septembre, Washington a maintenu son aide militaire annuelle à l’Égypte de 1,3 milliards de dollars. L’aide est cruciale pour maintenir l’équipement moderne que l’armée achète aux U.S.

Le gouvernement du Qatar, le plus important soutien financier des Frères musulmans quand Morsi était au pouvoir, a continué d’envoyer une aide au gouvernement égyptien.

Quatre gouvernements du Moyen-Orient – l’Arabie Saoudite, Israël, les Émirats arabes unis et le Koweit – soutiennent le gouvernement intérimaire. Les trois monarchies arabes – qui ont longtemps regardé les Frères musulmans comme une menace politique – ont rassemblé 12 milliards de programme d’aide. Le gouvernement israélien a fait du lobbying auprès de Washington pour maintenir l’aide militaire à l’Egypte. Tous les quatre pensent qu’aider le nouveau régime est la meilleure façon de rétablir la stabilité capitaliste et de contrer les gouvernements de Turquie et d’Iran qui ont qualifié de coup d’état le renversement de Morsi.

Georges Mehrabian et Bashar Abu-Saifan ont contribué à cet article depuis Beyrouth, au Liban.

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