Volume 78, no 26 le 21 juillet 2014
« C’est la première fois que nous rencontrons une délégation des États-Unis qui s’intéresse à ce que nous avons fait, » dit Lilia Piltyaï, avec l’aide de l’interprète Oksana Demyanovitch, aux correspondants du Militant. Prennent également part à la rencontre huit jeunes femmes qui ont été soignées à Cuba, deux de leurs mères et Tatiana Bourka, qui est associée au programme et a travaillé pendant huit ans comme « liquidatrice » pour aider à l’évacuation de la population de la région de Tchernobyl.
L’organisation de jeunesse du Parti communiste, le Komsomol en Ukraine, avait désigné Lilia Piltyaï pour organiser la coordination avec le programme cubain lorsque celui-ci a débuté en 1990. Aujourd’hui, elle travaille dans le cadre d’un programme de soins cardiologiques au ministère de la Santé ukrainien.
« L’explosion de Tchernobyl du 26 avril 1986 a donné lieu à une tragédie sociale. Les autorités n’ont alerté personne sur la gravité de ce qui était en train de se passer. Aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas pourquoi elles n’ont pas annulé les grands défilés du 1er mai à Kiev et dans les autres villes fortement touchées par l’irradiation, explique-t-elle. Jusqu’au début des années 1990, elles ont interdit la diffusion d’informations relatives à la véritable portée de l’irradiation et au nombre de personnes touchées, dit Lilia Piltyaï. Mais certains de nos jeunes scientifiques ont rassemblé les données, et celles-ci ont été publiées fin 1989, mettant en lumière la gravité de l’irradiation subie par la population. »
Un grand nombre de ces données a fait l’objet d’articles, puis, plus tard, d’un petit ouvrage de Alla Yarochinskaya intitulé Tchernobyl : la vérité proscrite, qui révélait que les autorités soviétiques avaient dissimulé la vérité et avaient été jusqu’à couper une partie de l’aide aux sinistrés pour minimiser l’importance du désastre. « En conséquence, le gouvernement s’est trouvé dans l’obligation d’étendre la zone officiellement considérée comme sinistrée et, partant, le nombre de personnes ayant droit à une indemnisation, dit Lilia Piltyaï. Pour la première fois, les habitants de Kiev, la plus grande ville du pays, ont été considérés comme sinistrés. Le gouvernement était préoccupé par ce qu’il devrait payer comme indemnités. » Kiev est située à environ 125 km de Tchernobyl.
Cuba octroie une aide médicale gratuite
« Nous, les jeunes du Parti communiste, avons répondu en lançant un appel à l’aide internationale, raconte Lilia Piltyaï. Au consulat cubain, ils ont lu une partie des documents sur la véritable portée du désastre et ont entendu notre appel. Sergio López, l’ambassadeur cubain de l’époque, est venu rencontrer les jeunes membres du PC et a offert l’aide de Cuba. Il a dit que ce serait un plaisir pour Cuba d’offrir un traitement médical gratuit à ceux qui en avaient besoin. Deux semaines plus tard, trois médecins cubains parmi les plus réputés sont arrivés en Ukraine. Ils se sont rendus dans des hôpitaux et des villes et ont sélectionné les enfants les plus malades pour les envoyer à Cuba. Une fois le premier groupe choisi (139 enfants et quelques-uns de leurs parents), nous avons fait la demande de billets d’avion au gouvernement ukrainien, mais ils nous ont dit qu’il n’y avait pas de budget pour cela. Les autorités médicales nous critiquaient et nous accusaient de mettre en doute la qualité du système de santé soviétique.« Le 29 mars 1990, deux avions cubains ont emmené le premier groupe vers l’île, » poursuit Lilia Piltyaï, qui a voyagé dans le premier avion. « Nous avons été reçus par le président cubain Fidel Castro à notre atterrissage à La Havane. Il était surpris et frappé par l’état des enfants. Il a alors consulté sur place d’autres représentants du gouvernement et, lors de l’atterrissage du second avion, trois heures plus tard, il a annoncé que Cuba accueillerait 10.000 enfants d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie. Je n’en croyais pas mes oreilles, dit Lilia Piltyaï. J’ai demandé à l’interprète s’il n’avait pas fait une erreur. Mais non. Et les Cubains l’ont fait, et plus que ça. »
Fidel Castro a prononcé un discours le 1er juillet 1990, lors de l’inauguration des locaux attribués au programme médical, dans l’ancien centre des Pionniers (l’organisation des enfants), à Tarará, dans les environs de La Havane. Il a dit que les travaux avaient pris moins de trois mois, grâce à l’aide de plus de 7 000 travailleurs volontaires ayant relevé le défi avec « un esprit internationaliste » profond, comme il l’a souligné. Le centre des Pionniers, situé sur la côte, n’a pas uniquement été choisi parce qu’il abritait des installations médicales. Le président cubain a souligné que « pour un enfant, il est déprimant d’être emprisonné dans un hôpital, raison pour laquelle on a prévu des programmes récréatifs, des vacances et des séjours à la mer. »
« Étant donné que les autorités ukrainiennes ont refusé de prendre en charge le transport des enfants à Cuba, entre 1991 et 1998 nous nous sommes organisés avec certains des parents et nous avons mis sur pied notre propre fonds de soutien, dit Lilia Piltyaï. J’ai réussi à faire passer un appel à la télévision, ce qui nous a fait un peu de publicité et rapporté un grand soutien. Après cela, nous avons récolté l’argent nous-mêmes. Nous avons reçu des dons d’ici, du Canada, où il y a une importante communauté ukrainienne, et d’autres endroits. Il a fallu un effort collectif immense, mais nous avons réussi à organiser un vol charter tous les deux mois.
« Les Cubains ont organisé tout le logement, l’aide médicale et le reste. Cuba a été le seul pays au monde à mettre un tel programme sur pied. Nous avons reçu un peu d’aide d’autres pays : l’Allemagne, Israël, la France et même les États-Unis, mais Cuba a été le seul pays à organiser un programme intégral et à long terme.
« Et ce alors que les Cubains eux-mêmes étaient confrontés à des défis sérieux, ce qu’ils ont appelé la « Période spéciale, » explique Lilia Piltyaï.
Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, Cuba a perdu 85 pour cent de son commerce extérieur, ce qui a donné lieu à une crise économique et sociale aigüe, marquée par une pénurie d’aliments et d’autres produits de base.
« Pendant 24 ans, Cuba a soigné plus de 25 000 personnes, dont plus de 21 000 enfants. Parmi ceux-ci, 40 pour cent étaient gravement malades, avec des cancers de la thyroïde, d’autres types de cancer ou des défauts physiques, y compris des maladies du sang ou de la peau.
« Cuba a offert des soins de santé d’un niveau tellement élevé, l’Ukraine ne pouvait arriver à ce niveau. Par ailleurs, l’amour exprimé par le peuple cubain, les médecins et tout un chacun a été quelque chose de complètement extraordinaire, dit Lilia Piltyaï.
« En 2012, des bureaucrates ukrainiens de la santé publique ont convaincu le président d’alors, Viktor Yanoukovitch, que l’Ukraine devait se charger elle-même de tous les traitements des victimes de Tchernobyl, et le gouvernement a mis fin à sa collaboration avec le programme, ajoute-t-elle. Nous avons continué à nous battre et en 2013, Yanoukovitch a dit que des fonds seraient prévus dans le prochain budget pour l’envoi de 100 enfants supplémentaires. »
Yanoukovitch a été renversé en février 2014, lors des grandes manifestations contre le gouvernement. Actuellement, l’avenir du programme consistant à envoyer des Ukrainiens se faire soigner à Cuba n’est pas clair.
« Certaines personnes continuent d’être soignées à Cuba, mais elles doivent réunir elles-mêmes les fonds pour couvrir le transport. Cuba est disposée à poursuivre le programme et on espère trouver une manière d’obtenir le financement, » dit Lilia Piltyaï. Selon elle, il y a encore des centaines de jeunes ukrainiens sur la liste d’attente.
« Cuba dit qu’elle fait ce qu’elle fait pour des raisons morales et éthiques, et c’est pour cela qu’elle n’a jamais évalué le coût du programme, mais nous estimons que cela leur a coûté plus de 2 milliards de dollars. Jamais on n’oubliera ce que Cuba a fait, » conclut Lilia Piltyaï.
« Une deuxième patrie »
Le groupe a offert deux cadeaux au Militant. Le premier est un livre en russe intitulé Une deuxième patrie, ce qui est l’expression utilisée par toutes les jeunes femmes pour parler de Cuba. Le livre décrit le programme médical cubain de Tarará. Lilia Piltyaï et plusieurs autres femmes du groupe apparaissent en photo dans le livre.Le deuxième cadeau est un tableau d’Inna Molodchenko, une jeune femme qui est venue à la rencontre avec sa mère, Tatiana Molodchenko. Inna est la première personne sur la liste d’attente. « Au cours des huit premières années de sa vie, Inna ne pouvait mastiquer, explique sa mère. Elle a effectué plusieurs séjours à Cuba, où elle a bénéficié de six interventions chirurgicales qui lui ont finalement permis d’avaler. Elle souffrait également d’une maladie de la peau et éprouvait des difficultés à bouger les mains. »
« En 2008, je me suis rendue pour la première fois à Cuba, et j’en suis récemment revenue après un nouveau séjour d’un mois, raconte Tatiana Bernadska. Je me suis réellement sentie dans une deuxième patrie. Les médecins sont très remarquables, tout comme l’est le peuple cubain. Ils nous ont aidés comme si nous étions leurs propres enfants. »
Youlia Palamartchouk témoigne : « Mon grand-père était ingénieur à Tchernobyl. Avant de partir à Cuba je manquais totalement de confiance en moi. L’amour et la compréhension du peuple cubain m’ont aidée à apprendre à m’aimer. L’ensemble du programme : les cours, les concerts, les spectacles de danse, les échanges culturels, l’accès à une bibliothèque avec des livres en russe, des professeurs ukrainiens pour nous aider, le tout payé par les Cubains, tout l’environnement était super. »
« À l’école, j’ai commencé à souffrir de la tête et lorsqu’ils m’ont envoyée chez le médecin, il a dit que j’avais un cancer du cerveau, » raconte une autre jeune femme, Youlia Panasiouk. « Ils m’ont opérée à Kiev, mais, quand je me suis réveillée, ils m’ont dit ne rien pouvoir faire et qu’il me restait 6 mois à vivre. C’est par hasard que ma famille a entendu parler du programme cubain. »
Les autres jeunes femmes ont des histoires semblables. L’existence du programme n’est pas largement connue parce que le gouvernement ukrainien n’a pris aucune responsabilité dans son organisation.
« J’ai eu une consultation avec les médecins cubains, qui ont agi très rapidement, et, trois jours après, je partais pour Tarará, continue Panasiouk. J’ai pensé que j’y resterais 45 jours, mais, finalement, j’y suis restée en traitement pendant 5 ans, accompagnée de ma maman.
« Lorsque je suis rentrée en Ukraine, ma santé s’est à nouveau détériorée et je suis retournée à Cuba pour de nouvelles opérations chirurgicales. Vous pouvez constater que j’ai encore une légère paralysie du côté gauche. J’ai reçu de la kinésithérapie pour récupérer la mobilité.
« Les médecins cubains se sont battus pour m’aider. Je suis vraiment contente que le destin m’ait donné la chance d’aller à Cuba. Cette expérience nous a appris qu’il est possible d’avoir une attitude différente envers les êtres humains. »
Plusieurs des jeunes femmes disent qu’elles ont pris connaissance, au cours de leur séjour à Cuba, de la lutte pour libérer les Cinq Cubains prisonniers aux États-Unis et qu’elles ont contribué à faire circuler l’information à ce sujet en Ukraine.
La solidarité avec Cuba est importante
« J’ai travaillé comme liquidatrice, une de ces gens qui ont aidé à évacuer la population, » nous raconte Tatiana Bourka. Des centaines de milliers de personnes ont travaillé comme liquidateurs, certaines d’entre elles comme volontaires, d’autres dans le cadre de leur service militaire obligatoire.« La zone où j’ai été envoyée était supposée être vide, déjà évacuée, avec de très hauts niveaux de radioactivité. A dit Tatiana Bourka. En réalité, des gens sont demeurés au village jusqu’au 17 mai, plus de trois semaines après la fusion du réacteur. Au début, ils n’évacuaient que les personnes qui souffraient de vomissements.
« En 1989, il y a eu une extension de la zone reconnue comme ayant été contaminée, ce qui a conduit à l’évacuation de 50.000 personnes supplémentaires. Le programme cubain a commencé après ceci. Nous étions très reconnaissants à l’égard du peuple cubain. C’est le seul pays qui a fait preuve d’une telle solidarité humaine, entièrement sur ses propres deniers, » dit Tatiana Bourka.
« On n’a pas suffisamment parlé du programme cubain, dit-elle. De nombreuses personnes n’en avaient pas connaissance. Cela a constitué la seule limite au nombre de personnes susceptibles d’en bénéficier. Nous devons divulguer l’information maintenant et renforcer à nouveau le programme. Nous n’oublierons jamais le peuple cubain. »
« Ça a été un programme irremplaçable, qui a démontré que la Révolution cubaine est bien vivante et que la solidarité avec Cuba est très importante, » résume Lilia Lilia Piltyaï.
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