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Année 79, no 3      le 2 février 2015

 
Les cheminots discutent de la résistance
aux attaques patronales contre
la sécurité et la taille des équipages

 
ANNE CARROLL
et R.V SMALLWOOD

CHICAGO — Plus de 140 000 travailleurs sont en train de négocier leur convention collective partout aux États-Unis et au Canada avec les riches propriétaires des chemins de fer de fret, qui visent à augmenter leurs profits aux dépens de la sécurité.

Alors qu’ils engrangent déjà des profits record, les patrons des compagnies ferroviaires en veulent davantage et cherchent à imposer des changements d’envergure. Ils veulent lier les salaires à « la productivité et la performance, » transférer aux travailleurs une plus grande partie des coûts des soins de santé et réviser les règles de travail qui d’après eux « entravent l’utilisation productive des employés. »

Les plus grands syndicats ferroviaires parmi les 12 organisations impliquées dans les négociations sont SMART (l’Association internationale des travailleurs de la tôle, des airs, du rail et des transports), qui représente 44 000 cheminots, chauffeurs et chefs de triage ; la Confrérie de la maintenance des voies et ses 27 000 travailleurs qui entretiennent la voie ferrée; et la Confrérie des conducteurs de train et cheminots, qui représente 27 000 autres salariés.

La principale règle de travail que les patrons veulent changer est la taille des équipages, mais ils comptent y arriver en procédant compagnie par compagnie plutôt que dans des négociations à l’échelle de l’industrie. Ils ont réduit les équipes à cinq dans les années 1970 et à deux en 1991. Maintenant ils veulent faire rouler les trains avec une seule personne.

« Un équipage d’une seule personne est dangereux, » a dit au Militant Dave Larson, un chauffeur à la Burlington Northern Santa Fe Railway (BNSF) avec 10 ans d’ancienneté rencontré dans un motel à Chicago où les cheminots vont se reposer entre deux voyages. Les équipages ferroviaires font de longues heures et sont souvent appelés à travailler après peu de repos. « Il faut au moins quatre yeux et quatre oreilles pour être vigilant. C’est une idée dangereuse qui affecte le train, son équipage et le public, » a dit Dave Larson.

Suite à l’expansion énorme de la production pétrolière dans les régions de schiste et de sable bitumineux aux États-Unis et au Canada, des trains pleins de pétrole brut hautement volatile traversent de grandes et petites villes tous les jours.

Le résultat ? Une série de déraillements et d’explosions dont la plus meurtrière a tué 47 personnes et détruit la plus grande partie de la ville de Lac-Mégantic au Québec en 2013. Des responsables gouvernementaux avaient accordé à la Montreal, Maine and Atlantic Railway une dérogation spéciale pour faire rouler le train avec un équipage d’une seule personne afin de réduire le coût.

Ces développements suscitent des discussions intenses et larges — et de la résistance — chez les cheminots et plus généralement. En septembre dernier, des cheminots des deux tiers ouest des États-Unis ont organisé des manifestations et des réunions de Galesburg en Illinois jusqu’à Seattle contre l’exigence de la Burlington Northern de faire rouler les trains avec un « équipage » d’une personne. Ils ont voté massivement contre l’accord.

« Le mois passé, les travailleurs du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP Rail) de Chicago au Dakota du Nord ont rejeté par un vote de 300 à 13 un projet d’accord, » a expliqué au Militant Mark Burrows, un chauffeur chez Canadien Pacifique avec 40 ans d’ancienneté. Mark Burrows travaille au complexe ferroviaire de Bensenville près de Chicago et est un délégué de SMART et membre du comité de coordination des Cheminots unis, un groupe qui participe à la lutte contre les équipages d’une personne.

« CP Rail a essayé de nous acheter en proposant d’augmenter les salaires de 27,28 $ à 42,50 $ de l’heure avec une journée de 10 heures minimum si nous acceptons les changements des règles de travail, a-t-il expliqué. Mais les syndiqués ont rejeté cette offre. »

« Après que la BNSF a essayé d’imposer l’équipage d’un homme, le Canadien Pacifique a essayé de mettre fin à l’ancienneté basée sur l’ensemble du système et à toute distinction entre les emplois de triage et emplois roulants dans le contrat de 2014, a précisé Mark Burrows.

« Dans les cours de triage où les wagons de train sont couplés et découplés, la plupart des opérations n’ont qu’un seul homme au sol, a poursuivi Mark Burrows. Vous avez un chauffeur à l’avant et un mécanicien à l’arrière du train dans toutes sortes de conditions météorologiques. Et aujourd’hui un train standard fait 3 km de long.

« Avec un équipage de seulement le chauffeur et le mécanicien, ce n’est souvent qu’un seul côté qui est inspecté. Qu’est-ce qui se passera quand il n’y aura qu’une seule personne ?°» a-t-il demandé.

Lamont Pitts et David Steidel, un chauffeur et un mécanicien qui travaillent pour la compagnie CSX, ont parlé avec les reporters du Militant ici au motel.

« L’équipage d’une personne ? C’est définitivement une idée dangereuse, a dit Lamont Pitts. Et si « l’équipage » d’une seule personne a une crise cardiaque ou se blesse ? »

« Les patrons disent qu’ils auront des gens d’entretien postés tout au long de la voie, a expliqué David Steidel, pour qu’ils puissent réagir rapidement en cas de problèmes mécaniques. Mais nous savons tous qu’ils ne peuvent pas le faire et qu’ils ne le feront pas. »

Au cours des prochaines années, les chemins de fer installeront des systèmes de « contrôle positif des trains » mandatés par le gouvernement fédéral, qui surveilleront automatiquement la vitesse des trains et qui auront la capacité de les ralentir ou les arrêter. Lamont Pitts et David Steidel ont tous les deux dit que ces systèmes n’ont qu’une efficacité limitée.

« Étant donné comment fonctionne le système d’alerte du moteur aujourd’hui, a dit Lamont Pitts, s’il y a un problème, le système met entre 30 à 60 secondes à s’activer. » Les êtres humains réagissent plus vite et mieux.

« Je connais un cas où l’équipage s’approchait d’un endroit sur la voie où la limite de vitesse était de 15 km de l’heure, a expliqué David Steidel. Le logiciel d’optimisation des trajets était activé mais la limite de vitesse pour cette partie du trajet n’avait pas été entrée dans le programme. Le train a donc dépassé la limite de vitesse.

« L’entreprise a accusé le chauffeur et l’a suspendu pour six mois. Heureusement, il avait un autre membre de l’équipage pour venir à sa défense, a dit David Steidel. Avec un équipage d’une seule personne, vous n’aurez pas la moindre chance. Ça sera la faute du chauffeur à chaque coup. »

La technologie de contrôle positive des trains a un rôle, a expliqué Lamont Larson au Militant, mais elle ne peut pas remplacer le jugement humain.

« Pendant un trajet, j’étais aux commandes et j’ai aperçu un wagon sur la voie. Je n’ai pas mis le train en état d’urgence parce que cela aurait probablement abouti à des roues cassées et à un déraillement, a précisé Lamont Larson. C’était un train de charbon de 100 wagons. Un seul wagon rempli de charbon qui aurait traversé le dépôt aurait tué 100 personnes — facilement. » Lamont Larson a choisi d’entrer en collision avec le wagon.

« Heureusement, il n’y avait personne là-dedans. Personne n’a été blessé. Nous comptons sur notre expérience pour prendre de telles décisions en une fraction de seconde, a-t-il dit. Un ordinateur aurait-il pu prendre cette décision ? »

Laura Anderson et Ilona Gersh ont contribué à cet article.

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