Année 79, no 4 le 9 février 2015
Cette victoire de la résistance kurde contre une force mieux armée et avec plus de combattants a contribué à stimuler la lutte du peuple kurde, une nationalité opprimée séparée depuis des décennies par les frontières de la Syrie, l’Irak, la Turquie et l’Iran, et a inspiré les travailleurs de toute la région et même au-delà.
« La bataille à Kobané n’était pas seulement un combat entre les Unités de protection du peuple kurde (YPG) et ISIS [l’État islamique], » a déclaré le Commandement général des YPG dans un communiqué émis le 26 janvier. « Ça a été une bataille entre l’humanité et la sauvagerie, entre la liberté et la cruauté. » La défaite de l’État islamique « ne se limitera pas à Kobané, » a ajouté le communiqué, mais « sera suivie d’autres victoires. »
« Les gens dansent et chantent, il y a des feux d’artifice. Tout le monde ressent un énorme sentiment de soulagement, » a dit à Reuters Tevfik Kanat, un Kurde turc qui s’est précipité à la frontière avec des centaines d’autres, y compris les réfugiés de Kobané, le 26 janvier.
Les combattants kurdes ont été soutenus par quelques unités de l’Armée syrienne libre, qui lutte pour renverser le régime brutal de Bachar al-Assad à Damas; des forces kurdes Peshmergas venues du nord de l’Irak; et les bombardements aériens de l’armée US.
La victoire des YPG à Kobané et la reconquête de la colline stratégique de Mishtenur a placé les réseaux d’approvisionnement de l’État islamique d’Alep, à l’ouest, et de Raqqa, à l’est, dans la ligne de mire des combattants kurdes.
Les forces kurdes disent qu’elles conduisent maintenant des opérations pour libérer les villages environnants du contrôle de l’État islamique.
Les combats avaient commencé à la mi-septembre, lorsque les forces de l’État islamique encerclaient Kobané de toutes parts et avaient pris le contrôle de certaines parties de la ville et des villages voisins. Les médias bourgeois et les représentants des gouvernements de Washington et d’Ankara prédisaient la chute imminente de la ville. Mais les hommes et les femmes courageux de Kobané ont clairement fait savoir au monde entier qu’ils n’abandonneraient pas.
La décision de Washington d’apporter un appui aérien reflète le fait que, pour l’instant, les dirigeants US craignent plus une avancée de l’État islamique que la montée de la lutte des Kurdes pour leurs droits nationaux et leur souveraineté.
La guerre civile en Syrie, qui en est au début de sa cinquième année, avait commencé avec des manifestations populaires de masse exigeant la fin du règne d’Assad. Les forces d’opposition avaient pris le contrôle d’Alep, la plus grande ville de Syrie, et d’autres parties du pays. Mais la guerre d’Assad, soutenue par Moscou et Téhéran, a porté des coups à la rébellion et dévasté une grande partie de la population, les assiégeant pour les affamer et utilisant des bombes incendiaires qui visaient les civils.
Les États-Unis changent de position vis-à-vis d’Assad
Le secrétaire d’État John Kerry a soutenu la proposition de Moscou de convoquer une « conférence de paix. » Ceci marque un revirement de la Maison Blanche et de certains de ses partenaires de la coalition, qui exigeaient auparavant l’éviction d’Assad et considèrent maintenant le dictateur syrien comme un partenaire de négociation avec qui coopérer.
La raison ? Assad a « permis à ISIS de consolider un califat croupion dans le nord de la Syrie, afin de lancer un avertissement visible sur ce à quoi ressemble l’alternative à son règne, » écrivait le magazine Atlantic.
Plus de 200 000 personnes ont été tuées depuis que la guerre civile a commencé. Avant la guerre, la population de la Syrie était de 22 millions d’habitants. Au moins 3,7 millions de personnes ont fui le pays et sont répertoriées comme réfugiés, principalement dans les pays voisins tels que la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak. Selon les Nations unies, quelque 6,5 millions de personnes se sont déplacées à l’intérieur — 50 pour cent de plus qu’en 2013. Comme les conditions de vie des travailleurs et des agriculteurs en Syrie continuent de se détériorer, un nombre croissant d’entre eux cherchent refuge. Par contre, les gouvernements environnants dressent de plus en plus d’obstacles sur leur chemin.
Au Liban, où 1,1 millions de réfugiés enregistrés vivent avec 500 000 réfugiés non enregistrés, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur déclaraient le 5 janvier : « Nous en avons assez » et « Nous ne permettrons l’entrée à des réfugiés que dans des cas très limités et exceptionnels. »
En Jordanie, où se trouvent actuellement 622 000 réfugiés syriens, le gouvernement leur a coupé l’aide médicale gratuite en décembre. Deux tiers de ces migrants vivent en dessous du seuil de pauvreté officiel du gouvernement, qui est de 96 $ par mois. Parmi ceux qui vivent en dehors des camps de réfugiés du gouvernement, près de la moitié n’ont pas accès au chauffage et le quart n’ont pas d’électricité.
L’État islamique, qui s’est emparé d’un tiers du territoire de l’Irak et de la Syrie l’année dernière et qui s’est auto-proclamé « califat », est incapable de fonctionner comme un État. Les conditions de vie se détériorent, les prix augmentent, les services gouvernementaux sont rares et la charia bloque de multiples aspects normaux de la vie et inflige une punition sévère à ceux qui violent les décrets des dirigeants du califat.
Un décret émis par l’État islamique en décembre ordonnait à toutes les écoles de fermer, affectant 670 000 enfants, jusqu’à ce que les programmes soient revus conformément aux règles religieuses, rapportait Reuters. Les dirigeants de l’État islamique à Raqqa, la capitale auto-proclamée du groupe en Syrie, ont interdit aux femmes de moins de 45 ans de quitter la ville.
« Les commerçants ferment leurs magasins cinq fois par jour pour la prière, rapporte le Washington Post. Les fumeurs ont cessé de fumer, de peur de se voir infligés trois jours d’emprisonnement obligatoires pour la première infraction — et un mois pour la seconde. »
Les agriculteurs des régions d’Irak contrôlées par l’État islamique, qui produisent environ 40 pour cent de la récolte de blé de ce pays, ont dû réduire la production, « car ils ne pouvaient pas accéder à leurs terres, n’ont pas eu les engrais appropriés ou suffisamment de carburant, ou parce qu’ils n’avaient pas la garantie que l’État islamique achèterait leur récolte, ce que Bagdad fait normalement, » a rapporté Reuters le 20 janvier.
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