Année 80, no 45 le 28 novembre 2016
La crise du capital bancaire et financier découle de décennies de baisse des taux de profit et de contraction de la production, du commerce et de l’embauche. Les opérations du système capitaliste, poussées par le jeu de la concurrence, et par conséquent les politiques de la classe des employeurs et de leur gouvernement qui en résultent rejettent sur les travailleur un fardeau de plus en plus lourd : chômage, baisse des salaires réels, accélération et conditions de travail dangereuses, augmentation marquée des frais médicaux, disparition des régimes de retraite et plus encore.
Ces conséquences sociales et politiques sont expliquées dans un nouveau livre de Jack Barnes, secrétaire national du Parti socialiste des travailleurs (SWP), qui a été publié quelques jours avant les élections, intitulé L’héritage anti-ouvrier des Clinton : pourquoi Washington craint les travailleurs. Ainsi que Steve Clark, dirigeant du SWP, l’explique dans l’introduction, Jack Barnes y décrit le coût humain payé par les travailleurs aux États-Unis, y compris par suite des coups de sabre dans le maigre « filet de sécurité sociale » conquis lors de combats acharnés par la classe ouvrière US au cours des décennies. Il explique ce qu’un nombre croissant de travailleurs ressentent déjà par rapport à ce qui nous arrive, même si les riches et les puissants le nient avec véhémence. Nous traversons une contraction économique et une crise financière à combustion lente, une crise capitaliste mondiale telle que nous n’en n’avons jamais vécue.
De plus en plus de travailleurs et d’agriculteurs aujourd’hui « sont déjà engagés dans une vaste et chaude discussion sur cette réalité. Bien que personne ne puisse en prévoir le moment, les capitalistes de la finance et les couches de professionnels bien payés qui sont à leur service sentent que ce qui nous attend, ce sont des luttes croissantes, des luttes de classes. »
C’est pourquoi « les dirigeants américains et leur gouvernement ont commencé à craindre la classe ouvrière pour la première fois depuis des décennies. »
Des millions de personnes ont voté pour « un changement »
Hillary Clinton a agi comme si elle pouvait gagner l’élection tout en tournant le dos aux travailleurs et aux conditions de plus en plus désespérées auxquelles font face des dizaines de millions de personnes aux États-Unis. Elle a fait peu d’effort pour faire campagne dans les régions ouvrières du Midwest, comme le Michigan et le Wisconsin. Au nom d’une énergie plus propre, elle a dit : « Nous allons mettre hors de service un grand nombre de mineurs de charbon et de compagnies de charbon. » Et elle a traité avec mépris les travailleurs qui pensaient voter pour Trump de « déplorables » et « irrécupérables ».
Beaucoup des endroits clés qui ont été les régions déterminantes pour la victoire électorale de Trump étaient des zones de la classe ouvrière où la majorité, y compris des travailleurs qui sont caucasiens, avaient voté pour Barack Obama en 2012. Dans le comté de Monroe, une région de mines de charbon de l’Ohio, Obama l’avait remporté sur le républicain Mitt Romney par une marge de huit points il y a quatre ans; cette fois Trump y a gagné par une marge de 47 points. Dans le comté de Luzerne, en Pennsylvanie, dans la ville industrielle de Wilkes-Barre, Trump a gagné par 19 points, là où Obama l’avait remporté par 5 pour cent.
Beaucoup moins de travailleurs qui sont noirs ont voté pour Hillary Clinton. À Détroit, sa marge de victoire a été de 90 000 voix de moins que celle d’Obama en 2012. À Flint au Michigan, son avantage n’a été que la moitié de celui d’Obama quatre ans plus tôt. Dans le district 15 de Milwaukee, un quartier qui est à 84 pour cent Américain africain, la participation au vote a chuté de 19,5 pour cent depuis 2012.
Le résultat des élections a fait voler en éclat l’illusion dont se berçaient Hillary Clinton et son organisation qu’elle pouvait s’assurer un vote des Américains africains un peu comparable à celui qu’a obtenu le premier candidat présidentiel du Parti démocratique qui était noir. Il n’y a pas eu non plus de « montée » du vote des Latinos et des femmes en faveur de Clinton.
Cela s’est répété dans la classe ouvrière et les régions rurales à travers le pays. Alors que les conditions se sont aggravées pour des millions de travailleurs sous Obama, beaucoup ont cherché quelque chose de nouveau, un « changement ». Et des millions d’autres n’ont pu se résigner à voter pour l’un ou l’autre des deux candidats et sont restés à la maison : la participation a été la plus basse en 20 ans.
C’est la faute aux « travailleurs blancs stupides »
De nombreux libéraux bourgeois, des radicaux de la classe moyenne et une grande partie des médias bourgeois prétendent que Trump a gagné à la suite d’une réaction raciste de ce qu’ils appellent « la classe ouvrière blanche. » Quelques millions de travailleurs qui avaient voté pour un Américain africain comme président en 2008 et de nouveau en 2012 se sont étonnamment transformés en bigots réactionnaires quelques années plus tard !
Un nombre croissant de libéraux vont encore plus loin. Ils affirment que le résultat de l’élection montre que les travailleurs sont une masse de gens stupides et sans instruction, dont le droit de vote posera un danger à l’avenir.
Le président élu a reçu « le soutien massif de personnes blanches peu instruites et peu informées, » a écrit Jason Brennan dans la revue Foreign Policy. C’était une « danse des cancres. » Brennan, professeur à l’Université de Georgetown, soutient que le droit de vote devrait être limité à ceux qui réussissent un test de « connaissance politique. » Ou bien, les personnes « très informées » (comme lui) devraient avoir droit à des votes supplémentaires.
Un tel mépris de la classe ouvrière et surtout la crainte de la classe ouvrière est typique de ce que le dirigeant du SWP Jack Barnes appelle la « méritocratie » dans son récent livre Sont-ils riches parce qu’ils sont intelligents ? Classe, privilège et apprentissage sous le capitalisme. Plusieurs membres de cette couche croissante de la classe moyenne sont fortement présents dans les universités, les fondations, les médias et l’industrie des « technologies, affirme Barnes, ils croient vraiment que leur « brillance », leur « rapidité », leurs « contributions à la vie publique, » leur donnent le droit de prendre des décisions, d’administrer et de « réglementer » la société pour la bourgeoisie, au nom de ce qu’ils prétendent être les intérêts du « peuple ».
La gauche petite-bourgeoise a réagi à l’élection de Trump avec une hystérie anti-ouvrière semblable. « Pour la plupart, ceux qui assistent aux rassemblements de Trump et l’acclament sont déplorables, » a écrit Teresa Gutierrez, dirigeante du Parti mondial des travailleurs (Workers World Party), endossant la position de Clinton. « La plupart ont franchi une ligne » et « représentent un danger. »
Les partis capitalistes ébranlés
Avant les élections, Trump a fait face à une opposition généralisée dans les échelons supérieurs du Parti républicain. Cependant loin de se soumettre à de tels personnages, Trump se propose de refaire le Parti républicain à son image.
Le Parti démocratique est en ruines. L’aile autour du sénateur du Vermont, Bernie Sanders, dont la campagne durant les primaires a été bloquée par les manœuvres flagrantes de Clinton et de l’appareil national des démocrates, cherche à prendre le contrôle du parti.
« Je ne suis pas ici pour blâmer qui que ce soit, » a dit Sanders de manière peu sincère lors d’un rassemblement à Washington, le 17 novembre. « Mais les faits sont les faits, a-t-il dit. Quand vous perdez la Maison-Blanche au candidat le moins populaire dans l’histoire de l’Amérique, quand vous perdez le Sénat, quand vous perdez la Chambre et quand les deux tiers des gouverneurs dans ce pays sont républicains, il est temps d’avoir une nouvelle direction pour le parti démocrate ! »
La désintégration de la « mondialisation »
Les élections de 2016 sont une autre confirmation de la désintégration de la « mondialisation ». C’est le terme sans contenu de classe que les commentateurs procapitalistes emploient pour décrire l’expansion internationale au cours de plusieurs décennies du commerce mondial, des flux de capitaux et de la migration de la main d’œuvre, tout comme de l’interconnexion accélérée (et risquée) des gestions bancaires capitalistes et du commerce des obligations.
Quelques capitalistes parmi les classes dirigeantes à l’échelle mondiale ainsi que les professionnels qui travaillent pour eux pensaient que ce développement pourrait mener à la création d’organisations économiques et politiques supranationales, comme l’Union européenne, transcendant les nations (et de ce fait, les guerres commerciales et les guerres ouvertes) comme la voie de l’avenir.
Cependant, l’Union européenne a échoué parce que les relations capitalistes, qui se distinguent par le chacun pour soi, particulièrement sous la pression des effondrements économiques et sociaux, sont fondées sur les États, les monnaies nationales et les armées nationales, de même que sur une poignée de familles de la classe dirigeante de chaque pays dont les intérêts de classe sont servis et protégés par ces institutions nationales.
Les puissances impérialistes européennes les plus riches et les plus fortes du Nord, dirigé par Berlin, se sont enrichies aux dépens du Sud plus faible (et de l’Est depuis 1989). Le fantasme d’une « union toujours plus grande » s’est dissipé lorsque le gouvernement grec a dû déclarer faillite, entraînant des attaques massives contre les travailleurs du pays. L’Italie pourrait bien suivre.
De même, les plans de Barack Obama en vue de vastes accords « commerciaux » (avec leur labyrinthe de bureaucratie et de règlements), tels que le Partenariat trans-Pacifique qu’il a présenté comme une réalisation remarquable de sa présidence, sont maintenant démantelés.
Ces développements expliquent également les résultats des élections US de 2016, de même que le Brexit, le référendum en Grande-Bretagne plus tôt cette année qui a approuvé sa sortie de l’Union européenne.
De plus, les dirigeants US mènent des guerres apparemment sans fin et produisent des situations catastrophiques pour les travailleurs, de l’Afghanistan jusqu’en Irak et en Syrie de même que pour les familles ouvrières et agricoles qui servent de chair à canon aux États-Unis et ailleurs.
Leur « solution » : s’en prendre à nous
Les politiques que les dirigeants US des deux partis capitalistes principaux ont adoptées suite au krach financier de 2008, telles que le maintien des taux d’intérêt près de zéro et l’adoption de lois de « régulation », n’ont pas réussi à favoriser la croissance et la création d’emplois ni à diminuer la concentration du capital bancaire et les risques qu’elle entraîne. Il en est de même pour les rivaux impérialistes de Washington à Tokyo et plus récemment en Europe.
Même avant les élections de 2016, de plus en plus de personnes dans l’ensemble de l’éventail de la politique bourgeoise se sont rendu compte de cet échec et ont insisté sur la nécessité d’une « politique fiscale, » soit les dépenses gouvernementales et les mesures fiscales, au lieu de solutions « monétaires ».
Donald Trump se trouvait parmi eux, promettant de relancer la « croissance » et de créer des « emplois » grâce à un investissement de mille milliards de dollars dans la construction et la réparation des infrastructures, telles que les routes, ponts, aéroports, réseaux d’aqueduc et d’égout, etc. Certains représentants du Parti démocrate, tels que Nancy Pelosi et Chuck Schumer, se sont empressés d’offrir leur aide à Donald Trump pour faire adopter de telles mesures par le Congrès. Les taux d’intérêt à long terme ont commencé à augmenter graduellement et la perspective d’une inflation en hausse dans les mois et les années à venir est devenue une réalité.
Peu importe les emplois temporaires que ces projets financés par le gouvernement pourraient procurer, ils ne généreront pas les investissements de capital à long terme dans l’expansion des usines, des équipements, de la production et des emplois industriels qui pourraient renverser la contraction mondiale de la production capitaliste et du commerce aujourd’hui.
En fait, il n’existe pas de politique pouvant être mise en œuvre par la classe dirigeante qui puisse résoudre la crise sous-jacente de production et de commerce ni la décomposition de leur ordre impérialiste, sans que les capitalistes s’attaquent au niveau de vie, aux conditions de travail ainsi qu’à la santé et la vie des centaines de millions de travailleurs aux États-Unis et partout dans le monde. C’est le fruit du fonctionnement du capitalisme lui-même.
La grande majorité de la classe dirigeante US a déboursé d’énormes fonds et utilisé les journaux, la télévision et autres institutions de manière inégalée pour élire Hillary Clinton. Toute prétention d’« objectivité journalistique » a été mise de côté. La chaîne CNN est devenue la « Clinton News Network, » le réseau de nouvelles d’Hillary Clinton .
Néanmoins, les dirigeants capitalistes ont rapidement tourné la page.
Depuis les élections, lors d’entretiens et de déclarations, Donald Trump a fait marche arrière sur certains aspects de sa démagogie réactionnaire, tels que la construction d’un mur tout le long de la frontière mexicaine (il affirme maintenant qu’il s’agira de clôtures). À l’émission « 60 minutes » de la chaîne CBS, il a dit qu’il accordera la priorité à la déportation des immigrants qui possèdent « des casiers judiciaires, aux membres de gang et aux trafiquants de drogue, » ce que l’administration de Barack Obama fait.
Donald Trump a affirmé que le mariage homosexuel est une question réglée par la Cour suprême. Il a dit qu’il garderait certaines dispositions de l’Obamacare, y compris l’interdiction de refuser une couverture d’assurance à ceux qui souffrent déjà de maladie, et qu’il ne l’abrogerait que lorsque le Congrès adoptera une loi pour le remplacer. Par contre, il refuse catégoriquement de retirer son opposition au droit des femmes à choisir l’avortement.
Toutes ces questions sociales et politiques, qui sont le produit des attaques bipartisanes depuis des années, sont parmi celles qui demeurent des batailles importantes pour la classe ouvrière. Cela comprend la défense des musulmans et des mosquées à chaque fois qu’ils sont attaqués, peu importe où ou quand.
Alternative de la classe ouvrière indépendante
La démagogie de Donald Trump envers les problèmes auxquels font face les travailleurs n’a absolument pas contribué à développer la conscience de classe. Au contraire, tout ce qu’il défend vise à maintenir les travailleurs divisés et faibles, ce qui représente un danger pour la classe ouvrière et le mouvement ouvrier. Tout comme Barack Obama, Hillary Clinton et le Parti démocrate, il parle d’un « nous » sans contenu de classe afin de masquer le conflit irréconciliable entre les intérêts de la classe ouvrière et ceux des dirigeants capitalistes.
Jour après jour, tout au long de l’année et non seulement durant la campagne électorale, le Parti socialiste des travailleurs explique qu’il y a « trois partis et deux classes » en matière de politique américaine. Deux de ces partis sont ceux des patrons et des responsables des guerres, les démocrates et les républicains.
Puis, il y a le SWP, qui appuie les luttes et les revendications des travailleurs et des opprimés, et dont les activités et le programme ouvrier montrent une voie en avant vers la lutte pour le pouvoir ouvrier.
Au moment où le président élu forme son cabinet et que les dirigeants essaient de trouver une nouvelle voie pour stabiliser le capitalisme en crise, y compris leur système à deux partis, le SWP approfondit ses activités politiques au sein de la classe ouvrière. Les membres du parti frappent aux portes des travailleurs et s’engagent dans des discussions et des débats, qui demeurent tout aussi ouverts et vastes après les élections qu’auparavant. Ils expliquent pourquoi les travailleurs doivent s’unir en solidarité contre les attaques des patrons et leur gouvernement et construire notre propre parti politique.
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