Le président turc Recep Tayyip Erdogan utilise un attentat suicide perpétré par l’État islamique pour lancer un assaut contre les combattants pour les droits des Kurdes en Turquie et en Irak et pour engager davantage la Turquie dans la guerre civile en Syrie.
Le 23 juillet, Ankara a accepté de permettre à l’armée US d’utiliser la base aérienne d’Incirlik, stratégiquement située dans le sud de la Turquie, pour effectuer des bombardements contre les forces de l’État islamique.
L’accord comprend la création d’une zone tampon dans le nord de la Syrie par l’expulsion des combattants de l’État islamique d’une zone frontalière. Les dirigeants turcs voient cela comme un moyen de bloquer toute nouvelle avance territoriale des combattants kurdes en Syrie.
Washington, tout en offrant quelques mots de prudence, soutient l’offensive accrue d’Ankara contre les combattants kurdes.
Le 20 juillet, un attentat suicide perpétré en Turquie par l’État islamique dans la ville de Surac, ville à majorité kurde située à dix kilomètres de Kobané en Syrie, a tué au moins 32 personnes et en a blessé plus de 100 autres. Elles participaient à une réunion de quelque 300 membres de la Fédération des associations de la jeunesse socialiste qui avaient l’intention d’aller à Kobané pour reconstruire la ville à la suite de la dévastation causée par l’État islamique avant qu’il en soit chassé par les forces Kurdes en janvier. « Nous l’avons défendue ensemble et nous allons la reconstruire ensemble, » disait une des banderoles sur les lieux.
Le 24 juillet, des avions de chasse turcs ont effectué leur toute première attaque contre l’État islamique en Syrie. Ils ont commencé en même temps à bombarder des camps du Parti turc des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l’Irak pour la première fois depuis des années. Le Financial Times a rapporté que des avions militaires turcs ont frappé trois cibles de l’État islamique en Syrie ce jour-là et par la suite 75 avions ont frappé 48 cibles du PKK dans le nord de l’Irak.
Les frappes aériennes en Irak ont ciblé des entrepôts et des quartiers habités, endommageant des maisons de civils et blessant au moins plusieurs enfants, selon un communiqué des Forces de défense populaire, l’aile militaire du PKK. « Le cessez-le-feu a perdu tout son sens, » a déclaré l’organisation.
Pendant trois décennies, le PKK a mené une guerre de guérilla pour les droits et l’autonomie contre le gouvernement turc, jusqu’à un accord de cessez-le-feu en 2013. Washington et Ankara le qualifient d’organisation terroriste.
Raids « anti-terreur » en Turquie
Coïncidant avec les bombardements en Irak, la police turque a lancé des raids « anti-terreur » les 24 et 25 juillet dans 22 provinces, arrêtant quelques partisans de l’État islamique et beaucoup plus de combattants pour les droits des Kurdes. Plus de 1 000 personnes ont été arrêtées, dont des membres du PKK, de son organisation de jeunesse et du Parti démocratique du peuple (HDP), le parti pro-kurde qui a remporté 13 pour cent des voix lors des récentes élections et qui est entré au parlement pour la première fois.
À Istanbul, quelque 5 000 policiers ont été déployés sur 140 endroits répartis dans 26 districts. Des hélicoptères et des forces d’opérations spéciales ont appuyé les raids, a signalé Today’s Zaman. Des Kurdes et d’autres personnes se sont rassemblés dans un certain nombre de villes en Turquie et au-delà pour protester contre ces attaques. Dans la capitale Ankara, environ 1 000 personnes ont manifesté le 25 juillet malgré l’utilisation par la police de gaz et de canons à eau pour disperser la foule. Le gouvernement a interdit une manifestation appelée pour le lendemain à Istanbul mais des milliers de personnes s’y sont rendues malgré tout et ont déployé des affiches en soutien à ceux qui ont été tués à Surac. À Paris, 1 500 personnes ont défilé en soutien aux Kurdes.
« La Turquie joue un double jeu. Elle tente de convaincre les médias internationaux que c’est Daesh qu’elle frappe, mais en réalité ce sont les Kurdes qu’elle bombarde là-bas dans le nord de l’Irak, » a dit à l’agence Reuters, Saleh Mustapha, un médecin kurde et l’un des manifestants. Daesh est un nom arabe de l’État islamique.
Le 28 juillet, Erdogan a déclaré qu’« il est impossible pour nous de continuer le processus de paix, » et a encouragé le parlement à retirer leur immunité judiciaire aux politiciens qui ont des liens avec « des groupes terroristes. »
La zone tampon vise les combattants kurdes
Depuis les victoires remportées à Kobané en janvier et dans la ville frontalière stratégique de Tel Abyad en juin jusqu’aux récentes conquêtes contre l’État islamique à Hasakah dans le nord de la Syrie, les unités de protection du peuple kurde (YPG) ont prouvé qu’elles sont la force de combat la plus efficace sur le terrain contre l’État islamique. Elles contrôlent désormais environ les deux tiers des 896 kilomètres de frontière entre la Syrie et la Turquie.
En réaction à cela, Erdogan a précisé dans un discours donné le 26 juin que son gouvernement « ne permettra jamais » aux Kurdes d’établir un État « dans le nord de la Syrie. »
La capacité de combat des Kurdes et leur moral a convaincu des Arabes, des chrétiens et une faction de l’Armée syrienne libre, formée pour lutter contre le régime dictatorial du président Bachar al-Assad, de se joindre à eux. « Partout où se trouve le peuple syrien, on trouvera les YPG, » a dit Ilham Ahmed, membre du Conseil exécutif du Mouvement pour une société démocratique, affilié au PKK, selon mmediaNow. « Ils ont le droit d’être à Alep, Damas, Deir Ezzor, Raqqa et sur l’ensemble du territoire géographique de la Syrie. »
La zone tampon que les responsables turcs entrevoient vise à mettre un terme à de nouvelles avancées des forces dirigées par les YPG. La zone d’environ 88 km de long et 40 km de large, irait de l’est de la ville kurde d’Azaz à Jarablus et vers le sud jusqu’à la ville d’al-Bab, près d’Alep.
Le plan consiste à repousser les forces de l’État islamique hors de ce territoire par des frappes aériennes conjointes d’Ankara et de Washington. Les réfugiés syriens actuellement en Turquie seraient alors déplacés dans cette zone par les autorités turques.
Le 24 juillet, l’armée turque, utilisant des tirs de chars intensifs, a bombardé des positions détenues par les forces dirigées par les YPG dans le village de Zormikhar, près de Jarablus sous contrôle de l’État islamique, blessant quatre combattants et plusieurs villageois locaux, a rapporté le commandement général des YPG. Une autre attaque a eu lieu deux jours plus tard.
« Plutôt que bombarder les positions des mercenaires de l’État islamique, l’armée turque bombarde nos positions, » a déclaré un communiqué des YPG.
Pendant ce temps, Assad a reconnu le 26 juillet que l’armée syrienne a dû « laisser tomber » de nombreuses régions et contrôle désormais moins de la moitié du pays. « Il y a une pénurie de main-d’œuvre » en raison des désertions et des défections, a-t-il dit dans un discours télévisé.
Le Washington Post a rapporté que des responsables iraniens et russes, les principaux alliés d’Assad, ont fait pression sur lui pour qu’il concentre ses forces pour maintenir un « corridor stratégique qui part de Damas, longe la frontière avec le Liban et se prolonge dans les zones côtières de l’ouest du pays. »