Le gouvernement allemand tombe alors que la crise politique s’aggrave en Europe

Roy Landersen
le 20 janvier 2025
German Chancellor Olaf Scholz, right, and Defense Minister Boris Pistorius, center, at Rheinmetall tank factory, Feb. 12, 2024. Moscow’s war in Ukraine, military rearmament by rival capitalist powers preparing for more wars have deepened political crisis of German rulers.
PHILIPP SCHULZE/AGENCE DE PRESSE ALLEMANDELe chancelier allemand Olaf Scholz, à droite, et le ministre de la Défense Boris Pistorius, au centre, à l’usine de chars Rheinmetall, le 12 février 2024. La guerre de Moscou en Ukraine, le réarmement militaire des puissances capitalistes rivales qui se préparent à de nouvelles guerres ont aggravé la crise politique des dirigeants allemands.

Le gouvernement allemand, dirigé par le Parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz, est tombé le 16 décembre après avoir perdu un vote de confiance au parlement. L’Allemagne, dont l’économie est la plus importante d’Europe, a un gouvernement intérimaire jusqu’aux nouvelles élections le 23 février.

La coalition très instable d’Olaf Scholz, qui comprenait les verts et les Démocrates libres, s’était désintégrée le mois précédent. La question litigieuse était de savoir s’il fallait mettre de côté le « frein à l’endettement », que Berlin s’était imposé en matière de dépenses publiques, afin de dégager des fonds pour tenter d’atténuer la crise économique en cours dans le pays.

Les dirigeants allemands et ceux de la France, deuxième puissance de l’Union européenne, sont tous deux en plein désarroi politique avec leurs économies enlisées dans la stagnation et l’endettement. Berlin est aux prises avec une crise de politique étrangère alors que l’instabilité provoquée par la guerre de Moscou contre l’Ukraine fait des ravages. La concurrence avec leurs rivaux, en particulier les dirigeants des États-Unis et de la Chine, s’intensifie pour les marchés et les ressources. Et les travailleurs de toute l’Europe résistent aux efforts des dirigeants pour leur faire porter le fardeau d’une crise dont ils ne sont pas responsables.

Pendant des décennies, les familles dirigeantes de l’Allemagne et, dans une moindre mesure, de la France ont profité de leur domination sur l’UE pour s’enrichir sur le dos des travailleurs, notamment en écrasant leurs rivaux plus faibles en Grèce, en Italie et ailleurs dans le sud de l’Europe.

À mesure que la crise financière mondiale de 2008 se développait, le capital financier allemand et français a exigé des dirigeants de la Grèce et d’autres pays qu’ils règlent le problème de la montée en flèche de leur dette en sabrant dans les dépenses sociales, forçant ainsi les travailleurs à en supporter le fardeau. Aujourd’hui, ces économies se portent mieux que celles de leurs voisins du Nord.

Le quatrième gouvernement français en un an est entré en fonction le 23 décembre. L’impasse politique s’aggrave depuis que le président Emmanuel Macron a convoqué en juin des élections anticipées qui n’ont permis à aucun parti d’obtenir la majorité.

La guerre de Poutine alimente la crise allemande

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine en février 2022, les puissances capitalistes du monde entier, y compris Berlin, ont entrepris de renforcer leurs armées. Leur objectif est de se positionner pour défendre leurs sources de matières premières, leurs marchés d’exportation et leurs profits aux dépens de leurs rivaux.

Les dirigeants allemands ne peuvent plus se contenter de compter sur le parapluie nucléaire américain et l’alliance de l’OTAN pour défendre leurs intérêts.

Berlin est le deuxième fournisseur d’armes de l’Ukraine après les États-Unis, mais il résiste aux demandes répétées de Kyiv pour des missiles à longue portée. Washington a redéployé des missiles de croisière en Allemagne l’année dernière, une décision qui a obtenu le soutien de tous les partis à Berlin. Mais un responsable du Parti social-démocrate a fait remarquer que « nous entrons dans une spirale où le monde devient de plus en plus dangereux ».

Olaf Scholz et son principal adversaire, Friedrich Merz, dirigeant des chrétiens-démocrates, sont fortement divisés sur la politique étrangère. Friedrich Merz a déclaré que son rival justifiait son soutien mitigé à Kyiv en attisant les « craintes de guerre », tandis que Scholz l’accuse de « jouer à la roulette russe avec la sécurité de l’Allemagne » en lançant des ultimatums à Moscou.

Olaf Scholz qualifie Friedrich Merz et son ancien partenaire de coalition Robert Habeck, chef des verts, de « têtes brûlées » qui pourraient entraîner Berlin dans une guerre avec Moscou. En même temps le ministre de la Défense de Scholz, Boris Pistorius, fait pression pour que la dette de l’Allemagne soit augmentée afin de financer un renforcement militaire plus rapide. « Si Poutine attaque, nous devons être en mesure de faire la guerre », a-t-il déclaré le 21 décembre.

Depuis que Moscou a envahi l’Ukraine, Washington a porté à 50 000 le nombre de ses troupes permanentes déployées en Allemagne. Et il entrepose des armes nucléaires dans l’une de ses deux bases aériennes. Des milliers d’autres soldats américains sont en rotation en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie.

Dans le contexte de la crise capitaliste qui frappe particulièrement les travailleurs de l’Allemagne de l’Est, l’Alternative pour l’Allemagne, un parti bourgeois plus conservateur, a gagné en popularité. Les commentateurs libéraux et la gauche de la classe moyenne voient toute la politique comme un clivage gauche-droite, déplorant la montée en puissance de l’« extrême droite » dans toute l’Europe. Ils sont incapables de voir les antagonismes de classe sous-jacents qui s’approfondissent aujourd’hui.

Les licenciements et les actions syndicales se multiplient

Pendant des décennies, l’industrie allemande a été dépendante des importations de gaz bon marché en provenance de la Russie. L’invasion de l’Ukraine par Poutine a mis fin à cette dépendance. La transition de Berlin vers des cargaisons de gaz naturel liquéfié a provoqué une hausse des prix de 40 %.

Les prix de l’électricité en Allemagne sont désormais les plus élevés d’Europe. Les prix de l’électricité dans l’UE sont presque deux fois plus élevés qu’aux États-Unis et en Chine, deux pays qui dépendent du charbon et du gaz. Dans le cadre des efforts déployés par les dirigeants allemands pour assurer un avenir « vert », Berlin a fermé ses trois dernières centrales nucléaires en 2023 et a l’intention d’abandonner progressivement la production d’électricité à partir du charbon. De nombreux Allemands utilisent désormais un nouveau terme pour décrire les pénuries d’électricité en hiver, lorsque l’énergie solaire et éolienne du pays diminue : le « Dunkelflaute », ou « marasme noir ».

Dans un contexte d’affaiblissement des marchés mondiaux, de baisse des taux de profit et d’intensification de la concurrence, les puissances capitalistes cherchent à exercer des droits de douane en représailles. L’UE élève désormais des barrières protectionnistes au rythme le plus rapide depuis 15 ans

Depuis 2018, la production industrielle a diminué de plus de 12 % en Allemagne, troisième pays exportateur au monde. Les patrons ont réagi en annonçant des plans de suppression de plus de 60 000 emplois, ce qui a déclenché des grèves et des protestations de la part des syndicats. Ces suppressions sont concentrées dans l’industrie automobile.

Thyssenkrupp, le plus grand fabricant d’acier d’Allemagne, a annoncé qu’il supprimerait 40 % de sa force de travail, qui comprend 27 000 employés, d’ici à 2030. Bosch, le grand fournisseur de pièces automobiles, compte licencier jusqu’à 10 000 travailleurs. L’industrie automobile allemande est confrontée à des pressions concurrentielles de plus en plus fortes, notamment de la part de la Chine.

Le 29 octobre des milliers de travailleurs allemands ont organisé des grèves dans tout le pays pour réclamer des hausses de salaires. Les travailleurs ont débrayé chez Porsche, BMW et Mercedes.

Au cours des cinq dernières années, les ventes de Volkswagen ont chuté de 50 % en Chine, son marché le plus rentable, et d’environ 500 000 voitures en Europe. Les patrons de VW ont récemment annoncé leur intention de fermer plusieurs usines allemandes au nom de la « compétitivité à long terme ».

Les travailleurs allemands de l’automobile ont organisé des débrayages et des rassemblements à deux reprises en décembre, et leurs syndicats ont menacé d’étendre la grève si les patrons allaient de l’avant avec les fermetures et les mises à pied. Olaf Scholz et d’autres hommes politiques ont déclaré qu’ils s’opposaient à toute fermeture d’usine, du moins avant les prochaines élections.

Les patrons de VW ont réagi en concluant un accord. Les officiers syndicaux ont accepté de réduire les salaires des travailleurs en échange d’une « réduction de la capacité des usines allemandes, mais sans fermetures ». VW déclare maintenant qu’elle supprimera 35 000 emplois au cours des cinq prochaines années par le biais de départs à la retraite et de licenciements volontaires.