MONTRÉAL — Le 7 avril, un arbitre nommé par le gouvernement fédéral a imposé une nouvelle convention collective à quelque 6 000 chefs de train, conducteurs, chefs de triage et aiguilleurs du Canadien national. Ces travailleurs sont membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada. Le ministre du Travail libéral Steven MacKinnon avait ordonné l’arbitrage obligatoire en août après avoir déclaré illégale leur grève combative de 17 heures.
Pour la première fois en près de 60 ans, les membres des Teamsters du CN et du Canadien Pacifique Kansas City (CPKC), les deux chemins de fer transcanadiens, ont fait grève ensemble. Les deux employeurs ont imposé un lockout en même temps, cherchant à obtenir l’intervention du gouvernement. Depuis, les autorités fédérales ont ordonné la fin d’autres grèves importantes : celle des travailleurs des ports de Montréal, Vancouver et Québec et celle, nationale, des travailleurs et travailleuses des postes.
Le contrat imposé aux 3 000 Teamsters du CPKC n’a pas encore été annoncé.
« Les demandes du CN étaient (et demeurent) totalement inacceptables tout au long du processus de négociation. La Compagnie n’a pas cédé sur ce qu’elle considérait comme des changements opérationnels nécessaires », a déclaré la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada après la publication de la décision de l’arbitre. « La CFTC n’a jamais pu accepter ces demandes de concessions.
« Bien que ce ne soit pas le résultat souhaité par la CFTC, il faut comprendre que la sentence ne contient aucune des concessions importantes recherchées par l’entreprise », a déclaré le syndicat. Le contrat de trois ans prévoit une augmentation de 3 pour cent par année et des améliorations mineures aux prestations de santé.
« Ils appellent cela un “nouveau” contrat, mais c’est le statu quo avec de petites augmentations », a déclaré au Militant Alexander Famili, chef de train au Canadien national à Montréal, reflétant ce que pensent de nombreux cheminots.
Les demandes initiales du CN comprenaient des journées de travail plus longues, le déplacement forcé des travailleurs ayant moins d’ancienneté dans tous les coins du pays et des équipes réduites. Les travailleurs des deux compagnies ferroviaires ont voté à 98 pour cent en faveur de la grève, un rejet massif des demandes patronales.
« Le rapport de l’arbitre explique que les travailleurs se battent pour un meilleur équilibre travail-famille, mais que cela doit être négocié entre l’entreprise et le syndicat », a dit au Militant Dustin Saunders, un conducteur de train de Colombie-Britannique qui travaille pour le CN depuis 2005. « Comment pouvons-nous négocier si nous n’avons pas le droit de grève ? »
La convention collective imposée par le gouvernement n’aborde pas les deux questions les plus pressantes auxquelles font face les cheminots : les conditions de travail dangereuses et le droit de grève.
Les chemins de fer « critiques pour la sécurité au travail »
« Les chemins de fer demeure l’un des secteurs les plus critiques sur le plan de la sécurité au travail et les plus exigeants sur le plan physique dans ce pays. Nos membres […] font face à des risques quotidiens pour assurer le transport sécuritaire et fiable des marchandises et des passagers à travers le Canada », a déclaré la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada dans un communiqué publié à l’occasion de la Journée de commémoration des travailleurs, le 28 avril.
Depuis le lock-out, le conducteur de train Luke Lumley, qui travaillait pour la compagnie Ontario Northern à North Bay, a été tué au travail. « Chaque décès sur le lieu de travail peut être évité », a dit le syndicat. « Chaque blessure est un appel à l’action. Et chaque membre a le droit de rentrer chez lui sain et sauf à la fin de son quart de travail. »
En mai 2023, Transport Canada a imposé de nouvelles « Règles relatives aux périodes de service et de repos », affirmant qu’elles reflètent les « dernières avancées scientifiques en matière de fatigue ». La fatigue est un problème grave dans les chemins de fer.
Bien que les nouvelles règles aient limité certaines des pratiques de travail les plus extrêmes, elles fixent toujours une période de travail continue maximale de 12 heures, une semaine de 60 heures et un minimum de 12 heures de repos après avoir quitté le travail. Les patrons du CN et du CPKC ont fait pression pour que ces règles deviennent la nouvelle norme dans les chemins de fer. Au Canadian National, les chefs de train et les mécaniciens ont obtenu le droit de mettre fin à leur service après 10 heures s’ils sont trop fatigués, ou après 9 heures s’il s’agit d’un aiguilleur de gare de triage. Tout travailleur qui n’est pas inscrit sur la liste d’appel peut bénéficier de 14 à 24 heures de repos après un quart de travail.
La première grève conjointe des travailleurs du Canadian National et du Canadian Pacific a eu lieu en 1950. Elle a donné lieu au premier recours par le gouvernement à une loi de retour au travail dans l’histoire du Canada. En plus des cris habituels des patrons et de leurs alliés dans les médias capitalistes pour qui la grève constituait une menace pour l’économie, la grève a aussi été condamnée comme « antipatriotique » parce qu’elle survenait au beau milieu de la participation d’Ottawa à la guerre menée par les États-Unis contre le peuple coréen. Depuis, les gouvernements libéraux et conservateurs ont adopté à cinq reprises des lois antigrèves contre les cheminots.
Pour la première fois l’an dernier, l’ordonnance de retour au travail n’est pas passée par le Parlement. Le ministre du travail s’est appuyé sur l’article 107 du Code canadien du travail qui stipule que « pour maintenir ou assurer la paix sociale et favoriser les conditions propices au règlement des litiges ou des conflits du travail », le ministre lui-même peut ordonner au Conseil canadien des relations industrielles de prendre des mesures.
Le ministre du travail a ordonné à ce conseil non élu de mettre fin à la plus grande grève des chemins de fer depuis des décennies et d’imposer un arbitrage obligatoire. Le syndicat a levé les lignes de piquetage et fait appel auprès de la Cour d’appel fédérale.
Philippe Tessier est chef de train au Canadien national à Montréal et membre du syndicat des Teamsters.