De l’Europe à l’Amérique du Nord, les hauts dirigeants syndicaux et autres forces prétendant parler dans l’intérêt des travailleurs font campagne contre les politiques dites d’austérité des différents gouvernements. Face à la crise mondiale du capitalisme, ces forces ont rejoint le chœur les factions « progressistes » de la bourgeoisie qui soutiennent que « l’austérité » est une politique gouvernementale erronée pour promouvoir la croissance économique, et par conséquent mauvaise pour les travailleurs.
Ce sujet soulève d’importantes questions sur la nature du capitalisme et de la puissance de l’État alors que dans le même temps les travailleurs commencent à résister et débattre sur la façon la plus efficace de faire face aux attaques chaque fois plus intenses des patrons et de leurs gouvernements.
Les lecteurs du Militant ont peut-être remarqué que le journal a cessé d’utiliser le terme « austérité » pour décrire ces attaques car cela obscurcit les véritables intérêts de classe qui s’opposent.
Cette crise plonge ses racines dans un ralentissement de la production, du commerce et de l’emploi. Parmi ses manifestations financières, les gouvernements capitalistes ont dû faire face à des déficits budgétaires trop élevés par rapport à la production. C’est un problème pour les capitalistes car cette situation demande une dévaluation de la monnaie et l’augmentation des impôts — cette dernière agissant en fin de compte comme une ponction sur leurs profits.
Le gouvernement de la Grèce, un des cas les plus criants aujourd’hui, a accumulé des dettes qu’il ne peut rembourser aux particuliers fortunés, aux banques et aux institutions financières qui menacent de provoquer la faillite de l’État et l’effondrement du système bancaire du pays ou provoquer des répercussions immédiates sur la stabilité capitaliste en Grèce et ailleurs. Les dirigeants de la Grèce ont fortement réduit les dépenses publiques et augmenté les impôts, un cours qu’ils appellent austérité. En même temps, ils réagissent à la crise économique par des licenciements, des réductions de salaires et des attaques contre les syndicats.
Aux États-Unis, les deux partis des patrons — les Démocrates et les Républicains — sont arrivés au consensus suivant : dans les conditions actuelles, ils doivent prendre des mesures pour réduire leur déficit budgétaire. Mais ils se disputent âprement sur l’ampleur et la rapidité des mesures, quelles réductions effectuer, comment harmoniser leurs politiques fiscales et comment utiliser les politiques fiscales et monétaires pour « stimuler » l’économie (qui, au mieux, retardent certains symptômes financiers de la crise économique.)
Ce débat se déroule sous le thème fallacieux d’« austérité » contre « relance », chaque côté affirmant que son plan est le meilleur chemin vers la croissance économique — chose qui en réalité n’est déterminée ou influencée par aucune politique gouvernementale.
Et les deux côtés en appellent au soutien des travailleurs et cherchent à nous convaincre que leur budget est quelque chose qui devrait nous préoccuper alors que les deux visent à défendre et à stabiliser à nos dépens le système d’exploitation capitaliste. Sur ce terrain, le camp « anti-austérité », dirigé par le Parti démocrate obtient de l’aide des hauts dirigeants syndicaux.
À certains égards, il est plus nuisible pour la classe ouvrière de se mettre à la remorque de la faction libérale « anti-austérité ». Cela repose sur l’illusion dangereuse que « le gouvernement » peut être une force capable de maîtriser les excès du capitalisme financier, de faire fonctionner « l’économie » et de « fournir » les services dont les travailleurs ont besoin — favorisant des attitudes de dépendance à l’égard des bureaucraties gouvernementales des classes possédantes par opposition à la solidarité, la confiance et la combativité de la classe ouvrière.
La logique de la campagne « anti-austérité » est que plus le gouvernement est gros, mieux c’est. Contrairement à la croyance populaire, le point de vue du mouvement communiste a toujours été à l’opposé, qu’il s’agisse d’un gouvernement représentant le pouvoir d’État des capitalistes exploiteurs ou d’un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et des agriculteurs. En parlant de la Commune de Paris de 1871 qui a duré 72 jours, le premier gouvernement ouvrier de l’histoire, le dirigeant communiste Karl Marx écrivait : « La Commune fait du mot d’ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement minimal, une réalité, en abolissant ces deux grandes sources de dépenses : l’armée permanente et le fonctionnarisme d’État. »
« Les mesures d’austérité financière, comme celles qui ont été prises par les pays européens, détruisent des emplois, augmentent l’inégalité et alimentent vraisemblablement le manque de confiance de la population envers le gouvernement, » affirmait Richard Trumka, président de l’AFL-CIO, à Paris le 28 mai dernier lors d’un événement financé par l’Organisation pour la coopération et le développement économique.
Selon le rapport de l’AFL-CIO intitulé Maintenant publié pendant le forum de l’OCDE, Trumka a exposé une série de « politiques alternatives visant à ‘relancer une croissance inclusive et durable riche en emplois.’ » Parmi celles-ci on trouvait « une politique monétaire et fiscale centrée sur la création d’emplois et la croissance » ainsi que d’autres propositions avancées par Obama lors de ses discours d’investiture et sur l’État de l’union au début de l’année — aucune d’elles n’ayant créé ou pouvant créer le moindre emploi.
Les définitions classiques de l’austérité gouvernementale manquent de contenu historique ou de classe — les gouvernements qui « se serrent la ceinture » ne sont que des appareils de l’état bourgeois, pas les familles de la classe ouvrière tentant de joindre les deux bouts.
Depuis leur instauration en Europe et en Amérique du Nord, les gouvernements capitalistes ont financé leurs déficits budgétaires en vendant des bons du Trésor et autres dettes aux familles puissantes, aux grandes banques et à d’autres bailleurs de fonds capitalistes.
L’intérêt tiré de ces prêts est une source considérable d’enrichissement pour toute une couche de grandes familles capitalistes. Lors de la seule année fiscale 2014, 223 milliards de dollars ont été alloués par Washington au service des intérêts de la dette. Des paiements similaires ont été faits aux niveaux des états et des municipalités.
La raison d’être de l’État bourgeois est de maintenir et de défendre les relations sociales capitalistes — par-dessus tout la propriété privée des moyens de production — contre les compétiteurs capitalistes dans les autres pays et contre ceux, à l’intérieur, dont le travail est exploité par ces relations sociales, c’est à dire nous. C’est pourquoi une proportion aussi substantielle des budgets étatiques est allouée aux flics, aux tribunaux, aux prisons, à l’armée et aux autres appareils de répression. Les travailleurs n’ont aucun intérêt à dire aux dirigeants capitalistes comment ils devraient gérer leurs gouvernements.
Beaucoup de « services sociaux » utilisés par les travailleurs sont des concessions qui ont été arrachées aux capitalistes par les travailleurs en lutte, bien qu’ils soient souvent dilués et contradictoires dans la pratique. Chaque sou est « payé » par de la richesse créée par notre travail. Nous sommes supposés nous sentir « reconnaissants » et dépendants des miettes de plus en plus éparses dispensées par une bureaucratie gouvernementale pléthorique.
Nous avons surtout besoin d’une action politique ouvrière ayant un cours de lutte de classe, indépendante des partis politiques des patrons. C’est à travers les expériences communes dans la lutte que nous, les travailleurs, pouvons renforcer notre unité, notre organisation, notre confiance en nous-mêmes, notre conscience de classe et la clarté de notre vision politique — et en venir à prendre conscience que le gouvernement des patrons est un instrument de répression de classe qui ne peut pas être réformé, pas plus que le capitalisme ne peut être changé pour servir les besoins économiques et culturels de l’humanité travailleuse.
Sur ce chemin, les travailleurs peuvent se développer en hommes et femmes capables de mener un mouvement révolutionnaire de millions de personnes pour arracher le pouvoir politique des mains de la classe propriétaire, établir un gouvernement des travailleurs et des agriculteurs et l’utiliser pour transformer les relations sociales sur la base de la solidarité de la classe ouvrière, pas du profit.
Ce qui remplacera le gouvernement capitaliste n’est pas une version socialiste du gros État « providence » mais plutôt un gouvernement minimal qui défendra les intérêts des travailleurs et de leurs alliés contre la réimposition du règne capitaliste durant la période de transition vers la disparition totale du gouvernement.