« Quiconque est né ici est un Dominicain, » a dit Lumatiel Michel, 58 ans, par téléphone au Militantle 21 octobre à partir de Paraíso de Barahona, une ville en République dominicaine non loin de la frontière avec Haïti. « Ils ne peuvent pas du jour au lendemain retirer à quelqu’un sa nationalité. »
Il faisait allusion à la décision du 23 septembre de la Cour constitutionnelle selon laquelle les Dominicains nés après 1929 ne sont plus citoyens si leurs parents ne sont pas résidents permanents légaux. Il y a quelque 300 000 Dominicains d’origine haïtienne qui font face à une série de problèmes, y compris une éventuelle expulsion. Il y a en outre presque un million d’Haïtiens qui travaillent et vivent en République dominicaine.
Originaire d’Haïti, Lumatiel Michel vit en République dominicaine depuis 1974. Il a passé plus d’une décennie à couper la canne à sucre. Il s’est impliqué dans la lutte pour défendre les droits des Haïtiens dans ce pays depuis 1977 et travaille maintenant à plein temps pour le Comité dominicain-haïtien des droits de l’homme.
« Si vous n’avez pas de papiers, vous ne pouvez pas étudier, vous ne pouvez pas obtenir la sécurité sociale. Beaucoup d’emplois vous sont interdits. Si nous sommes unis, nous pouvons faire beaucoup de choses. Nous pouvons nous battre pour le droit des immigrants et des Dominicains-Haïtiens d’aller à l’école. »
Pendant des décennies, les propriétaires de plantations de cannes à sucre et de bananiers ont profité de l’énorme pauvreté en Haïti, leur pays voisin, comme source de main-d’œuvre à bon marché. Les Haïtiens et leurs descendants, nés en République dominicaine, ont été confrontés à une discrimination généralisée à l’embauche, au logement, à l’éducation et à l’accès aux services gouvernementaux.
Aujourd’hui, presque tous les coupeurs de canne sont des Haïtiens et vivent souvent dans des cabanes sans électricité ni eau courante. La grande majorité des travailleurs de la construction dans le pays sont des Haïtiens ou Dominicains d’origine haïtienne, tout comme environ un tiers des travailleurs domestiques.
Jusqu’à récemment, la constitution disait que tous ceux qui sont nés dans le pays en sont citoyens, à l’exception des enfants de diplomates et de visiteurs « en transit, » c’est-à-dire pendant moins de 10 jours. Mais cela n’a pas empêché le gouvernement de procéder à des déportations massives incluant certains qui sont nés dans le pays ou qui ont un permis de travail du gouvernement. En 1991, rapporte le New York Times, « plus de 50 000 Haïtiens et Dominicains à la peau foncée » ont été expulsés par le président Joaquín Balaguer. Environ 37 000 ont été expulsés en 2003 et presque 25 000 en 2005.
En 2004, le gouvernement du président Leonel Fernández a fait passer une loi établissant que les travailleurs n’ayant pas reçu un permis de résidence du gouvernement étaient en transit, y compris les travailleurs agricoles avec des permis temporaires, peu importe depuis combien d’années ou de dizaines d’années ils vivaient là-bas.
En 2007, le Bureau central électoral, en charge du registre civil du pays, a donné des instructions à ses agences pour qu’elles refusent de donner des certificats de naissance et des cartes d’identité à ceux qui ont une citoyenneté « douteuse ». Les certificats de naissance ne sont valables que pour trois mois mais sont nécessaires pour obtenir une carte d’identité, se marier, s’inscrire à l’école, postuler pour certains emplois et même obtenir un contrat de téléphone cellulaire.
Beaucoup de ceux qui ont vécu toute leur vie en République dominicaine, qui ne sont jamais allés en Haïti et ne parlent pas le créole haïtien, se sont fait dire que leur nom sonnait haïtien ou bien qu’ils avaient un physique haïtien et se sont fait refuser les papiers.
Leonel « Fernández a été l’architecte de cette machination anti-haïtienne, » a dit Juan Telemín par téléphone depuis Guaymate le 22 octobre. Juan Telemín est le coordinateur national de Reconoci.do, formé à la fin de 2010 pour lutter contre les mesures anti-haïtiennes de plus en plus nombreuses.
Une nouvelle constitution a été adoptée en 2010. Elle empêche dorénavant les enfants de quiconque « résidant illégalement sur le territoire dominicain, » d’obtenir la citoyenneté. Il n’y a pas eu de protestations à l’époque « parce que nous pensions que ceux d’entre nous qui étaient déjà ici ne seraient pas concernés, a dit Juan Telemín. Nous ne pensions pas que c’était prudent. Mais ils n’ont pas simplement pris un ongle ou un doigt, ils ont pris le bras tout entier. »
Le bras tout entier, a dit Juan Telemín, c’est le jugement de septembre de la Cour suprême constitutionnelle qui rend rétroactif le refus de citoyenneté.
La décision a suscité un débat intense. « Au nom de l’ordre, de la paix publique et de la préservation de la nationalité et de la patrie, » a écrit le journaliste Matías Bosch dans Listin Diario, « un véritable apartheid social est en train d’être mis en place. »
Plusieurs centaines de personnes, pour la plupart Haïtiens-Américains et quelques Dominicains ont protesté à New York le 17 octobre contre la décision.
« Je pense que c’est une honte, » a dit le travailleur des transports publics Charles Joseph au cours de l’action. « Le monde entier doit savoir ce qui se passe en République dominicaine et protester jusqu’à ce qu’ils reviennent en arrière. »