Les manifestations soutenues en Ukraine contre la politique étrangère pro-russe de Kiev sont le signe d’une crise politique croissante, marquée par des luttes de factions entre des couches sociales privilégiées rivales basées dans les moitiés est et ouest du pays. Le catalyseur est la lutte d’influence entre les dirigeants impérialistes des États-Unis et d’Europe, d’une part, et le régime de la police secrète qui représente les intérêts d’une couche montante de capitalistes en Russie, de l’autre.
Moscou a remporté la dernière manche le 17 décembre lorsque le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a signé un accord avec la Russie qui baisse de 400 à 268,50 $ le prix de 1000 mètres cubes de gaz importé et comprend un plan de sauvetage de 15 milliards de dollars pour éviter la faillite du gouvernement. Des dizaines de milliers de personnes ses sont rassemblées à Kiev et ont accusé Viktor Ianoukovitch de vendre l’Ukraine au plus offrant.
Les manifestations à la place de l’Indépendance à Kiev ont commencé en réponse à l’annonce par Viktor Ianoukovitch, le 21 novembre, de sa décision de ne pas signer des accords pour intégrer le bloc commercial de l’Union européenne (UE) et de maintenir ses relations économiques et politiques étroites avec la Russie. Après une attaque de la police sur un petit groupe d’étudiants le 1er décembre, les rassemblements antigouvernementaux ont gonflé à des dizaines de milliers de personnes et le week-end à des centaines de milliers. Les participants sont principalement des jeunes qui viennent de la partie occidentale du pays.
Au cours des dernières semaines, des milliers de personnes ont campé sur la place, fortifiant leurs positions avec des barricades et des barrages. Le 14 décembre, le gouvernement a organisé une contre-mobilisation de plusieurs dizaines de milliers de personnes pour appuyer Viktor Ianoukovitch.
Les événements qui se déroulent en Ukraine ont des racines historiques dans le cours anti-ouvrier des gouvernements de l’Union soviétique et du bloc de l’Est après la confiscation du pouvoir politique par des couches sociales privilégiées bureaucratiques dans les années 1920 — un cours qui a conduit à leur effondrement au début des années 1990. Depuis lors, les restes des castes bureaucratiques en Ukraine et dans le reste du bloc soviétique ont pris des mesures pour réimposer l’exploitation capitaliste sur la classe ouvrière. La crise sociale qui en a résulté est aujourd’hui exacerbée par l’aggravation de la crise du capitalisme à l’échelle mondiale.
Avec des racines dans les différentes industries et autres sources de capitaux, certains capitalistes émergents se sont tournés vers des liens traditionnels avec Moscou, tandis que d’autres se tournent vers de nouvelles possibilités de s’intégrer économiquement de manière plus étroite avec l’Europe de l’Ouest.
Les conflits entre les différentes factions de nouvelles couches capitalistes ont explosé autour de l’élection présidentielle de 2004. Viktor Ianoukovitch, qui a émergé de l’industrie du charbon de l’est, gérée par le gouvernement et avec des liens étroits avec la Russie, a prétendu en être le vainqueur. Son adversaire, Viktor Iouchtchenko, provenait de l’appareil bancaire de l’État et s’orientait vers Washington et les gouvernements capitalistes en Europe. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour appuyer Viktor Iouchtchenko et une rupture avec la Russie. Mais son règne a pris fin six ans plus tard au milieu d’un mépris croissant pour les malversations et la corruption de son gouvernement, créant les conditions pour que Viktor Ianoukovitch et sa clique gagnent les élections.
Les forces qui dirigent l’opposition sont des partis capitalistes avec des sièges au parlement ukrainien. L’un des principaux groupes qui organisent les manifestations est le parti de la Patrie de la dirigeante en prison de l’opposition Ioulia Tymochenko, qui représente les oligarques en déclin.
L’UDAR — qui veut dire « coup » en français — est dirigé par Vitali Klitschko, un ancien champion boxeur poids lourd qui a acquis sa richesse en dehors de tout lien avec la politique ukrainienne et qui se présente comme un sauveur, un combattant contre la corruption.
Le troisième parti sur la place de l’Indépendance est Svoboda. Le parti a été fondé au début des années 1990, mais ses origines remontent à l’armée partisane ukrainienne de la deuxième guerre mondiale, qui était vaguement liée à l’Allemagne nazie. Le dirigeant du parti, Oleg Tyagnibok, dit que « Le nationalisme, c’est l’amour de la patrie. » Il a fait une sortie contre une prétendue « mafia juive-russe » qui contrôlerait l’Ukraine. Les membres de Svoboda composent une bonne partie des bras qui défendent la place contre les flics.
Les oligarques qui rivalisent pour avoir des alliés de part et d’autre se basent sur des intérêts pragmatiques, pas des vues idéologiques sur la « démocratie », comme ce qu’affirme la presse des grandes entreprises en Europe et aux États-Unis.
Le Partenariat de l’est, auquel Viktor Yanukovich a dit non le 21 novembre, a été établi en 2007 dans le but d’intégrer la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Ukraine dans l’UE avec un retrait de tarifs sur les importations et les exportations.
Viktor Yanoukovitch a dit qu’il ne pourrait pas signer l’accord à cause de profondes coupures aux dépenses gouvernementales et aux entreprises étatiques que demandait le Fonds monétaire international pour accorder un prêt d’une part et des menaces de sanctions économiques de Moscou de l’autre. Le 15 décembre, l’UE a suspendu les négociations avec l’Ukraine, affirmant que les mots et les actions de Viktor Yanoukovitch étaient contradictoires.
L’Ukraine, comme d’autre pays dans la région, traverse actuellement une crise économique et financière aiguë. Le gouvernement a besoin de 18 milliards de dollars d’ici mars 2014 pour reconduire sa dette et payer de grandes factures de pétrole et de gaz à la Russie. En plus du sauvetage économique et des prix plus bas sur le gaz, Moscou a également promis de reprendre les approvisionnements de pétrole pour une raffinerie après un arrêt de trois ans.
L’Ukraine s’appuie sur la Russie pour environ 60 pour cent de sa consommation de gaz et le gouvernement russe a coupé le gaz à deux reprises au cours des sept dernières années. Depuis juillet, Moscou a imposé des restrictions économiques qui ont coûté à l’Ukraine deux milliards de dollars.
Le président russe Vladimir Poutine a dit que l’accord « ne comporte aucune condition » et que la question de faire entrer l’Ukraine dans l’accord sur les frais de douane et les échanges entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan n’avait pas été discutée.
L’Ukraine est le grenier traditionnel de la Russie, une source-clé d’acier, de charbon et un accès à des ports en eau chaude sur la mer Noire.
Toute la partie orientale industrialisée du pays — la base d’appuis traditionnelle de Viktor Yanoukovitch — a vu très peu de participation aux manifestations. La région est de Donbass rapporte le cinquième de la production industrielle et des revenus d’exportation de l’Ukraine. La Russie importe de la machinerie et des produits manufacturés alors que l’UE importe des métaux et des produits industriels légers.
Les liens culturels sont aussi plus forts. Ceux qui parlent la langue russe constituent 17 pour cent de la population ukrainienne alors qu’à Donbass, ils sont près de 40 pour cent.
Les industries locales dépendent des provisions et des marchés russes. La perspective de rejoindre l’UE n’est pas très populaire ici. « Avant de rejoindre quelque organisation internationale, l’Ukraine devrait d’abord développer notre propre économie, » a dit à la BBC une femme au foyer le 3 décembre. « Regardez nos pauvres pensionnaires qui vivent dans les files d’attente des soupes populaires. Je suis contre rejoindre l’UE. »