MONTRÉAL — La victoire avec 184 sièges du Parti libéral mené par Justin Trudeau dans les élections parlementaires fédérales canadiennes du 19 octobre a mis fin à neuf ans de gouvernement du Parti conservateur. Les conservateurs menés par Stephen Harper ont payé le prix des attaques de plus en plus importantes contre les travailleurs et les agriculteurs sur fond de conditions économiques qui se dégradent, de l’imposition de restrictions aux droits politiques et de pratiques de plus en plus autoritaires. Les sociaux-démocrates du Nouveau parti démocratique ont chuté à la troisième place avec 44 sièges, annulant des gains faits il y a quatre ans.
La seule voix ouvrière dans les élections a été la campagne de la Ligue communiste de Joseph Young, à Calgary en Alberta, et Beverly Bernardo, à Montréal.
Malmenée par la contraction mondiale de la production et des échanges capitalistes, particulièrement par le plongeon des prix du pétrole, l’économie canadienne est entrée en récession en 2015. Le chômage officiel est monté à 7,1 pour cent en septembre. En Alberta, province riche en pétrole et auparavant en plein essor, les demandes d’allocations chômage ont bondi de 82 pour cent au cours de la dernière année alors que les entreprises du pétrole ont congédié des milliers de travailleurs. Le 30 septembre, Husky, une compagnie importante de pétrole basée à Calgary, a annoncé 1 400 licenciements. De nombreux travailleurs et certaines couches de la classe moyenne ont conclu que les mesures des conservateurs pour leur faire porter le fardeau de la récession capitaliste sont responsables de la dégradation de leurs conditions. Le slogan « n’importe qui sauf Harper » a été souvent affiché aux rassemblements syndicaux et aux protestations sociales.
Le gouvernement Harper « est devenu, avec une majorité parlementaire, rigide jusqu’à la sclérose, inaccessible aux medias, autoritaire et grincheux, » a écrit Conrad Black, défenseur de longue date de Stephen Harper, dans un article paru le 18 octobre dans le New York Sun intitulé, « Le Canada s’apprête à voter pour savoir s’il faut réélire un maître d’école sadique. » Conrad Black a conclu qu’il était temps pour Harper de s’en aller, disant que Justin Trudeau « a mérité sa chance. »
Stephen Harper a attaqué les droits politiques. Il a fait adopter le projet de loi C-51 destiné à renforcer les pouvoirs de la police au nom du combat contre le terrorisme et le projet de loi C-24 qui donne au gouvernement le pouvoir de retirer la citoyenneté canadienne à ceux qui ont la double citoyenneté s’ils sont condamnés sur des accusations liées au terrorisme.
Il a tout fait pour faire adopter le projet de loi C-10 par le Parlement, une loi générale sur la criminalité qui introduit un grand nombre de peines obligatoires, qui juge des mineurs comme des adultes et interdit des alternatives à la prison telle l’assignation à domicile ou le service à la communauté.
Stephen Harper a insisté pour que les femmes musulmanes accédant à la citoyenneté canadienne soient privées du droit de porter un niqab couvrant le visage à la cérémonie. Justin Trudeau et le chef du NDP Thomas Mulcair se sont opposés à cette politique.
La campagne de la Ligue communiste
La Ligue communiste a mené une campagne ouvrière avec Joseph Young, qui s’est présenté dans Calgary Skyview et Beverly Bernardo dans Montréal Papineau. Tous les deux travaillent à Walmart. Ils se sont joints à des lignes de piquetage et ont participé à des manifestations pour la sécurité ferroviaire. Ils ont exigé le contrôle de la sécurité au travail par les travailleurs et l’abandon des fausses accusations portées contre Thomas Harding et Richard Labrie, deux cheminots qui risquent l’emprisonnement à perpétuité et que les patrons du rail et le gouvernement utilisent comme boucs émissaires pour la catastrophe ferroviaire de 2013 à Lac Mégantic au Québec.
Rojhat Dereli, un étudiant d’origine kurde, a accompagné Beverly Bernardo et les partisans de sa campagne lors d’une manifestation de 1 000 personnes à Lac-Mégantic le 11 octobre. « J’ai été très impressionné de voir une foule de gens se mobiliser parce qu’une question les touchait directement, » a-t-il dit au Militant.
Les candidats de la Ligue communiste ont demandé un programme massif de travaux publics financé par le gouvernement afin de mettre des gens au travail avec un salaire à taux syndical pour construire des infrastructures, des écoles, des garderies pour enfants et d’autres choses dont les travailleurs ont besoin. Ils ont défendu la lutte pour un salaire minimum de 15 $ l’heure et un syndicat. Ils se sont opposés à la participation du Canada à l’intervention de Washington en Syrie et ont participé à des actions pour protester contre les attaques du gouvernement turc contre les Kurdes, et contre le meurtre et la disparition de femmes autochtones. Ils ont montré la révolution cubaine comme un exemple pour les travailleurs et les agriculteurs au Canada. Ils ont appelé à la fin de l’embargo US contre Cuba et à la restitution de la base navale de Guantánamo.
Les candidats de la Ligue communiste ont expliqué que les travailleurs sont confrontés à des attaques de plus en plus fortes des patrons et de leurs gouvernements, peu importe le parti bourgeois au pouvoir. Les travailleurs doivent s’organiser indépendamment de tous les partis capitalistes et construire un parti ouvrier basé sur les syndicats qui peut unir les travailleurs en lutte sur un cours pour arracher le pouvoir des mains de la classe dirigeante capitaliste au Canada.
Les travailleurs à la recherche d’un changement ont placé le dirigeant du NPD Thomas Mulcair en tête des sondages au début de la campagne. Mais le NPD a repris à son compte la promesse de Stephen Harper d’équilibrer le budget. Justin Trudeau, par contre, s’est engagé à faire des déficits de 10 milliards de dollars au cours des trois prochaines années pour investir dans les transports publics, les soins de santé et le logement.
« Beaucoup de mes collègues voient le NPD comme une mauvaise option pour l’économie, » a dit au Militant Atakan Beyi, un mécanicien de climatisation à Calgary.
Le NPD, un parti social-démocrate fondé en 1961 avec un programme pro-capitaliste, a agi dès sa création comme le bras politique des syndicats hors Québec. Il n’a jamais été un parti révolutionnaire avec un programme ouvrier et il est devenu un parti basé sur l’idéologie, pas sur les organisations ouvrières, un autre parti bourgeois libéral. Il ne fournit plus un moyen pour les travailleurs de voter pour leur classe, même de façon déformée.
Les responsables syndicaux se sont tournés vers le « vote stratégique » pour battre les conservateurs, une autre façon de dire : n’importe qui sauf Harper. C’était essentiellement un appel aux travailleurs pour voter pour le Parti libéral. Le Congrès du travail du Canada a envoyé un message de félicitations à Justin Trudeau le 19 octobre en disant qu’il s’attendait à « un changement réel » sous un gouvernement libéral.
Justin Trudeau a annoncé qu’il mettra fin à la participation canadienne à la campagne de bombardements contre l’État islamique tout en conservant un rôle de formation pour les troupes canadiennes en Irak. Il a dit qu’il permettra à 25 000 réfugiés syriens d’entrer au Canada d’ici la fin de 2015.
Cette élection a également marqué la poursuite du déclin du Bloc québécois, un parti nationaliste bourgeois, qui ne présente de candidats qu’au Québec. Le BQ a remporté seulement 10 des 75 sièges du Québec au Parlement, encore moins que les 12 remportés par les conservateurs, tandis que les libéraux y ont remporté la majorité pour la première fois depuis des décennies.