Même en recourant à travers le pays à de plus en plus de violence contre des manifestants qui demeurent pacifiques, la junte militaire du Myanmar n’arrive pas à étouffer le mouvement massif contre sa prise de pouvoir le 1er février. Au 17 mars, la police et les soldats de l’armée du régime avaient tué plus de 217 personnes, en avaient blessé des centaines d’autres et avaient emprisonné plus de 2 100 personnes.
Au cours de la journée la plus sanglante depuis le coup d’État, au moins 71 manifestants ont été tués le 14 mars, dont 39 à Yangon, la plus grande ville du Myanmar. Les forces répressives ont également violemment attaqué des manifestations, notamment à Hpakan, le centre minier de jade dans l’État de Kachin, au nord-est du pays, à Mandalay, la deuxième plus grande ville du pays, et à Bago dans le sud-ouest. Mais les manifestants reviennent par dizaines de milliers.
La police et les soldats ont attaqué à répétitions des manifestants dans les quartiers ouvriers et industriels qui entourent Yangon, en particulier Hlaing Thar Yar, Nord Okkalapa et Shwepyithar, où se trouvent de nombreuses usines, parmi lesquelles d’immenses usines de vêtements. Les syndicats s’y battent depuis des années pour de meilleurs salaires et conditions de travail.
« Ils ne dispersent pas les manifestations. Ils ne font qu’assassiner brutalement les gens », a affirmé un manifestant de Hlaing Thar Yar à Irrawaddy, un site d’information basé à Yangon qui soutient le Mouvement de désobéissance civile.
Le général Min Aung Hlaing a réimposé la domination directe par l’armée le 1er février, quelques jours à peine avant la première réunion du parlement depuis la victoire écrasante remportée par Aung San Suu Kyi et sa Ligue nationale pour la démocratie aux élections de novembre 2020. Suu Kyi dirige le gouvernement depuis 2016.
Le 8 mars, 18 syndicats, fédérations syndicales et associations de travailleurs agricoles ont entamé une grève générale visant à renverser le régime. Avec les attaques du gouvernement contre les médias d’information et les fermetures fréquentes d’Internet et des services de téléphonie cellulaire, il devient plus difficile d’évaluer l’ampleur et l’impact de la grève.
Cependant, selon le site Web Frontier Myanmar, on peut s’en faire une idée à partir du fait que les grèves des chauffeurs de camion, des employés portuaires, des agents des douanes et du personnel d’autres organismes gouvernementaux ont interrompu le commerce maritime au port de Yangon.
Le 10 mars, pour tenter de briser la grève des chemins de fer, les policiers et les soldats ont expulsé 1 000 familles de cheminots de logements appartenant au gouvernement à Yangon. Les soldats ont dit aux travailleurs que leurs maisons seraient détruites au bulldozer et que leurs familles seraient abattues s’ils refusaient de partir. La police et les soldats ont confisqué du riz et d’autres biens donnés aux cheminots en solidarité avec leur grève.
Loi martiale dans six comtés
Des inconnus ont incendié des dizaines d’usines de confection à Yangon le 14 mars, portant ainsi un coup dur à la grève des ouvriers du vêtement et d’autres industries à travers le pays.
Ces attaques ont donné à la junte un prétexte pour déclarer la loi martiale dans 6 des 33 communes de Yangon. Celle-ci s’est accompagnée de procès devant des tribunaux militaires et de menace de peine de mort, pour 23 chefs d’accusation différents, y compris pour la diffusion de « fausses nouvelles » ou le fait d’avoir des liens avec des associations « illégales ».
On rapporte que ces attaques ont visé des propriétaires chinois, en raison du soutien de longue date de Pékin à l’armée. Alors que la plupart des usines frappées avaient des liens avec Pékin, au moins une d’entre elles appartenait à une entreprise taïwanaise et deux, à un détaillant japonais. Des employés de ces compagnies ont été blessés lors des attentats.
La colère contre le régime de Pékin n’a rien d’étonnant. Pékin est le plus grand fournisseur d’armes à l’armée du Myanmar et possède de nombreuses entreprises communes avec des compagnies appartenant à l’armée du Myanmar. Tout en demandant à la junte de protéger les usines qui appartiennent à Pékin, le gouvernement chinois a refusé de condamner le coup d’État, le qualifiant de « question interne » au Myanmar.
De nombreuses manifestations devant l’ambassade de Chine à Yangon ont appelé Pékin à changer de position et à condamner le coup d’État.
Avant le coup d’État, Pékin entretenait des relations amicales avec le haut commandement de l’armée et la Ligue nationale pour la démocratie, le parti bourgeois que Suu Kyi a contribué à fonder. Les dirigeants de Pékin se soucient peu de savoir qui fait partie du gouvernement du Myanmar, pourvu que ce dernier soutienne les intérêts économiques et politiques des dirigeants chinois.
En semblant viser des entreprises « chinoises », les incendies criminels constituent également une menace à l’unité des 135 minorités ethniques du Myanmar et pour le mouvement de protestation. C’est la domination coloniale britannique qui est responsables des divisions entre la majorité birmane, majoritairement bouddhiste, représentant près de 70 pour cent de la population, et des dizaines de minorités ethniques, dont les Chans, les Karens, les Rakhines, les Rohingyas, les Kachins, les Chins et les Chinois.
Lors d’une manifestation de 500 personnes le 13 mars à New York en solidarité avec la lutte contre le coup d’État militaire, je me suis entretenu avec Win Naing, qui est de la minorité ethnique chinoise au Myanmar.
« Certains au Myanmar ont dit que les Chinois ne s’intéressent pas à ce qui se passe, mais nous faisons partie du peuple birman », a-t-il expliqué. Après que Kyal Sin, une jeune femme de la minorité chinoise a été abattue lors d’une manifestation le 3 mars à Mandalay, « plus de gens ont pu voir que les personnes d’origine chinoise font partie de la lutte contre le coup d’État militaire ».
Linn Lunn HlaMyaing a indiqué au Militant qu’il fait partie de la majorité ethnique birmane au Myanmar. « Je dis à tout le monde que peu importe votre race, votre couleur ou votre religion, nous sommes tous des humains et nous devons tous nous unir contre la dictature militaire. »
La classe ouvrière du Myanmar a crû de manière fulgurante au cours de la dernière décennie en même temps qu’augmentaient les investissements étrangers. Dans la seule industrie de la confection, le nombre de travailleurs est passé de 340 000 en 2018 à quelque 700 000, pour la plupart des femmes, en 2020. Outre les entreprises basées en Chine, d’autres sont basées à Singapour, au Japon, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Elles profitent toutes des bas salaires au Myanmar.
Ces usines rassemblent des travailleurs de toutes nationalités, venus de la campagne, attirés par les possibilités d’emplois. Le Comité de grève générale des nationalités, composé de jeunes de 27 groupes ethniques, soutient fermement tous ceux « qui luttent de toutes les manières pour mettre fin à la dictature », a indiqué le groupe le 15 mars, après la dernière montée de violence de la part de la junte. « Nous sommes déterminés à nous battre ensemble jusqu’à ce que nous atteignions notre objectif ultime. »