Le candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi est devenu président de l’Égypte le 29 juin, moins d’un an et demi après que le Conseil suprême des forces armées a évincé le président Hosni Moubarak au milieu d’une vague de protestations contre sa dictature.
« Il n’y a maintenant pas de place pour le langage de la confrontation, » a déclaré après le vote Mohamed Morsi, le candidat du Parti de la Justice et de la Liberté des Frères musulmans. Son message visait non seulement à rassurer les généraux mais aussi à mettre en garde les travailleurs et les paysans qui utilisent le nouvel espace politique ouvert depuis la chute de Hosni Moubarak pour s’organiser et défendre leurs propres intérêts.
Mohamed Morsi a obtenu presque 52 pour cent des voix lors du deuxième tour de la présidentielle les 16 et 17 juin et a battu l’ancien général Ahmed Shafiq, le dernier premier ministre de Hosni Moubarak. Seulement 46 pour cent des électeurs admissibles ont participé au premier tour pendant lequel une gamme de candidats bourgeois a rivalisé avec Mohamed Morsi et Ahmed Shafiq. La commission électorale a déclaré que 51 pour cent des électeurs ont voté au deuxième tour.
À la veille du deuxième tour, le commandement militaire a dissout le parlement dominé par les islamistes sous prétexte d’appliquer une ordonnance de la cour suprême qui a statué qu’un tiers de l’assemblée avait été élu illégalement. Le gouvernement militaire a réimposé la loi martiale mais les tribunaux ont invalidé ce décret.
Les islamistes cherchent à faire
un pacte avec les généraux
Mohamed Morsi négocie en coulisses avec les généraux. Selon l’édition électronique du Journal Al Masry Al Youm, « un accord initial stipule que l’armée conservera le contrôle sur son budget et ses affaires internes, » ainsi que sur les ministères de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice. Les militaires possèdent également des entreprises importantes et continueront à être le plus grand employeur du pays.
« « Le programme économique du Parti de la Liberté et de la Justice limiterait le rôle de l’État à celui d’un motivateur et coordinateur de l’activité économique, » a dit Hassan Malek, chef de la Société égyptienne pour le développement économique, une organisation dirigée par les Frères musulmans, » a rapporté le 2 juillet Al Masry Al Youm, faisant référence aux avantages accordés aux entreprises des militaires au détriment de leurs concurrents capitalistes.
Malgré des intérêts conflictuels entre les Frères musulmans et le Conseil suprême des forces armées, les développements récents représentent un changement. Les Frères ont été formellement interdits en 1954 et plus d’un millier de leurs membres ont été arrêtés en 2005 lors d’une période de répression militaire.
« Plutôt que de demander pourquoi la confrontation est inévitable, il est peut-être plus approprié de se demander pourquoi un compromis est probable, » a écrit le 3 juillet Al Ahram, un journal propriété de l’État.
Les Frères musulmans constituent le plus grand parti et le mieux organisé au pays et bénéficient d’un appui important parmi les travailleurs et les agriculteurs. Soulignant le poids du parti le journal a avancé que la victoire de Mohamed Morsi était meilleure pour le haut commandement militaire qu’une victoire de Ahmed Shafiq car « modérer l’action collective est l’une des grandes forces des Frères. »
Les généraux et la direction des Frères musulmans ont besoin l’un de l’autre, a noté Al Ahram, à cause de leur « intérêt mutuel à maintenir le capitalisme concurrentiel … le statu quo régional et l’ordre hégémonique global. »
Dans l’une de ses premières déclarations portant sur les affaires étrangères, Mohamed Morsi s’est engagé à respecter les traités internationaux, une référence claire aux traités entre le gouvernement égyptien et les gouvernements U.S. et israélien.
La Maison blanche a publié un communiqué félicitant Mohamed Morsi de sa victoire et le priant de « promouvoir l’unité nationale. »
Un grand nombre de travailleurs, de jeunes et de membres de la petite classe moyenne égyptienne demeurent sceptiques à l’endroit des partis politiques et des militaires en place.
« Je n’ai voté ni au premier ni au deuxième tours, » a déclaré Maie Sherefay dans une entrevue téléphonique à partir du Caire. Elle a terminé ses études universitaires récemment, a quitté son emploi il y a un an et n’a pas réussi à trouver de travail depuis. « Nous n’avons aucune confiance dans les militaires et nous n’avons aucune confiance dans Ikwan [ les Frères musulmans ], mais je les préfère à l’ancien régime Moubarak.
« Le plus important maintenant, c’est d’augmenter le salaire minimum, d’améliorer l’économie et de lutter contre la corruption, a-t-elle dit. Ça fait un an et demi que nous attendons et rien ne se passe. »
Les travailleurs utilisent l’espace politique
Le résultat le plus important des développements en Égypte sont les nouvelles ouvertures permettant aux travailleurs de s’organiser et de résister.
Environ 4 000 travailleurs de l’usine Céramiques Cléopatre à Ain Sokhna, l’une des plus grandes usines au Moyen-Orient, ont fait un sit-in devant les bureaux du gouvernement de la ville de Suez pour protester contre les efforts de la compagnie pour revenir sur sa promesse de payer des bonis et de partager ses profits ainsi que sa suspension du transport gratuit vers l’usine. Le 22 mai, après une impasse de 12 jours, la direction s’est pliée aux revendications les travailleurs.
Le 20 juin, des centaines de travailleurs de l’usine Toshiba El Araby ont bloqué la route entre le Caire et Alexandria pour dénoncer ce qu’ils ont décrit comme le refus de la société de compenser la famille d’un compagnon de travail mort électrocuté au travail.
Même les syndicats affiliés à la Fédération des syndicats égyptiens qui, financée par le gouvernement a fonctionné comme un soutien sûr du régime de Moubarak, se sont mobilisés. Des travailleurs membres de la FSÉ à l’usine de pneus Alexandria, propriété de la société italienne Pirelli, ont déclenché la grève le 10 juin.
La société a congédié cinq travailleurs par représailles, a dit au Militant un porte parole de la FSÉ dans un entretien téléphonique. « La société joue un sale jeu, », a-t-il dit.
Dans un communiqué envoyé au Militant en provenance de l’Italie, Pirelli a déclaré que les cinq travailleurs avaient été congédiés pour « leur rôle actif dans la promotion d’une grève illégale. » La société prétend que les revendications syndicales en faveur d’une assurance santé couvrant les familles et du paiement de frais de scolarité violent une entente selon laquelle aucune nouvelle revendication ne serait présentée pendant trois ans.
Le nombre de membres de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants, qui est indépendante du gouvernement, a augmenté rapidement depuis l’expulsion de Hosni Moubarak.
Les paysans revendiquent aussi leur droit à la terre et à l’eau pour irriguer. Selon le New York Times, 10 pour cent des paysans égyptiens ont perdu leur ferme après l’adoption de la loi de 1992 qui a annulé la distribution des terres que le gouvernement de Gamal Abdel Nasser avait faite pendant les années 1960.
Le Times cite un exemple récent de cultivateurs à Fayoum qui ont repris les terres desquelles ils avaient été expulsés en 1997 par la famille Wali, un grand propriétaire.
Plus de 100 cultivateurs de Fayoum ont manifesté au Caire en mars pour exiger la libération de huit cultivateurs emprisonnés pour avoir prétendument volé des récoltes, a signalé Al Masry Al Youm. Le quotidien a aussi rapporté que des milliers de cultivateurs de trois villages du delta du Nil ont bloqué une autoroute en avril pour exiger que le gouvernement déverse de l’eau dans un canal.
Shadi, un porte-parole pour le Centre de la terre pour les droits humains au Caire, a écrit au Militant par courrier électronique que 50 nouvelles associations d’agriculteurs avaient été formées au cours de la dernière année et demie. Parmi les problèmes les plus importantes auxquels sont confrontés les cultivateurs, a-t-il dit, sont les dettes aux banques agricoles, la pénurie d’eau et l’accès à la terre.