Près de trois semaines après le début de leur intervention militaire au Mali, les forces françaises, accompagnées de troupes de l’armée malienne, ont chassé les forces islamistes de Tombouctou et de Gao, des villes dans le Nord du pays qu’elles occupaient depuis 10 mois.
Les combattants islamistes se sont retirés dans les vastes régions désertiques alors que Paris, avec 3 500 soldats au Mali, a annoncé son intention de remettre la poursuite de ces combattants à une force de plusieurs nations africaines rassemblée à la hâte.
Au moment de fuir Tombouctou, les islamistes ont brûlé une bibliothèque abritant des milliers de manuscrits anciens. Pendant leur occupation de la ville, ils avaient détruit des sites vieux de plusieurs siècles vénérés par les soufis, une branche de l’Islam que les groupes réactionnaires sectaires cherchent à éradiquer. Des lieux saints, tombes et mausolées ont été attaqués avec des pioches, pelles et même des bulldozers, selon l’agence Reuters.
Avec une population de 15,5 millions, le Mali figure parmi les 25 pays les plus pauvres au monde, classés par ordre de revenu par habitant. L’espérance de vie est de 53 ans, avec seulement huit médecins disponibles pour 100 000 personnes.
Quatre-vingt pour cent de la population travaille dans l’agriculture, principalement de subsistance, dans la pêche et l’élevage. Le développement capitaliste est très inégal et relativement nouveau. Les mines d’or commerciales, par exemple, basées dans le Sud du Mali — le troisième plus gros producteur d’or en Afrique aujourd’hui — ont commencé leurs activités il y a 20 ans seulement.
La création d’une classe ouvrière moderne, encore à l’étape initiale, et la croissance des villes jettent les bases d’une alliance de combat des masses laborieuses qui pourrait faire avancer les intérêts de la majorité.
Des tribus nomades touaregs vivent dans de vastes étendues de terre faiblement peuplées dans le Nord. Elles élèvent des chèvres et des moutons dans le désert du Sahara couvrant en partie le Mali, la Mauritanie et le Niger.
La formation d’une nation ou de nations à l’intérieur des frontières maliennes héritées de la colonisation européenne reste un processus inachevé. Les Touaregs combattent le gouvernement basé à Bamako pour le contrôle de territoires dans le Nord du pays depuis que le Mali est devenu un pays indépendant il y a cinq décennies.
Il y a plusieurs années, de vastes gisements de pétrole ainsi que de l’uranium ont été découverts dans des régions du désert du Sahara, dans le Nord-Est du Mali. Une société basée en Australie Oklo Ressources Ltd avait commencé à explorer les réserves d’uranium avant que les groupes islamistes ne s’emparent de la région.
Une conséquence imprévue
La crise actuelle au Mali est une conséquence inattendue du renversement, appuyé par l’impérialisme, du régime de Mouammar Kadhafi en Libye.
Des milliers de mercenaires touaregs anciennement au service du régime de Kadhafi se trouvaient parmi les Africains venus de territoires au Sud de la Libye qui ont été forcés de fuir les pogroms organisés par des forces d’opposition au régime et avaient peu d’endroits où se rendre. Quatre jours avant l’assassinat de Kadhafi, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) a été créé au Mali avec des renforts de mercenaires touaregs lourdement armés qui retournaient au pays.
En janvier 2012, ils ont lancé une rébellion visant à former un État indépendant dans le Nord du Mali. Environ 1 600 soldats de l’armée malienne sont ensuite passés du côté des Touaregs, créant ainsi une crise au sein de l’armée malienne déjà affaiblie, armée en grande partie formée par les forces spéciales U.S. Le 21 mars 2012, une section des officiers instruits par les États-Unis, dirigés par le capitaine Amadou Sanogo, a réalisé un coup d’État militaire à Bamako.
Quelques semaines après le coup d’État, des combattants touaregs ont pris le contrôle de Kidal, Gao et Tombouctou, les capitales de trois provinces du Nord. Au début avril, le MNLA a annoncé un cessez-le-feu.
Pendant ce temps, des combattants de trois groupes islamistes — al-Qaida au Maghreb islamique, le Mouvement pour le jihad et l’unité en Afrique de l’Ouest et Ansar Dine, un groupe composé principalement de Touaregs et de Maures du Mali — se sont mobilisés pour chasser le MNLA. Les islamistes ont pris Tombouctou, Gao et Kidal dans le Nord, imposant les lois strictes de la charia. La totalité des quelque 300 chrétiens vivant à Tombouctou se sont enfuis.
La ville de Tombouctou dans le Nord du Mali était connue pour sa diversité musicale et sa culture jusqu’à ce que les islamistes prennent le pouvoir.
Après avoir rencontré un dirigeant d’AQMI Mokhtar Belmokhtar en avril 2012, le propriétaire d’hôtel Aberhamane Alpha Maiga a fermé son établissement et s’est enfui avec sa famille dans le Sud, a rapporté le Financial Times.
À son retour en ville pour une visite en septembre, il a noté : « Il n’y avait plus de musique, plus de télévision, plus de football et plus de cigarettes. La liberté des femmes avait été réduite. Les suspects de larcin ont eu les mains coupées. Des lieux sacrés ont été détruits. Les Touaregs laïcs qui avaient débuté la rébellion n’étaient visibles nulle part, » disait le journal.
AQMI est un groupe majoritairement algérien et mauritanien qui est présent dans le Nord du Mali depuis 2003. C’était un allié du président malien renversé Amadou Toumani Touré qui a donné à AQMI selon al-Jazeera « carte blanche dans les régions touaregs, avec un acquiescement complice de l’armée malienne. » Le Mouvement pour le jihad et l’unité dans l’Ouest de l’Afrique, une scission d’AQMI, a fait du MNLA une de ses cibles principales.
Peu après le déclenchement de l’offensive française, une faction s’est séparée d’Ansar Dine pour former le Mouvement pour Azawad. Prenant ses distances vis-à-vis d’AQMI, le groupe appelle à des négociations avec le gouvernement du Mali et à l’autonomie pour le Nord du Mali.
L’armée du Mali exécute des gens à « la peau pâle »
L’armée du Mali, qui accompagne les forces françaises dans leur avancée vers le Nord, a exécuté au moins 30 personnes dans la ville centrale de Sevare et ses environs en janvier, selon la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme.
« Le groupe a dit que les victimes étaient des gens accusés de collaborer avec les islamistes, de porter des armes, de ne pas avoir de pièces d’identité ou simplement d’avoir « la peau pâle » — des Arabes ou des Touaregs, » a rapporté le Times.
Parmi ceux qui se sont ligués contre les Touaregs et les Maures, les milices ethniques Fulani et Songhai, Ganda Koy et Ganda Izo ont combattu aux côtés de l’armée malienne, ont aussi établi des listes de « personnes à tuer » et « sont soupçonnées d’avoir massacré des civils touaregs, » a rapporté al-Jazeera.
L’intervention de Paris au Mali a pour but de protéger les intérêts français à travers la région contre ceux de leurs rivaux impérialistes des États-Unis à l’Europe, ainsi que ceux de la Chine. Les ressources importantes pour l’industrie française incluent l’uranium du Niger, le manganèse du Sénégal et le pétrole et le gaz en Algérie, en Libye, au Gabon et au Cameroun.
La Chine livre l’une des plus féroces concurrences aux compagnies françaises. « La part de Paris dans les importations en Afrique est tombée de 16,2 pour cent en 2000 à 8,9 pour cent en 2010 tandis que celle de la Chine est passée de 3,4 pour cent à 12,5 pour cent durant la même période, » a rapporté le Wall Street Journal.
L’administration de Barack Obama, qui s’était initialement abstenue de fournir le soutien militaire demandé par Paris, a maintenant décidé de fournir trois avions ravitailleurs pour les avions de guerre français au Mali ainsi que des avions cargo pour transporter les troupes françaises et de l’équipement dans le pays.
Washington a aussi passé un accord avec le pays ouest-africain du Niger, limitrophe du Nord du Mali, pour une présence militaire américaine accrue là-bas, avec des préparatifs en cours — sous réserve d’approbation de la Maison blanche — pour envoyer des drones de surveillance non armés à partir de bases locales.
Paris avait déjà annoncé l’envoi de forces spéciales sur les deux principaux sites d’uranium nigériens exploités par la compagnie nucléaire française Areva. Quelque 2 700 travailleurs sont déjà employés là-bas avec une autre mine dont on prévoit l’ouverture l’an prochain. Mais les patrons ont eu à faire face à des travailleurs qui se battent pour de meilleures conditions. En juillet dernier, quelque 1200 travailleurs de l’une de ces mines ont mené une grève de 72 heures pour exiger de meilleurs salaires, a rapporté Uranium Investing News.
Dans un autre développement, les combattants du MNLA ont dit, le 29 janvier dernier, qu’ils avaient pris le contrôle de Kidal, une ville du Nord du Mali près de la frontière algérienne que les forces islamistes avaient prise il y a dix mois, a rapporté le Financial Times.