Les Kurdes opprimés défendent leurs terres dans la guerre civile en Syrie

John Studer
le 2 décembre 2013

Des milices kurdes ont mis en déroute des forces d’Al-Quaeda dans le nord-est de la Syrie, assurant leur contrôle de plus de 20 villes et villages. À la fin octobre, les forces kurdes avaient étendu leur mainmise sur la majeure partie de la province de Hasakah. Ce gain, réalisé au cours de la guerre civile syrienne, s’inscrit dans une montée plus générale de la lutte du peuple kurde, une nationalité opprimée de quelque 30 millions de personnes concentrées en Turquie, Iran, Irak et Syrie.

Il y a plus de deux millions de Kurdes en Syrie. La plupart vivent dans la province de Hasakah, où ils forment 70 pour cent de la population. L’autre concentration principale se trouve dans le district d’Efrin dans le nord-ouest, où leur nombre a doublé au cours de la guerre civile. Les Kurdes appellent généralement ces régions Rojava (le Kurdistan occidental). Les Kurdes constituent également une minorité importante à Damas et à Alep.

Hasakah a une importance stratégique, car elle contient la majorité des ressources pétrolières du pays et fonctionne comme son coeur agricole. Avec la prise de Ras al-Ain à la frontière turque et de Yaroubiya à la frontière irakienne, le Parti de l’union démocratique (PYD) et son aile militaire, les Comités de protection du peuple kurde (YPG), contrôlent désormais la plupart des ressources pétrolières de la Syrie et les moyens de les exporter.

Le Parti de l’union démocratique a été forgé à partir d’une alliance avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie. Entre 1980 et 2012, quelque 5 000 Kurdes syriens qui se sont battus aux côtés du PKK contre le gouvernement turc ont été tués. Aujourd’hui, les Comités de protection du peuple kurde en Syrie comptent plus de 15 000 combattants, dont près de 10 pour cent de femmes.

Depuis 2011, une guerre se déroule sur trois fronts en Syrie où les travailleurs, les agriculteurs et leurs alliés luttent contre le gouvernement de Bachar al-Assad pour plus de droits démocratiques et politiques.

Au centre de la guerre se trouve le dur conflit mené par les groupes rebelles sous l’étendard de l’Armée syrienne libre contre les forces armées syriennes affaiblies, auxquelles sont venus en aide des paramilitaires pro-gouvernementaux locaux et les forces du Hezbollah envoyées du Liban et soutenues par Téhéran. Récemment les forces pro-Assad ont progressé lors d’une offensive terrestre dans la banlieue de Damas et d’Alep qui a suivi une campagne de bombardements aériens et d’artillerie et de sièges visant à affamer la population.

Sur le deuxième front, les combats sont menés par des groupes islamistes réactionnaires d’Al-Quaeda — principalement l’État islamique d’Irak et de la Syrie et le Front Al-Nosra — qui cherchent à ravir des territoires et prendre le contrôle de ressources dans les combats, en particulier dans les zones contrôlées par des groupes rebelles et des milices kurdes. Bien qu’ils aient progressé dans certaines régions contre les premiers, les combats contre les Kurdes n’ont généralement pas connu de succès.

Le troisième front est la lutte des Kurdes pour le contrôle des régions où ils sont majoritaires, qui fait des progrès constants.

Les Kurdes ont été opprimés au cours des six siècles du règne de l’empire ottoman et ont continué à subir le même traitement depuis la chute de l’empire à la fin de la première guerre mondiale. À cette époque, les puissances victorieuses de Londres et de Paris ont découpé la région pour obtenir ce que sont aujourd’hui la Syrie, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Palestine et Israël — divisant consciemment les Kurdes entre les frontières dessinées par les impérialistes et leur refusant une patrie. Les classes dirigeantes capitalistes de la Turquie, de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie ont maintenu le statut de seconde classe des Kurdes après la fin de la domination coloniale au Moyen-Orient suite à la seconde guerre mondiale.

L’histoire des Kurdes en Syrie

En 1962, le régime militaire syrien a retiré la nationalité syrienne à 120 000 Kurdes, les déclarant des « étrangers vivant à l’intérieur du pays. » Ces Kurdes et leurs descendants ont été obligés de porter des cartes d’identité rouges les identifiant comme des étrangers, sans le droit de posséder des terres. L’utilisation de la langue kurde a été restreinte.

En prenant le pouvoir en 1963, le parti Baath a déclaré la Syrie « un pays arabe » et a défini les Kurdes comme « des réfugiés venus de la Turquie. » Après l’arrivée au pouvoir d’Hafez el-Assad en 1970, le régime a commencé une politique de mesures incitatives et de privilèges spéciaux accordés aux Arabes qui s’installent dans la province d’Hasakah, dans un effort visant à réduire l’influence kurde dans la région. Cette politique s’est poursuivie sous le règne du fils d’Hafez el-Assad, l’actuel président Bachar el-Assad.

Le plus grand changement en faveur de la lutte des Kurdes pour leur souveraineté nationale a été une conséquence involontaire de la chute de Saddam Hussein en Irak, orchestrée par l’impérialisme U.S. Les Kurdes irakiens ont profité de ce conflit pour s’y tailler une région autonome sous le Gouvernement régional kurde.

Ces développements ont inspiré les combattants kurdes à travers la région. En 2004, des dizaines de Kurdes ont été tués par les forces gouvernementales syriennes au cours de la répression d’un soulèvement à Kameshli, une ville à la frontière de la Turquie dans la province d’Hasakah.

Des jeunes kurdes ont participé aux manifestations contre Assad qui ont balayé le pays en 2011. Des cadres du PYD, qui avaient été chassés du pays par la répression d’Assad et qui vivaient dans des campements avec des combattants turcs du PKK, sont retournés en Syrie. Ils sont généralement restés à l’écart des manifestations qui se déroulaient. Mais ces développements ont ouvert la porte à une nouvelle montée des luttes nationales kurdes.

« Nous avons le droit à l’autodétermination dans les régions kurdes, » a déclaré Redur Xelil, porte-parole du PYD, dans un article du 11 novembre de Reuters. « Nous ne demandons pas la séparation, simplement le droit de gérer nos affaires. »

« Les Kurdes de Rojava maintiendront cette gestion autonome jusqu’à ce qu’une nouvelle Syrie émerge. Dans cette nouvelle Syrie, les Kurdes veulent être reconnus et acceptés, » a écrit le journaliste kurde Amed Dicle dans Jadaliyya, un magazine en ligne de l’Institut d’études arabes basé à Washington et Beyrouth. « Si cette nouvelle Syrie voit l’émergence d’un régime qui refuse aux Kurdes leur dignité et leurs droits en Syrie, comme Al-Nosra ou le régime actuel, les Kurdes entreront dans une nouvelle phase de lutte. »

Le 7 novembre dernier, des milliers de Kurdes ont manifesté en brandissant le drapeau national kurde près de Nusaybin en Turquie, à la frontière syrienne, où le gouvernement turc construit un mur pour séparer les deux communautés kurdes. Les forces turques les ont dispersés avec du gaz lacrymogène.