Des manifestations à travers l’Espagne dénoncent un projet de loi limitant le droit des femmes à l’avortement

Seth Galinsky
le 13 janvier 2014

Des dizaines de milliers de femmes et d’hommes sont descendus dans les rues de 21 villes à travers l’Espagne le 21 décembre pour protester contre un projet de loi proposé par le Parti populaire au pouvoir. Le projet de loi annulerait une loi de 2010 qui a légalisé l’avortement jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse. Sur de nombreuses pancartes on pouvait lire « L’avortement n’est pas un crime, » « Le droit de choisir ! » et « C’est mon corps, c’est moi qui décide. »

« Il est inacceptable que l’avortement ne dépende que de la volonté de la femme sans que d’autres facteurs ne soient pris en compte, » a déclaré Alberto Ruiz-Gallardón, ministre de la Justice, lors d’une conférence de presse à Madrid pour présenter le projet de loi. Il a prétendu que la loi vise à « rétablir un équilibre » entre les droits des femmes et les droits du foetus pas encore né.

Gádor Joya, porte-parole pour le groupe anti-femmes Droit à la vie, a eu son propre point de vue sur ce que signifie équilibre. Elle a dit au journal espagnol El Mundo que le projet de loi « est une étape vers notre objectif de zéro avortement. »

« Nous refusons totalement d’accepter la limitation de la liberté et de l’autonomie des femmes concernant la sexualité et le choix d’avoir un enfant, » a affirmé une déclaration signée par 329 organisations médicales, politiques et de défense des droits des femmes en Espagne. « C’est notre droit de décider de nos corps et de nos vies. »

S’il est approuvé par le Parlement, le projet de loi interdirait l’avortement, sauf en cas de viol, « pour éviter une grave menace à la vie » de la femme enceinte ou en cas d’une malformation du fœtus. Même dans ces cas, le droit à l’avortement serait sévèrement limité.

En cas de viol, l’avortement ne serait autorisé que dans les 14 premières semaines de grossesse, après une période d’attente de sept jours, et nécessiterait la signature de deux médecins en plus du médecin traitant. Les mineures auraient besoin du consentement de leurs parents. Des obstacles bureaucratiques similaires s’appliqueraient dans les cas de risque pour la vie de la femme ou de déformation du fœtus.

Les médecins qui pratiquent des avortements interdits risqueraient jusqu’à trois ans de prison et la perte de leur licence médicale pour un maximum de six ans. Même le fait d’« inciter » une femme à avoir un avortement ou de convaincre quelqu’un d’autre d’en pratiquer un serait passible d’une peine de prison.

Les restrictions au droit de choisir l’avortement ont été assouplies en 2010, lorsque le gouvernement dirigé par le Parti socialiste a adopté une loi autorisant l’avortement dans les 14 premières semaines de grossesse, même si elle a imposé une période d’attente de trois jours. Après 14 semaines et jusqu’à 22 semaines, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de risque pour la vie de la femme ou de malformations fœtales graves et nécessite l’approbation d’un tiers médecin.

La loi de 2010 permet au personnel médical « directement impliqué, » soit le médecin traitant, la sage-femme ou l’anesthésiste qui s’oppose à l’avortement, de refuser d’effectuer la procédure médicale. Dans le cadre du projet de loi du Parti populaire, la clause « d’objection de conscience » serait élargie à tout le personnel médical.

Selon le journal El País, en 2006, avant que l’avortement soit décriminalisé, il y a eu 101 000 avortements en Espagne. Il y en a eu 118 359 en 2011 et 112 390, en 2012.

Le Parti populaire, un bloc de forces centristes et de droite dirigé par Mariano Rajoy, a infligé une grande défaite au Parti socialiste dans l’élection de novembre 2011 sur la base de l’opposition aux attaques du PS contre la classe ouvrière en réponse à l’effondrement de l’économie sous l’impulsion de la crise capitaliste mondiale de la production et du commerce.

Le parti a obtenu 186 des 350 sièges au Parlement. Des promesses pour limiter l’avortement ont été un élément central de sa plate-forme. L’Église catholique est l’un des principaux soutiens aux actions qui minent le droit des femmes à choisir. Le 17 novembre, une manifestation anti-choix appuyée par l’Église a attiré des dizaines de milliers d’opposants aux droits des femmes.

« La loi proposée empêcherait les femmes aux ressources limitées d’interrompre leur grossesse, » a expliqué la députée socialiste Elena Valenciano dans une lettre ouverte aux femmes membres du Parti populaire au Parlement. Les femmes plus aisées « pourront aller dans n’importe quel pays européen pour obtenir cette procédure. Vous le savez parce que ça a toujours été comme ça. »

L’avortement dans le premier trimestre est légal dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, sauf pour Malte, l’Irlande et l’Andorre, même si une période d’attente est souvent imposée.

Le Parti populaire fait face à une forte baisse du soutien public à mesure qu’il approfondit les attaques, commencées sous le gouvernement du Parti socialiste, contre les emplois, les salaires et les conditions de travail des salariés. Sous la pression de la droite, le gouvernement Rajoy s’efforce de retrouver du soutien en intensifiant les efforts autour de questions sociales comme l’opposition à l’avortement, les attaques contre le séparatisme catalan et les « réformes » dans le système d’éducation adoptées par le PS. Il a récemment augmenté les sanctions pour ceux qui participent à des manifestations de rue non autorisées et a permis à des gardes de sécurité privés de procéder à des arrestations.

On s’attend à ce que le projet de loi anti-choix soit soumis au vote l’été prochain. Un nombre important de députés du Parti populaire se sont abstenus d’applaudir après que le projet de loi ait été présenté au Parlement, mais les dirigeants de ce parti conservateur ont nié que le parti soit divisé sur cette loi.