NORTH CHARLESTON, Caroline du Sud — Cette ville portuaire qui est aussi un pôle industriel du Sud profond des États-Unis est devenue un centre des manifestations et de la discussion nationale de plus en plus importante sur la façon de lutter contre la brutalité et les meurtres commis par des policiers.
Après avoir été interpellé par les flics le 4 avril pour un feu arrière de sa voiture qui aurait été cassé, Walter Scott, visé par un mandat d’arrêt pour des arriérés de pension alimentaire, a essayé de s’enfuir. Un flic de North Charleston, Michael Slager, l’a poursuivi et ils en sont venus aux mains. Walter Scott, qui n’était pas armé, s’est dégagé et a recommencé à courir. Slager lui a tiré huit balles dans le dos et a ensuite cherché à se couvrir.
La police et les responsables de la ville ont fait face immédiatement à des manifestations et à l’appel à une enquête indépendante lancé par la famille de Walter Scott, des dirigeants de l’Association internationale des débardeurs et des groupes communautaires dans le contexte national d’une multiplication des manifestations contre la violence policière et d’une montée de la résistance ouvrière.
Puis une vidéo de la fusillade prise sur son téléphone portable par Feidin Santana, un coiffeur qui allait au travail, a été rendue publique le 7 avril. La vidéo montre non seulement Michael Slager en train de tirer sur Walter Scott dans le dos, mais aussi en train de laisser tomber à côté du corps un objet qui ressemble à un pistolet Taser.
Feidin Santana a dit qu’il a craint les représailles des flics, mais il a décidé tout de même de donner la vidéo à la famille de Walter Scott, qui l’a rendue publique.
Sous les projecteurs de l’indignation nationale et internationale et de l’attention des medias, la police de l’État a arrêté Michael Slager pour meurtre le 7 avril et l’a écroué sans cautionnement. Le lendemain, la ville l’a licencié.
Le jour où Michael Slager a été licencié, Rodney Scott, le frère de Walter et un docker, a déclaré au New York Daily News : « À mon avis ce n’est rien d’autre qu’un meurtre de sang-froid. »
Des manifestations, des veillées et des réunions se poursuivent presque quotidiennement. Le 11 avril, plus de mille personnes ont assisté aux funérailles de Walter Scott, que la famille a ouvertes au public.
Plus tard le jour même, 75 personnes se sont rassemblées et ont marché à l’hôtel de ville de North Charleston dans une manifestation organisée par L’Association nationale pour l’avancement des gens de couleur (NAACP), le Réseau d’action national et Les vies des Noirs comptent.
Un débat a lieu lors de beaucoup de ces actions sur le besoin de faire preuve de discipline et d’éviter des gestes provocateurs afin de garder l’attention sur la violence policière. Les manifestants assument ainsi une position de supériorité morale et cela réduit la possibilité d’une intervention policière.
« Cette marche doit être pacifique et non-violente, » a dit aux participants Michelle Felder, l’une des organisatrices de la marche à la mairie. « Je sais que vous les jeunes, vous êtes en colère, et vous devriez l’être, mais nous ne voulons pas d’ennuis. »
Dwayne German, un travailleur d’entretien âgé de 56 ans ici au collège militaire La Citadelle, a pris la parole au rassemblement pour parler de la mort de son beau-fils, Denzel Curnell, alors âgé de 19 ans, en juin 2014. L’officier de police Jamal Medlin a prétendu que Denzell Curnell s’est tiré une balle dans le corps lorsque la police l’a interpellé pour procéder à une fouille. Une enquête de l’État a déterminé que la mort était un suicide.
Dwayne German rejette cette décision. « Si je ne protestais pas, je déshonorerais sa mémoire, » a-t-il expliqué au Militant.
T.J. Thomas a également pris la parole. Il est le frère de Nicholas Thomas, un travailleur dans un centre de pneus à Smyrna en Géorgie qui a été tué au travail par les flics le 24 mars.
Impact cumulatif des manifestations
Plusieurs centaines de personnes, y compris le maire de North Charleston Keith Summey et le chef de police Eddie Driggers, ont assisté le 12 avril à un service religieux à l’église baptiste Charity Missionary, qui était trop petite pour contenir l’assistance. Nelson Rivers, le pasteur de l’église et le vice-président du Réseau d’action national (NAN) a invité le président du NAN, le révérend Al Sharpton, à prendre la parole. Al Sharpton, qui a demandé l’obligation pour tous les flics de porter des caméras et la création d’une commission indépendante d’évaluation de la police, a encensé Keith Summey, disant qu’il était remarquable que le premier maire à « faire ce qu’il faut » est un homme blanc du Sud profond.
Mais Keith Summey n’est pas à l’origine de l’arrestation de Michael Slager. Celle-ci est le résultat de la montée de manifestations larges contre la brutalité policière au cours de la dernière année et de leur impact cumulatif. Ces manifestations braquent les projecteurs sur des cas qui étaient auparavant passés sous silence et, lorsque surgissent des preuves comme la vidéo du meurtre de Walter Scott, elles contraignent les responsables à prendre des mesures punitives. Et les travailleurs ont de plus en plus confiance que leurs manifestations attireront l’attention des medias et qu’elles trouveront du soutien.
Plus tard dans la même journée, 150 manifestants se sont rassemblés pour une veillée sur le terrain où Walter Scott est mort. Un mémorial y a été créé par les dizaines de personnes qui s’y arrêtent pour déposer des fleurs, des cartes et d’autres souvenirs. Le chef de la police et le maire y ont participé.
Des résidents du quartier ouvrier à majorité caucasienne près de l’endroit où Walter Scott a été tué ont dit au Militant que les flics arrêtent fréquemment des voitures pour des feux arrière cassés ou d’autres infractions mineures. « À Rivers Drive et à l’avenue Montague, on vous fera signe de vous mettre sur le côté, surtout si vous êtes noir, » a dit Gladys Singleton, une couturière, en ajoutant qu’au moins cinq hommes noirs ont été tués par la police au cours des dernières années.
Les dockers font partie de la direction des manifestations
L’Association internationale des débardeurs (ILA) de Charleston possède une longue histoire de lutte contre les patrons maritimes. En 2000, lorsque les membres du syndicat ont protesté contre l’utilisation de travailleurs non syndiqués sur les quais, des centaines de policiers de Charleston les ont attaqués, puis ont fabriqué des coups montés contre les dirigeants syndicaux. « Nous connaissons trop bien les agressions policières, » a expliqué Leonard Riley, un dirigeant de la section locale 1422 de l’ILA, lors d’un entretien téléphonique le 13 avril.
La section 1422 a joué un rôle-clé dans l’organisation de la riposte publique au meurtre de Walter Scott, y compris avec une conférence de presse le 7 avril et une manifestation la journée suivante.
« Nous ne sommes pas impressionnés outre mesure par l’arrestation et les chefs d’accusation, a dit Leonard Riley. Le plus important pour nous maintenant, c’est qu’ils mènent réellement à bien la poursuite judiciaire. »
« La section 1422 continuera de se tenir debout et de dénoncer les injustices sous toutes leurs formes, que ce soit le profilage racial, la discrimination raciale ou, comme dans le cas présent, l’homicide racial, » a affirmé le président de la section Kenneth Riley dans sa déclaration du 9 avril sur le site web international de l’ILA.