La décision du Festival de jazz de Montréal d’annuler un spectacle musical soulève l’opposition

Bob Carter
le 27 août 2018

MONTRÉAL — Parmi ceux qui ont dénoncé la campagne pour censurer le travail d’artistes, qui sont accusés ici « d’appropriation culturelle, » il y a eu des artistes, acteurs, écrivains et personnalités politiques au Québec.

« SLAV », qui a été monté dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal, est « une odyssée théâtrale à travers les chants d’esclaves, » ont expliqué les organisateurs du spectacle, un voyage « à travers les chants traditionnels afro-américains, des champs de coton aux chantiers de chemins de fer, des chants d’esclaves aux chansons de prisonniers. »

« Laissons les artistes tranquilles, » a écrit l’acteur noir Frédéric Pierre sur sa page Facebook. « Laissons des artistes « blancs » être touchés et émus par cette histoire et les chants qu’elle a générés. »

Le 26 juin, environ 100 manifestants, organisés par l’auto-proclamé Collectif SLAV Résistance, ont protesté devant les portes du théâtre le soir de la première. Les manifestants, noirs et caucasiens, ont crié, scandé et brandi des placards accusant le producteur québécois mondialement renommé Robert Lepage et la chanteuse vedette Betty Bonifassi d’être des « racistes » et d’approprier l’histoire des Noirs car ils sont « blancs » et la majorité des acteurs du spectacle n’étaient pas des Noirs.

Le 4 juillet, les responsables du Festival de jazz de Montréal ont annulé le spectacle après seulement 2 des 16 représentations prévues. Plus de 8 000 billets avaient déjà été vendus. Les responsables se sont excusés auprès de toute personne qui, selon eux, aurait pu être offensée par le spectacle.

« Tout ce qui a mené à cette annulation est un coup porté à la liberté d’expression artistique, » a affirmé Robert Lepage dans une déclaration largement diffusée. « À partir du moment où il ne nous est plus permis de nous glisser dans la peau de l’autre […] le théâtre s’en trouve dénaturé, empêché d’accomplir sa fonction première, et perd sa raison d’être. »

« Je revendiquerai toujours le droit, au théâtre, de parler de tout et de tous, » a-t-il dit.

Betty Bonifassi, qui a passé deux décennies à rechercher et à chanter ces chansons et d’autres chansons similaires dans des spectacles et des enregistrements, a aussi pris la parole pour condamner la « censure » du Festival de jazz qui a « violé la liberté d’expression. »

Dans un entretien à la Montreal Gazette en 2014, Betty Bonifassi a expliqué que ses racines slaves ont influencé sa passion pour les chansons qui ont émergé de l’esclavage dans plusieurs parties du monde. « Ma mère vient de la Serbie et tous ces gens de l’empire balkanique ont été des esclaves pour tous les empires européens pendant six siècles, » a-t-elle dit.

« Je suis pour l’union et non la division, » a dit Kattia Thony, une des deux actrices noires dans « SLAV ». Elle a affirmé qu’elle ne s’excuserait pas pour son rôle et qu’elle avait non seulement le droit de participer à la production mais aussi la responsabilité de le faire car une scène décrivait la lutte des esclaves haïtiens, le pays de ses ancêtres, la première nation noire à se libérer du joug colonial.

Quelques semaines plus tard, alors même que la polémique autour de l’annulation de « SLAV » faisait les titres des journaux dans le monde, Lepage s’est retrouvé contraint d’annuler son prochain spectacle, prévu en décembre à Paris. Les soutiens financiers se sont retirés. « Kanata », son prochain spectacle, décrit la colonisation du Canada par les européens et ses effets destructeurs sur les populations indigènes. Il contient aussi des passages sur l’oppression des peuples indigènes aujourd’hui. Plusieurs artistes indigènes ont critiqué Lepage pour n’avoir pas intégré des acteurs indigènes venus du Canada mais ont soutenu la production de « Kanata ».

Soutien à la libre expression des artistes

Maka Kotto, membre du Parti québécois et député de l’Assemblée nationale québécoise, qui est Noir, a décrit la censure de « SLAV » imposée par le Festival de jazz comme « un mécanisme totalitaire qui doit être clairement dénoncé si l’on veut protéger notre liberté de création artistique. »

Dans un article du Toronto Star, la directrice de théâtre Nancy Miller a condamné « la notion erronée d’appropriation culturelle utilisée pour imposer la censure et la tyrannie artistique sur d’autres groupes ethniques. » Elle a fait remarquer que la production de Lepage de la pièce de théâtre Coriolan de Shakespeare, actuellement jouée au Festival Stratford du Canada avec, dans le principal rôle, un acteur noir interprétant un général romain, recevait des critiques dithyrambiques.

« Ça n’est vraiment pas correct. C’est une attaque contre la liberté d’expression ! Ils ne se rendent pas compte que les Noirs n’en seraient pas arrivés là où nous sommes aujourd’hui si nous avions dû nous battre seuls ? » a dit au Militant Lancuse Démosthène, une travailleuse de Wallmart. « Est-ce que ça veut dire que je ne peux pas soutenir d’autres causes ? Les droits des gays et des lesbiennes sont quelque chose qui me tient beaucoup à cœur. »

Quatre autres théâtres dans des villes du Québec ont fait savoir qu’elles n’ont pas l’intention d’annuler les représentations de « SLAV » en 2019.

« Pour un théâtre, montrer ce qu’il a envie de montrer est une question de liberté artistique, » a affirmé Marie-Pierre Simoneau, directrice de la Maison des arts Desjardins à Drummondville. « Nous avons toujours l’intention de présenter ce spectacle, » a déclaré David Laferrière, directeur général artistique du théâtre Gilles Vigneault à St-Jérôme. « Je veux simplement montrer de l’art. »

« On ne peut pas commencer à empêcher et limiter la liberté d’expression, » a déclaré François Legault, chef de la CAQ (Coalition pour l’avenir du Québec) après l’annulation de « Kanata ». Il a ensuite ajouté : « des artistes comme Robert Lepage ont le droit de s’exprimer. » La CAQ, un parti politique conservateur, est en tête des sondages pour les prochaines élections provinciale le 1er octobre.

« Les travailleurs ont besoin de l’accès le plus large possible à la culture et aux arts. La censure – au nom de la soi-disant appropriation culturelle ou de n’importe quel autre prétexte – est dangereuse pour les travailleurs, a soutenu Beverly Bernardo. Et cela donne plus d’opportunités à nos ennemis de classe de réduire l’espace politique dont nous avons besoin pour nous organiser et lutter pour nous défendre contre les attaques des patrons et de leur gouvernement. La Ligue communiste se dresse contre toute forme de censure. »

Annette Kouri a contribué à cet article