Catastrophe ferroviaire meurtrière au Canada : résultat de la quête de profits des patrons

Janet Post
le 20 mai 2019

Le 28 avril, la conférence ferroviaire des Teamsters Canada a souligné la journée annuelle de commémoration ouvrière en rendant hommage à huit travailleurs du rail qui sont morts au travail au Canada depuis le mois de novembre 2017. Cette journée annuelle de commémoration est organisée par des syndicats en Amérique du Nord et ailleurs en mémoire des travailleurs décédés ou blessés sur les lieux de travail.

Trois employés du Canadien Pacifique, le conducteur Andrew Dockrell, le chef de train Dylan Paradis et le stagiaire Daniel Waldenberger-Bulmer, ont été tués le 4 février lorsque leur train a dévalé, sans freins à air adéquats, une des pentes les plus raides d’Amérique du Nord dans les Rocheuses, en Colombie-Britannique, près de l’Alberta. Le train comprenait trois locomotives qui tiraient un convoi de 112 wagons-trémies chargés de céréales, pesant plus de 11 000 tonnes. Il faisait plus d’un kilomètre et demi de long.

Cette pente a été le site de nombreux déraillements et de trains en dérive depuis un siècle, dont un à peine un mois avant cet accident mortel.

L’équipage venait de monter à bord lorsque le train, qui avait été garé en pente pendant près de trois heures avec ses freins à air comprimé, a commencé à rouler. Les travailleurs ont été incapables de reprendre le contrôle du train qui a déraillé dans une courbe avant un pont sur la rivière Kicking Horse. Ils sont morts lorsque la locomotive de tête dans laquelle ils se trouvaient s’est renversée et est tombée dans la rivière à des températures polaires. Seuls 13 wagons et la locomotive de queue sont restés sur les voies. Le 19 avril, les enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports du Canada ont blâmé les patrons du rail pour leur système d’inspection et d’entretien déficients.

Ils ont aussi signalé que les travailleurs de l’équipage précédent avaient tenté de garer le train mais que celui-ci s’était déplacé et qu’ils avaient eu de la difficulté à l’arrêter même en appliquant les freins. Ils avaient alors placé la locomotive en état d’urgence, ce qui avait permis d’arrêter le train mais dans une pente de 2,2 pour cent. Les freins à air qu’ils avaient appliqués ont cependant perdu peu à peu de leur puissance.

L’équipe de relève était dans le train depuis à peine 10 minutes lorsqu’il a commencé à rouler. Le Bureau de la sécurité des transports a saisi les 13 wagons de céréales restés sur la voie et a testé leurs freins dans des conditions similaires à celles de la nuit du désastre. « Le système de freinage pneumatique de ces wagons ne serait pas suffisant pour assurer la sécurité d’un chargement ferroviaire de céréales, » ont déclaré des responsables du Bureau de sécurité.

Ils ont exhorté les organismes de réglementation gouvernementaux à revoir les règles relatives à l’entretien et aux inspections des freins pneumatiques, en particulier pour les chemins de fer comme celui du Canadien Pacifique, qui transitent en terrain montagneux. « Un système de freinage à air qui fonctionne correctement est de la plus haute importance en territoire montagneux, » a écrit le Bureau de la sécurité.

Après le déraillement, le ministre des Transports du Canada a ordonné que les freins à serrage manuel soient actionnés sur les trains lorsqu’ils sont immobilisés sur les pentes des montagnes, une mesure que le syndicat du rail préconise. Mais les compagnies de chemin de fer Canadien Pacifique et Canadien National ont interjeté appel de la décision, parce que cela ralentirait les opérations ferroviaires et réduirait leurs profits.

Les patrons attaquent les conditions de sécurité

Avec des trains plus longs et plus lourds, des équipages plus petits, des réductions des dépenses dans l’entretien des trains et des voies, des horaires qui imposent une fatigue constante et le refus des patrons de prendre les mesures de sécurité préconisées par les syndicats, les cheminots sont placés dans une situation toujours plus dangereuse à mesure que les patrons cherchent à maximiser leurs profits.

Avec les suppressions de postes et l’accélération des opérations au cours des deux dernières années, 3 000 mécaniciens et conducteurs de train effectuent maintenant au Canadien Pacifique le travail que faisaient auparavant 4 300 travailleurs. Les patrons veulent réduire les équipages à une seule personne, voire les éliminer, en utilisant des dispositifs télécommandés à des kilomètres de là. Les Teamsters disent que la formation des nouveaux mécaniciens a été réduite de moitié à seulement trois mois.

Les patrons du Canadien Pacifique, pour leur part, ont claironné que le mois d’avril avait été un mois record avec 2,64 millions de tonnes métriques de grains et de produits céréaliers transportés. Et, ils ont eu le culot de se vanter que ce fut le meilleur avril de leur histoire, avec une longueur moyenne de train de 2 309 mètres et un poids de 9 356 tonnes.

Ces trains plus longs et plus lourds représentent un danger mortel tant pour les travailleurs ferroviaires que pour ceux qui vivent dans les collectivités situées le long des voies ferrées.

Au moins 24 cheminots sont morts au travail en Amérique du Nord en 2018. Allen Lowe, âgé de 46 ans, un wagonnier syndiqué depuis 25 ans, a été tué le 13 avril à Chattanooga au Tennessee, quand une locomotive l’a percuté au centre de triage ferroviaire Wauhatchie de la compagnie CSX. Sa mort fait l’objet d’une enquête.

« Nous devons éduquer, organiser et mobiliser le syndicat, expliquer que la seule solution pour travailler en sécurité c’est de faire ce que mes collègues cheminots m’ont appris au travail en 1960 : utiliser la puissance du syndicat et lutter pour le contrôle des travailleurs, » a souligné au Militant  Joe Swanson, qui a travaillé 31 ans dans les chemins de fer et est candidat du Parti socialiste des travailleurs aux élections à la mairie de Lincoln dans le Nebraska.

« Nous devrions nous battre pour qu’il n’y ait pas de trains de plus de 50 wagons, avec des équipages de quatre personnes, dont deux mécaniciens dans la locomotive et deux autres dans le fourgon ou la locomotive de queue. L’augmentation de la taille des équipages et l’augmentation du nombre de trains créeront des emplois dont ont grand besoin des milliers de personnes qui vivent dans des localités ouvrières durement frappées par la crise en Amérique du Nord, » a-t-il dit.