MONTRÉAL – En février dernier, le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau a imposé la Loi sur les mesures d’urgence, une loi draconienne pour réprimer le « Convoi de la liberté », composé de centaines de camionneurs et de sympathisants qui s’étaient rassemblés pour protester dans la capitale du Canada.
La Commission fédérale sur la Loi sur les mesures d’urgence a commencé ses audiences le 13 octobre à Ottawa pour déterminer si la décision du gouvernement canadien d’invoquer la loi était justifiée. Les audiences se poursuivront jusqu’au 25 novembre et la commission doit présenter son rapport d’ici le 6 février.
L’Association canadienne des libertés civiles et la Police provinciale de l’Ontario font partie des organismes qui se sont déjà prononcés contre le recours à la loi.
Le Convoi de la liberté, composé de semi-remorques et d’autres véhicules, est allé de l’ouest du Canada jusqu’à la colline parlementaire à Ottawa pour protester contre les mandats de vaccination COVID qui menaçaient les emplois. Ils ont été rejoints par d’autres personnes opposées à un large éventail de politiques gouvernementales et, ensemble, ils ont bloqué les rues et organisé des rassemblements pendant trois semaines. Pendant cette période, les partisans du convoi ont aussi bloqué plusieurs points d’entrée de la frontière canado-américaine avec des camions.
Après l’imposition de la loi, le gouvernement fédéral a mobilisé à Ottawa plus de 3 000 policiers venant de tout le pays pour mettre fin à la manifestation. C’était la première fois que cette loi était utilisée depuis son adoption en 1988.
« Je pense vraiment que c’était un acte de répression irresponsable de la part du gouvernement », a dit au Militant, le 21 octobre, Gurdeep Singh, un travailleur de Walmart. « Les personnes présentes n’ont rien fait de mal, si ce n’est défendre leurs droits ».
La Ligue communiste proteste
La Ligue communiste a soumis une déclaration à la commission le 19 octobre. « Elle rejette le cadre de référence de la grande majorité de ceux qui ont été appelés à comparaître lors des audiences publiques », a dit au Militant Steve Penner, organisateur de la Ligue communiste et l’un des auteurs de la déclaration. « Tous acceptent la légitimité de la Loi sur les mesures d’urgence. Ils ne divergent que sur la question de savoir si le gouvernement Trudeau a eu raison d’utiliser la loi contre la manifestation d’Ottawa. » La Ligue rejette également « le postulat de la commission elle-même ».
Confirmant cette affirmation de Steve Penner, Andrew Coyne, chroniqueur au Globe and Mail, a écrit le 14 octobre : « Peu importe ce que pourra déterminer ou non l’enquête publique sur la décision du gouvernement Trudeau d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence […], elle a triomphalement justifié une chose : la Loi sur les mesures d’urgence elle-même. »
« Au contraire, a dit Steve Penner, la Ligue communiste explique que la Loi sur les mesures d’urgence n’est rien d’autre qu’une version travestie de la Loi sur les mesures de guerre, devenue discréditée. Nous appelons nos syndicats et tous les partisans des droits démocratiques et politiques à faire campagne pour exiger son abrogation. »
La mobilisation massive des policiers déclenchée par la loi a été « l’une des plus importantes mesures de répression policière de l’histoire moderne du Canada, affirme la déclaration de la LC. Ils ont utilisé des armes militaires et des véhicules blindés, des tireurs d’élite, la cavalerie, des grenades assourdissantes, des lanceurs d’armes anti-émeutes, des matraques et du gaz poivré, arrêtant plus de 200 participants », dont les principaux organisateurs. Le gouvernement Trudeau a couplé son assaut contre les droits politiques avec des calomnies, qualifiant les camionneurs de « suprémacistes blancs, de profanateurs du monument aux morts arborant des croix gammées ».
« Ottawa voulait criminaliser une protestation politique légitime qui contestait les politiques gouvernementales, a déclaré la Ligue communiste. Il a utilisé son assaut pour établir un précédent qu’il pourra utiliser contre de futures manifestations, contre nos syndicats, contre la classe ouvrière et les partis politiques que le gouvernement considère comme une menace. »
Quelque 65 témoins, dont Trudeau lui-même, comparaîtront. La liste comprend également trois des principaux organisateurs du convoi, Tamara Lich, Chris Barber et Pat King, qui font toujours l’objet d’accusations criminelles. Lich et King ont passé beaucoup de temps en prison sans jamais avoir été jugés ou condamnés. Ils sont libres sous des conditions draconiennes de libération sous caution.
La Ligue communiste demande l’abandon de toutes les accusations contre les organisateurs du convoi et les autres personnes arrêtées lors de l’assaut policier de février.
« Les accusations à motivation politique portées contre eux n’étaient rien d’autre qu’une couverture légale pour l’attaque frontale du gouvernement contre les droits démocratiques et politiques fondamentaux, déclare la Ligue communiste. La violation continue de leurs droits par Ottawa, la police et les tribunaux constitue une menace pour les droits démocratiques et politiques de tous. »
La Loi sur les mesures d’urgence « s’enracine dans plus de 100 ans de lois répressives promulguées par Ottawa et les gouvernements provinciaux depuis la première guerre mondiale, lorsque la Loi sur les mesures de guerre a été adoptée et utilisée pour repousser la montée des luttes syndicales, la résistance des Québécois à leur oppression nationale et les efforts pour organiser un parti politique de masse de la classe ouvrière », dit la Ligue.
La révolution bolchevique de 1917 en Russie a inspiré des travailleurs à l’esprit révolutionnaire dans le monde entier, ce qui a conduit à la fondation du Parti communiste au Canada en 1921. Au même moment, les luttes ouvrières croissantes culminaient avec la grève générale de Winnipeg en 1919. En réponse, Ottawa a formé une force policière politique nationale pour défendre la domination capitaliste, la Gendarmerie royale du Canada en 1920.
La Loi sur les mesures de guerre a été imposée dans le même but pendant la deuxième guerre mondiale et de nouveau en 1970, lorsque le gouvernement de Pierre Trudeau a utilisé le prétexte d’une « insurrection » inexistante du Front de libération du Québec, une minuscule organisation terroriste, pour inonder le Québec de 6 000 soldats. En invoquant aujourd’hui une « urgence nationale d’ordre public » pour justifier sa déclaration de la Loi sur les mesures d’urgence, Ottawa reprend le prétexte « d’insurrection » utilisé en 1970.
Le ministre de la Protection civile, Bill Blair, avait accusé les barrages frontaliers entre les États-Unis et le Canada de constituer une « attaque ciblée et coordonnée, financée par l’étranger, qui avait clairement et criminellement pour but de nuire au Canada, de porter atteinte aux Canadiens, d’interrompre les lignes d’approvisionnement vitales, de mettre nos travailleurs au chômage et de fermer nos usines ». Mais le Service canadien de renseignement et de sécurité d’Ottawa a été forcé d’admettre à la commission que rien ne prouvait cela.
« Nous expliquons que tout le cadre de la Loi sur les mesures d’urgence repose sur des décennies de continuité avec les efforts des familles capitalistes dirigeantes pour défendre leur richesse et leur pouvoir politique », a expliqué Steve Penner.
Les pouvoirs dictatoriaux inscrits dans la Loi sur les mesures d’urgence sont en harmonie avec la prétendue Charte canadienne des droits et libertés, qui a été ajoutée à la Constitution par le gouvernement de Pierre Trudeau en 1982. La charte permet au gouvernement d’Ottawa et aux gouvernements provinciaux de passer outre, à leur discrétion, aux droits démocratiques fondamentaux qui y sont énumérés.
Ces droits comprennent la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de presse, de réunion et d’association, ainsi que le droit d’être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.
Alors que la crise économique, morale et politique mondiale du capitalisme s’aggrave, les travailleurs ont besoin de « droits démocratiques et politiques pour défendre et renforcer nos syndicats et forger un parti des travailleurs basé sur la puissance syndicale mobilisée, qui luttera pour remplacer la domination des familles capitalistes milliardaires par un gouvernement des travailleurs et des agriculteurs », a conclu Steve Penner.