La condamnation à deux ans de colonie pénitentiaire russe de trois membres du groupe punk Pussy Riot a braqué le feu des projecteurs sur la lutte pour la liberté d’expression artistique et politique — et la question de l’espace pour les travailleurs pour faire de la politique — en Russie.
Les trois musiciennes féministes du groupe punk ont été expédiées en prison par un procès à spectacle orchestré, privées de leur droit de présenter la majorité de leurs témoins à décharge et condamnées pour avoir employé l’art pour s’élever contre la réélection et le nouveau gouvernement du président Vladimir Poutine.
Leur emprisonnement a provoqué des manifestations en Russie et au niveau international pour exiger : « Libérez Pussy Riot. »
Le 17 août un tribunal de district à Moscou a déclaré Maria Aliokhina, 24 ans, Ekaterina Samoutsevitch, 30 ans et Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, coupables d’« hooliganisme motivé par la haine religieuse. »
Il a fallu plus de trois heures à la juge Marina Syrova pour lire le verdict pendant que les accusées étaient contraintes de rester debout, menottées. Syrova a déclaré qu’elles avaient commis une « violation grave de l’ordre public » et fait preuve d’« un manque de respect flagrant envers la société. » La magistrate a décidé que « vu la nature de ce qui a été fait et le degré du danger posé, la correction des accusées ne peut se faire que par une punition réelle. »
Syrova a également déclaré que les femmes souffraient de troubles psychologiques et les a critiquées pour avoir épousé le féminisme, même si elle a concédé que cela n’est pas illégal.
Le 21 février, dix membres de Pussy Riot ont protesté contre Poutine dans la cathédrale du Christ-Sauveur de l’Église orthodoxe russe à Moscou. Dans une église presque vide, elles ont mimé une chanson accompagnées de guitares silencieuses, demandant à la Sainte Vierge de chasser Poutine et critiquant le patriarche Kirill I pour avoir accordé à Poutine l’appui de l’Église orthodoxe russe dans les élections présidentielles prévues pour le 4 mars. En moins d’une minute, les gardiens de sécurité les ont expulsées. Pussy Riot a enregistré la protestation sur vidéo, ajouté des paroles et de la musique et l’a postée sur internet.
Le 3 mars, la veille du scrutin présidentiel, les trois femmes ont été arrêtées. Elles ont été maintenues en détention jusqu’à leur procès cinq mois plus tard.
Les femmes ont témoigné qu’elles n’avaient pas l’intention d’offenser l’Église orthodoxe mais cherchaient à faire une déclaration politique contre Poutine et contre le patriarche pour son soutien au président. L’église a déclaré que la peine était « une réaction proportionnée…aux gestes blasphématoires, » mais sous la pression a appelé à la clémence.
Maria Aliokhina, Ekaterina Samoutsevitch et Nadejda Tolokonnikova n’ont montré aucun signe de s’être laisser intimidées. Elles souriaient et plaisantaient pendant les débats. Vers la fin de la condamnation par la juge Syrova, des partisans à l’extérieur ont fait jouer la nouvelle pièce musicale du groupe « Poutine allume les feux. »
« Le pays descend avec audace dans la rue … le pays fera ses adieux au régime, » ont chanté les membres du groupe.
« Nous nous attendons à être condamnées, a déclaré Ekaterina Samoutsevitch dans son plaidoyer final au procès. Comparées à la machine judiciaire nous ne sommes rien et nous avons perdu. Par contre, nous avons gagné. Le monde entier voit maintenant que les accusations criminelles contre nous ont été fabriquées. Le système ne peut dissimuler le caractère répressif de ce procès. »
Les avocats de la défense ont affirmé que les trois feraient appel devant des tribunaux supérieurs en Russie et la Cour européenne des droits de l’homme mais ne demanderaient aucune amnistie à Poutine. La police russe a déclaré qu’elle s’est mise à la recherche d’autres membres du groupe en lien avec la protestation.
Pussy Riot a gagné l’appui de personnages bien connus de la scène musicale internationale, y compris Paul McCartney et Sting. Pendant un concert à Moscou en août, Madonna a lancé un appel pour la libération des trois membres du groupe.
Le spectacle de Pussy Riot est survenu dans le contexte de manifestations plus larges suite aux élections du parlement russe, la Douma, le 4 décembre. Des dizaines de milliers de personnes ont participé à des rassemblements et des manifestations dans les mois qui ont suivi.
Lors de l’investiture de Poutine le 7 mai, des milliers de policiers anti-émeute, appuyés par des véhicules blindés, étaient dans les rues de Moscou. Des centaines de manifestants ont été arrêtés.
Le 8 juin, Poutine a signé une loi qui augmente fortement les amendes pour ceux qui organisent ou participent à des manifestations non autorisées — jusqu’à 9 000 $ pour les particuliers, 18 000 $ pour les organisateurs et plus de 30 000 $ pour les groupes ou les entreprises. Le salaire annuel moyen en Russie est de 8 500 $.
Dans ses remarques finales, Nadejda Tolokonnikova a déclaré que les membres du groupe sont des disciples et héritiers d’Alexandre Vvedensky, poète et fondateur d’Oberiou, une troupe de spectacle avant-gardiste qui a existé entre 1927 et 1930 avant d’être interdite par le gouvernement et avant que ses dirigeants ne soient arrêtés. Il est mort dans les prisons de Staline en 1941 après sa deuxième arrestation politique.
Art et révolution en Russie
La révolution russe de 1917, dirigée par Vladimir Lénine et le Parti bolchevik, a offert un espace énorme et un élan à l’expression artistique : la peinture, la littérature, le théâtre, le cinéma, souvent expérimentale et avant-gardiste. La direction bolchevique a pris soin de ne pas soumettre les artistes à la moindre politique d’État ou de décider de ce qui était permis ou non.
« Comme la science, l’art non seulement ne cherche pas à recevoir des ordres, mais par son essence même, ne peut les tolérer », a écrit Léon Trotsky, un dirigeant de la révolution, dans un article de 1938 intitulé « L’art et la révolution. » « La création artistique a ses lois — même quand elle sert consciemment un mouvement social. La véritable création intellectuelle est incompatible avec le mensonge, l’hypocrisie et l’esprit de conformité. »
La révolution s’est trouvée isolée en raison de l’incapacité des partis communistes en Allemagne et ailleurs de conquérir le pouvoir pendant des batailles révolutionnaires dans les années 1920, des conditions économiques sévères compte tenu de l’état arriéré de développement hérité du tsarisme et des attaques des forces contre-révolutionnaires ainsi que des armées impérialistes.
Après la mort de V.I. Lénine, en 1924, une caste bureaucratique — née sous ces conditions et sous la pression implacable du capitalisme mondial — s’est renforcée. Cette couche sociale privilégiée, dont le principal porte-parole était Joseph Staline, a pris le dessus sur ceux qui prônaient la poursuite de la voie révolutionnaire pour laquelle Lénine avait combattu et a consolidé son pouvoir politique à la fin des années 1920.
Cette contre-révolution a imposé un régime de plus en plus autoritaire sur le pays et sur les partis communistes au niveau international. La classe ouvrière en Russie et dans les républiques affiliées qui composaient l’Union soviétique a été chassée de la politique. L’art a été assujetti à un contrôle politique strict et ceux qui ne se conformaient pas ont été réduits à la clandestinité, placés dans des asiles psychiatriques ou éliminés.
Au cours des dernières décennies du vingtième siècle, alors que la puissance de la machine meurtrière stalinienne commençait à s’effilocher, des frémissements de résistance sont parus, trouvant leurs premières expressions dans la poésie et les arts. Avec la désintégration du régime stalinien à partir de la fin des années 1980, l’espace s’est ouvert aux travailleurs et agriculteurs pour revenir vers la politique et le monde.
Le combat pour la libération de Pussy Riot est aujourd’hui au centre de la défense de la liberté d’expression et de l’espace pour faire de la politique face aux tentatives des dirigeants russes pour le fermer.