Un article intitulé « Une Maison-Blanche avec Joe Biden serait-elle meilleure pour Cuba ? » a paru dans l’édition imprimée de la semaine dernière du Militant. Mais il a par la suite été retiré et n’a pas été inclus dans l’édition en ligne après que le Comité national du Parti socialiste des travailleurs a informé le rédacteur que l’article était contraire aux positions éditoriales défendues par le Militant dans le passé. Un éditorial concernant l’article paraît dans ce numéro.
Je remercie le rédacteur en chef pour me donner l’occasion d’expliquer, au nom des dirigeants élus du Parti socialiste des travailleurs, en quoi cet article ne représentait ni les perspectives du parti ni le cours que nous suivons depuis plusieurs décennies.
Les problèmes commencent avec le titre lui-même. Il pose une question que l’article n’aborde jamais. De plus, c’est une question à laquelle on ne peut répondre. Que peut-on dire sinon : « Si Joe Biden devient le prochain président des États-Unis, alors nous verrons. »
Il y a cependant deux choses que nous pouvons dire dès maintenant :
La première, c’est que peu importe qui de Joe Biden ou Donald Trump s’installera à la Maison-Blanche le 20 janvier 2021, les dirigeants révolutionnaires de Cuba maintiendront le cours qu’ils suivent depuis 1959, à travers 12 administrations américaines. Comme ils l’ont affirmé à maintes reprises au cours des décennies, la souveraineté et les principes révolutionnaires de Cuba ne sont pas sujets à discussion encore moins à négociation. Les dirigeants cubains sont toujours prêts à explorer les moyens de résoudre des problèmes d’intérêt commun entre Cuba et Washington, ou tout autre gouvernement, mais uniquement sur la base de l’égalité et du respect mutuel.
L’ancien président cubain Fidel Castro a clairement expliqué ce parcours dans son article de 2016 « Frère Obama. » Ce court article n’avait rien à voir avec des élections américaines ou avec l’un ou l’autre des partis politiques, c’est pourtant ainsi qu’on l’a cité et utilisé dans le Militant de la semaine dernière. Fidel reconfirmait ce que le peuple cubain a fait sans interruption pour défendre sa révolution : « Personne ne devrait avoir l’illusion que les habitants de ce pays digne et altruiste renonceront au respect, aux droits ou à la richesse spirituelle qu’ils ont acquis avec le développement de l’éducation, de la science et de la culture. […] Nous sommes capables de produire les richesses alimentaires et matérielles dont nous avons besoin avec les efforts et l’intelligence de notre peuple. Nous n’avons pas besoin que l’empire nous donne quoi que ce soit. »
La deuxième chose que nous savons, c’est que peu importe qui occupera la Maison-Blanche pendant les quatre prochaines années, le Parti socialiste des travailleurs continuera lui aussi à suivre le cours que nous suivons depuis 1959. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour dire la vérité sur la révolution socialiste à Cuba aux travailleurs aux États-Unis et dans le monde, et pour organiser les travailleurs afin de défendre ce que les travailleurs et les agriculteurs ont accompli à Cuba en conquérant et en utilisant le pouvoir d’État.
Agissant de concert avec d’autres, quels que soient leurs points de vue sur cette élection américaine ou sur d’autres, le SWP continuera de combattre tous les aspects de la guerre politique, diplomatique et économique de la classe dirigeante américaine contre le peuple cubain. Nous célébrerons comme une victoire pour le peuple cubain, et une victoire pour les travailleurs du monde entier, chaque initiative prise par une administration, républicaine ou démocrate, qui permette d’atténuer les mesures prises par les impérialistes pour renverser le pouvoir politique des travailleurs cubains.
Pour le SWP, ce n’est pas seulement une question de solidarité. C’est aussi une question de vie ou de mort pour la classe ouvrière américaine. Sans qu’une partie substantielle des travailleurs aux États-Unis comprennent la révolution cubaine et cherchent à imiter l’exemple des travailleurs et des agriculteurs cubains, il n’y aura pas de révolution socialiste victorieuse aux États-Unis.
Ce n’est pas un rêve utopique. Imiter l’exemple des travailleurs cubains est un élément essentiel de la conscience que la classe ouvrière pourra développer et développera à mesure que nous mènerons ensemble nos propres luttes, qui iront en s’approfondissant. C’est une partie irremplaçable de la continuité politique du Parti socialiste des travailleurs et de sa direction, du cours révolutionnaire prolétarien du SWP.
Élections 2020 et solidarité avec Cuba
Le deuxième problème majeur avec l’article « Une Maison-Blanche avec Joe Biden serait-elle meilleure pour Cuba ? » ce sont ses premières phrases. « Un certain nombre de groupes ici et à travers le pays qui se considèrent comme des « amis de Cuba » font la promotion de la candidature de Joe Biden à la présidence comme un moyen de soulager les effets de plus de 60 ans d’attaques économiques et politiques de Washington. Ces groupes organisent des caravanes [à Miami], colportant le mythe selon lequel les administrations démocrates […] « ont été meilleures » pour les relations entre Washington et La Havane. »
Le caractère anonyme, journalistiquement inacceptable, de l’expression « un certain nombre de groupes » aurait dû suffire pour rejeter une telle phrase d’introduction dans un journal ouvrier. Mais en quoi est-ce un problème que certains amis de Cuba appellent à voter pour Joe Biden ? Ou Donald Trump ? Est-ce un problème que le Parti socialiste des travailleurs encourage et organise le plus de gens possible à soutenir les candidats du SWP, Alyson Kennedy et Malcolm Jarrett ?
On trouve de telles différences bien au-delà du mouvement de solidarité avec Cuba. Il s’agit des questions politiques les plus vastes et les plus importantes auxquelles sont confrontées la classe ouvrière et d’autres couches opprimées et exploitées au sein de la population américaine.
Pratiquement tous les individus impliqués dans l’activité de solidarité avec Cuba soutiennent l’un ou l’autre candidat à la présidence en 2020. S’il s’agissait d’un problème que le Militant devrait dénoncer et contre lequel il devrait polémiquer, alors il n’y aurait aucune base politique pour le Réseau national sur Cuba ou toute autre coalition de solidarité dans aucune ville ou région du pays.
Si l’un ou l’autre de ces partis ou individus cherchait à imposer un soutien à « son » parti ou à ses vues comme condition pour agir conjointement autour de la seule question qui nous rassemble, soit l’opposition aux politiques des dirigeants impérialistes américains pour écraser la révolution cubaine, ce serait un problème qu’aborderait certainement des articles du Militant. Un factionnalisme sectaire préjudiciable de ce type divise malheureusement les forces de solidarité avec Cuba dans de nombreux pays. Mais ce n’est pas le problème abordé dans l’article.
Le SWP cherche depuis le début à construire les coalitions les plus larges possibles pour défendre Cuba et la révolution cubaine. Nous avons commencé en collaborant, au début des années 60, pour mettre sur pied le Comité fairplay pour Cuba, avec le journaliste libéral de CBS, Robert Taber, avec des membres du Parti communiste américain, avec d’éminents écrivains, artistes, universitaires et chefs religieux, dont James Baldwin, Norman Mailer, Waldo Frank, Carleton Beals, avec Robert Williams, un dirigeant de la NAACP qui subissait des attaques constantes à Monroe, en Caroline du Nord, ainsi qu’avec d’autres combattants pour les droits des Noirs.
Plus récemment, la construction, couronnée de succès, d’un mouvement aussi large que possible, aux États-Unis et dans le monde, pour obtenir la liberté des cinq révolutionnaires cubains victimes d’un coup monté et enfermés dans les prisons fédérales américaines, en a fourni un autre exemple.
En s’unissant pour aider à vaincre les tentatives des dirigeants américains de détruire la révolution cubaine, quel parti vous soutenez, quelles sont vos opinions religieuses ou votre position sur Israël, la Palestine, les droits à l’avortement, les questions de sexe et de genre, ou tout autre question sociale ou politique contestée n’a aucune importance.
Ce qui compte, c’est ce que vous faites pour aider à impliquer de nouvelles forces et faire progresser l’objectif commun ; ce que vous faites pour vous opposer aux tentatives d’exclusion d’individus ou de groupes avec lesquels vous n’êtes pas d’accord sur d’autres questions ; ce que vous faites pour favoriser la libre circulation de littérature politique et un débat et une discussion ouverts et civils.
Trump, Biden et Cuba aujourd’hui
L’article « Une Maison-Blanche avec Joe Biden serait-elle meilleure pour Cuba ? » ne reflète pas la ligne éditoriale du Militant ou les positions du Parti socialiste des travailleurs également à un troisième niveau, soit dans sa façon de présenter les différences entre les actions prises par l’exécutif de l’administration Barack Obama au cours de son deuxième mandat et les mesures imposées par l’administration Trump. Ces dernières ont eu pour effet de réduire le droit de voyager d’un pays à l’autre et de priver Cuba de produits de première nécessité tels que le pétrole, l’accès au système financier international et les envois de fonds de membres de la famille vivant à l’étranger.
S’appuyant sur des décennies de mesures venant des deux partis pour étrangler économiquement les travailleurs cubains, la Maison-Blanche a ajouté au cours des deux dernières années certaines des mesures politiques et économiques les plus draconiennes jamais prises contre Cuba ; ces mesures ont accru l’impact sur le peuple cubain de la crise croissante du capitalisme mondial et de la pandémie de COVID-19. Les pénuries de carburant, de médicaments, de denrées alimentaires importées et de produits d’hygiène personnelle pèsent sur la vie quotidienne des travailleurs cubains. L’article de la semaine dernière, qui ne mentionnait même pas ces conséquences du cours de l’administration Trump, peut sembler ignorant ou même insensible.
L’article s’est contenté d’accumuler des arguments contre Biden. Prenant la parole à Miami le 5 octobre, le candidat à la présidence du Parti démocrate a répété des mensonges éculés sur la révolution cubaine. « L’approche de l’administration [actuelle] ne fonctionne pas, a soutenu Biden. Cuba n’est pas plus proche de la liberté et de la démocratie aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quatre ans. En fait, il y a plus de prisonniers politiques, la police secrète y est plus brutale que jamais et la Russie a de nouveau une présence majeure à Cuba. »
Délibérément vague, Biden a ajouté qu’il annulerait certaines des mesures prises par l’administration actuelle et reviendrait aux politiques de l’administration Obama.
Il est sage de se rappeler bien sûr que les promesses de campagnes électorales sont facilement et fréquemment oubliées après l’élection et que Trump n’a pas le monopole des agressions contre le peuple cubain. Les exemples abondent : l’invasion mercenaire organisée par les États-Unis en 1961 dans la baie des Cochons ; la crise des missiles de 1962, quand le gouvernement américain a fait planer la menace d’anéantissement nucléaire non seulement sur Cuba, mais aussi sur une grande partie des États-Unis et de l’Union soviétique ; les plans d’assassinat de Fidel Castro et d’autres dirigeants centraux de la révolution, qui ont duré des années ; l’adoption de la loi Helms-Burton en 1996 ; l’arrestation, la poursuite et l’emprisonnement des Cinq Cubains en 1998.
Ce ne sont là que quelques-uns des actes d’agression les plus notoires des dirigeants américains contre Cuba et tous ont été perpétrés pendant des administrations du Parti démocrate.
Cependant cela ne signifie pas que les divergences au sein de la classe dirigeante américaine, exprimées aujourd’hui par Biden et Trump, sur la meilleure façon de miner la révolution cubaine sont sans importance pour le peuple cubain.
Si une administration Biden devait atténuer certaines des politiques actuelles de Washington, cela donnerait aux travailleurs cubains et à leur gouvernement une certaine marge de manœuvre pour mieux faire face aux défis auxquels ils sont confrontés. S’ils pouvaient respirer un peu mieux, ils seraient tout à fait capables de le faire. Nous accueillerions tout mouvement dans ce sens, tout comme nous l’avons fait face aux initiatives prises pendant les dernières années de pouvoir d’Obama, pour libérer les trois derniers des Cinq Cubains incarcérés dans les prisons américaines, rétablir les relations diplomatiques avec Cuba, faciliter le voyage des résidents américains vers l’île et d’autres mesures.
Votez pour le « moindre mal » ?
Pour ces raisons, il est probablement juste de dire qu’une majorité de travailleurs cubains et de leurs dirigeants espèrent une victoire électorale de Biden. Cela signifie-t-il qu’il est dans l’intérêt des travailleurs américains d’apporter un soutien politique à un parti capitaliste et à ses candidats ?
Cette question n’a été ni posée ni abordée dans l’article « Une Maison-Blanche avec Joe Biden serait-elle meilleure pour Cuba ? » Mais pour les travailleurs aux États-Unis qui possèdent une conscience de classe, c’est pourtant la question la plus importante. Et la réponse est un « non » sans équivoque.
Depuis plus d’un siècle, la grande faiblesse de la classe ouvrière aux États-Unis, et cela comprend des travailleurs de toutes les couleurs de peau, croyances religieuses et origines nationales, des hommes et des femmes, est le fait que les partis auxquels la grande majorité adhère, sont des instruments de la classe capitaliste dont la richesse et le pouvoir découlent de notre exploitation. Les syndicats, les églises et toutes les organisations qui prétendent défendre les intérêts des agriculteurs endettés, des commerçants et des travailleurs contractuels, des Américains africains, des femmes, des Hispaniques, des immigrants, des peuples autochtones et d’autres, toutes ces organisations ou presque sont intégrées à l’appareil politique de l’État capitaliste et à ses partis politiques.
La classe ouvrière n’a pas d’outil politique qui nous soit propre, dans lequel nous pouvons débattre et prendre nos propres décisions, indépendamment des patrons et de leurs partis démocrate, républicain ou de divers « tiers partis » capitalistes. Lorsque les travailleurs et nos syndicats sont entraînés dans l’activité politique, c’est généralement pour nous pousser vers une politique électorale capitaliste. Est-il ou est-elle pire ? Débarrassons-nous des « mauvais » et votons pour les « bons », puis répétons ce cycle avec les mêmes résultats, année après année, décennie après décennie … jusqu’à ce que le capitalisme mondial nous écrase tous, d’une manière ou d’une autre.
Nous ne commencerons à surmonter ce mauvais apprentissage que lorsque les batailles de classe se développeront dans les usines et autres lieux de travail à propos des salaires et des conditions de travail, et que la composition de la direction des luttes pour les droits des Noirs, pour l’égalité des femmes et contre d’autres problèmes sociaux brûlants deviendra de plus en plus une direction ouvrière. Les progrès des luttes révolutionnaires dans d’autres régions du monde feront accélérer le cours de ces luttes et la croissance de la conscience de la classe ouvrière, comme la révolution cubaine a éduqué et aidé à transformer des générations précédentes de travailleurs et de jeunes aux États-Unis et ailleurs. La crise mondiale du capitalisme, qui s’approfondit aujourd’hui, nous rapproche de ce moment.
C’est pourquoi la meilleure façon d’aider nos frères et sœurs assiégés à Cuba ou ailleurs dans le monde, c’est de faire tout ce que nous pouvons pour faire avancer ces luttes tout en faisant connaître sans relâche l’exemple qu’ont donné les travailleurs cubains que la révolution socialiste est non seulement nécessaire, mais qu’on peut la faire.
Surtout, comme l’écrivait le secrétaire national du SWP Jack Barnes dans le livre Cuba et la révolution américaine à venir, nous savons qu’aux États-Unis, « les capacités révolutionnaires des travailleurs et des agriculteurs sont aujourd’hui aussi totalement ignorées par les puissances dirigeantes que celles des travailleurs et paysans cubains. Et tout aussi à tort. »