Le taux de chômage officiel aux États-Unis est de plus en plus dénué de sens en tant que mesure de ce que les travailleurs rencontrent en réalité — des perspectives d’emploi qui s’amenuisent, des salaires qui baissent et des conditions de travail qui se détériorent.
Alors que le chiffre a légèrement baissé en avril à 8,1 pour cent, en vérité il y avait plus de personnes sans emploi. La raison est qu’un nombre de personnes bien plus important a été classé comme travailleurs découragées et n’est plus comptabilisé comme faisant partie de la population active officielle, ce que le ministère du Travail utilise pour calculer le taux de chômage. La population active est définie comme le nombre de ceux qui ont un travail ou qui sont activement à la recherche d’un emploi.
Avec environ 3,7 demandeurs d’emploi pour chaque emploi disponible, beaucoup de personnes sans travail se découragent en effet. Ce phénomène frappe de manière disproportionnée les Noirs et d’autres couches de travailleurs qui, sous le capitalisme, sont systématiquement les derniers à être embauchés et les premiers à être licenciés.
Selon les statistiques du gouvernement, il y a eu 115 000 emplois de plus en avril, mais 342 000 travailleurs ont été « éliminés » de la population active. Le pourcentage de la population adulte qui est compté dans la population active — ce que les statisticiens du gouvernement appellent le taux de participation à la population active — a baissé depuis dix ans, surtout ces dernières années. Ce taux est en recul de 0,2 pour cent par rapport au mois de mars à 63,6 pour cent, le niveau le plus bas depuis 1981.
« Si aujourd’hui le pourcentage d’adultes faisant partie de la population active était le même qu’au moment où Barack Obama est entré en fonction, a déclaré le quotidien Washington Post, le taux de chômage serait de 11,1 pour cent. » Si ce pourcentage était au niveau où il était lorsque George W. Bush est entré en fonction en 2001, il serait de 13,1 pour cent.
Le taux de participation a augmenté régulièrement pendant environ quarante ans à partir du milieu des années 1960, période au cours de laquelle un nombre croissant de femmes s’est intégré chaque année à la population active. Le taux de participation des femmes a atteint son niveau le plus élevé, environ 60 pour cent, en 2008, mais il a baissé depuis.
Le nombre de travailleurs de sexe masculin compté dans la population active est tombé en avril à 70 pour cent, le taux le plus bas depuis que le gouvernement a commencé à calculer ces chiffres en 1948.
Un grand nombre de commentateurs économiques a attiré l’attention sur le départ en retraite de la génération du « bébé boom » qui a suivi la deuxième guerre mondiale. Ces départs constitueraient un facteur important. Selon la Réserve fédérale de Chicago, le quart de la baisse depuis 2007 est attribuable aux retraites. Mais en fait les travailleurs plus âgés sont en train de reprendre le travail à un rythme saisissant, remettant à plus tard une retraite qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir. Le nombre d’emplois des travailleurs âgés de plus de 55 ans a augmenté de près de 3 millions au cours des trois dernières années, 1,1 millions de plus que le total net de création d’emplois.
Le chômage de longue durée a aussi atteint des niveaux record ; la durée moyenne est actuellement de 39,1 semaines.
Un nombre grandissant de travailleurs « découragés », le taux de chômage qui demeure élevé, le chômage de longue durée — tout cela indique l’expansion de ce que Karl Marx a appelé l’armée de réserve industrielle. Cette tendance inhérente au fonctionnement du capitalisme se manifeste alors que le système patronal basé sur le profit entre dans les premières phases d’une profonde crise économique mondiale.
Plus de production avec moins de travailleurs
Dans l’industrie manufacturière, où 16 000 emplois ont été créés en avril, les patrons ont consolidé leurs marges de profit par la baisse des salaires, l’augmentation des cadences de travail et d’autres concessions arrachées aux travailleurs. Les patrons aux États-Unis ont fait des progrès plus substantiels dans ce sens que leurs rivaux dans une grande partie de l’Europe et d’ailleurs où la production et l’emploi industriels baissent de façon sensible. De plus, certaines subventions du gouvernement U.S., conçues pour donner un avantage supplémentaire dans la compétition internationale acharnée pour des marchés, ont aussi stimulé ce secteur de façon temporaire et marginale.
Par exemple, à la compagnie Revere Copper Products à Rome dans l’État de New York, où le gouvernement de l’État fournit de l’électricité au prix coûtant, un accord d’entreprise comportant de nombreuses concessions et soutenu par le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile a augmenté le coût de la couverture médicale pour les salariés, a mis fin à la rémunération des pauses repas et a encouragé l’entreprise à augmenter les cadences — au diable la sécurité et la santé au travail. « Le temps nécessaire pour transformer une galette de cuivre de 10 tonnes en feuilles finies, d’épaisseurs diverses, a été réduit de trois semaines à trois jours, » a rapporté le New York Times.
Ce que les capitalistes appellent « la productivité », la quantité du travail extraite du travail vivant, augmente de façon dramatique depuis 2009. Aujourd’hui l’économie U.S. « produit plus de biens et de services qu’au début officiel de la récession, en décembre 2007, mais avec environ cinq millions de travailleurs de moins, » a noté le Times.
Une bonne partie de la presse qui commente l’économie s’est lamentée de la baisse mineure de productivité de 0,5 pour cent pendant le premier trimestre de cette année, une indication que le rythme et l’ampleur des efforts patronaux pour presser chaque travailleur à produire plus est telle qu’une pause temporaire est nécessaire avant de repasser à l’offensive sur ce front.
Les salaires réels baissent. Depuis les 12 derniers mois, les salaires hebdomadaires moyens ont augmenté de 2,1 pour cent, selon le Wall Street Journal. Mais le taux officiel d’inflation, sous-estimé à dessein, a augmenté de 3 pour cent, ce qui n’inclut même pas l’augmentation du prix de l’alimentation et de l’essence. À long terme les classes possédantes visent à imposer une baisse des attentes et du niveau de vie socialement accepté par les travailleurs, faisant baisser ce que Marx appelait « l’élément historique et moral » de la valeur de la force de travail.
La classe dirigeante réagit et discute de la crise
Entretemps, la classe dirigeante et ses journaux débattent entre eux du cours politique de leur gouvernement par rapport aux taxes, aux budgets, à la régulation financière et aux ajustements monétaires.
Par exemple, le New York Times, un des principaux journaux libéraux, encourage l’adoption du plan d’Obama pour accroître les dépenses gouvernementales, ce qui revient essentiellement à recourir à la planche à billets, soi-disant pour stimuler la « croissance » et créer des emplois. « Sans davantage d’aide du gouvernement — surtout plus de dépenses vigoureuses pour renforcer la demande — l’économie ne retrouvera simplement pas la dynamique nécessaire pour se remettre d’aplomb de sitôt, » peut-on lire dans un éditorial du 4 mai. Cette approche soutient surtout temporairement certains profits et gonfle les valeurs à la bourse et d’autres bulles financières à des niveaux de plus en plus intenables.
Le Wall Street Journal fait partie de ceux qui dressent un réquisitoire contre cette voie. « La Réserve fédérale U.S. a suivi une politique monétaire d’argent très facile au nom de la réduction du taux de chômage et du renflouement du marché immobilier, a déclaré le Journal, mais cela a contribué à une hausse des prix des aliments et de l’énergie et a ainsi réduit les hausses du revenu réel. Il s’agit aussi d’une mesure qui décourage le travail. »
Mais le débat porte sur comment les profits tirés par des capitalistes du labeur des travailleurs sont distribués et répartis, pas sur comment ils sont produits. Certaines de leurs mesures ont pour but d’acheter du temps, de remettre à plus tard les conséquences de la crise pendant qu’ils s’organisent pour augmenter le taux d’exploitation de la classe ouvrière.
À la longue, le résultat inéluctable de ces attaques est une montée de la lutte des classes, dont nous voyons déjà aujourd’hui les premières manifestations.