La crise politique et la violence des gangs pèsent lourdement sur les travailleurs en Haïti

Róger Calero
le 24 mars 2025
Port-au-Prince, Haïti, le 17 février 2022. Des manifestants exigent une augmentation du salaire minimum. Le mépris impérialiste et la violence des gangs ont aujourd’hui repoussé les luttes ouvrières.
REUTERS/RALPH TEDY EROLPort-au-Prince, Haïti, le 17 février 2022. Des manifestants exigent une augmentation du salaire minimum. Le mépris impérialiste et la violence des gangs ont aujourd’hui repoussé les luttes ouvrières.

La crise politique prolongée et la violence meurtrière des gangs en Haïti continuent de s’aggraver, avec des conséquences dévastatrices pour les travailleurs. Au moins 5 600 personnes ont été tuées par des gangs en 2024, et le nombre de personnes forcées de fuir leur domicile a triplé pour atteindre plus d’un million.

De leur côté, les partis capitalistes représentant des sections rivales de la classe dirigeante du pays et les puissances étrangères qui interviennent en Haïti sont dans une impasse pour mettre en place un semblant de régime démocratique bourgeois stable.

Les dirigeants capitalistes d’Haïti et les gouvernements des États-Unis, du Canada et d’Europe qui ont historiquement dominé le pays n’ont pas de solution à ces effondrements meurtriers. Ces tueries sont le produit de décennies de pillage impérialiste, exacerbé par la crise économique mondiale actuelle, et de régimes dictatoriaux successifs qui se sont appuyés sur des gangs paramilitaires pour terroriser les travailleurs.

Dans le cadre d’un plan concocté par l’administration de Joseph Biden en avril 2024, un Conseil présidentiel de transition a été mis sur pied et chargé d’organiser des élections présidentielles, longtemps retardées, avant la fin de 2025. Après des tractations entre les partis politiques rivaux, Fritz Alphonse Jean est devenu le troisième président de transition le 7 mars.

Washington a obtenu des Nations unies qu’elles approuvent l’envoi en Haïti d’une force militaire étrangère dirigée par le Kenya – la Mission multinationale d’appui à la sécurité – chargée de mettre fin aux violences. Jusqu’à présent, elle n’a fait que peu d’incursions dans le territoire contrôlé par les gangs, qui s’est en fait étendu à mesure que ceux-ci formaient leurs propres alliances.

Les gangs contrôlent la quasi-totalité de la capitale Port-au-Prince. Ils détournent fréquemment des camions de marchandises et bloquent des terminaux pétroliers, ce qui provoque des pénuries de carburant. Le contrôle qu’ils exercent sur les routes principales fait grimper les prix des denrées alimentaires et les coûts de transport, ce qui a provoqué le quasi-effondrement de l’approvisionnement en eau et en électricité, ainsi que des services de santé. Le pays est devenu une plaque tournante du trafic transnational d’armes à feu et de drogues, entretenu par la corruption du gouvernement.

L’année dernière, Médecins sans frontières a suspendu ses activités en Haïti pendant 22 jours à la suite de menaces répétées de mort et de viol à l’endroit de son personnel et de ses patients, menaces qui venaient de la police et des groupes d’autodéfense soutenus par le gouvernement.

Le gouvernement cubain maintient une brigade médicale qui fournit des services dans le sud du pays. Cuba a maintenu sans interruption une mission en Haïti depuis 1998, lorsqu’il a envoyé des médecins volontaires et d’autres personnels médicaux pour soigner les victimes de l’ouragan George, puis à nouveau après le tremblement de terre massif de 2010. Au fil des ans, ces volontaires internationalistes ont prodigué des soins à des millions de travailleurs.

Les capitalistes dominicains en profitent

De l’autre côté de l’île d’Hispaniola, partagée entre Haïti et la République dominicaine, le gouvernement dominicain multiplie les déportations d’Haïtiens. Il a déporté plus de 276 000 personnes en 2024, principalement des Haïtiens. Près d’un million d’Haïtiens vivent en République dominicaine.

Le gouvernement dominicain promet d’expulser 10 000 immigrants haïtiens par semaine. Son objectif n’est toutefois pas d’expulser tous les immigrants sans papiers du pays, mais de leur faire peur et de les rendre plus vulnérables à l’exploitation. Les patrons de l’agriculture, de la construction et d’autres industries dépendent des salaires et des conditions inférieurs qu’ils imposent aux travailleurs haïtiens pour maintenir leurs niveaux de profit, et ils n’ont pas l’intention de changer cela.

En 2024, les capitalistes dominicains ont exporté près de 900 millions de dollars de marchandises vers Haïti, soit 23 millions de dollars de plus qu’en 2023.

Les entreprises textiles dominicaines tirent profit de l’importation sans tarifs de produits de coton provenant des États-Unis, puis de leur vente, y compris de tissus, aux patrons des zones textiles de libre-échange en Haïti.

La violence des gangs a un effet dissuasif sur les luttes des travailleurs, avec des dizaines de milliers de licenciements dans les usines de textile et de vêtement. En 2022, les travailleurs haïtiens du vêtement ont remporté une victoire lorsqu’une coalition de syndicats a négocié un accord avec le gouvernement pour fournir des allocations de transport et de nourriture.