Le président égyptien restreint les droits politiques

Au milieu de manifestations de masse, les travailleurs défendent l’espace pour s’organiser

Seth Galinsky
le 24 décembre 2012

Depuis le 22 novembre, lorsque le président égyptien Mohamed Morsi a décrété que toutes ses décisions étaient « définitives et contraignantes » jusqu’à ce qu’une nouvelle constitution soit adoptée, des centaines de milliers d’opposants et de partisans de son gouvernement ont participé à des manifestations concurrentes à travers le pays.

Mohamed Morsi, un dirigeant des Frères musulmans, a annoncé le 9 décembre qu’un référendum sur une nouvelle constitution codifiant des restrictions sur les droits démocratiques, les syndicats et la liberté de culte, aurait lieu le 15 décembre, ignorant les appels d’une série de partis d’opposition bourgeois et de nombreux syndicats pour que le vote soit reporté. Mohamed Morsi a déclaré qu’il avait autorisé l’armée à arrêter des civils pour maintenir « l’ordre public » jusqu’à ce que le vote soit terminé.

Mohamed Morsi a également modifié le décret stipulant que ses décisions ont force de loi et ne peuvent pas être portées en appel devant un tribunal, en affirmant que cela ne s’applique qu’aux « déclarations constitutionnelles. » Quelques jours plus tôt, il avait appelé à un dialogue avec les dirigeants de l’opposition.

Mohamed Morsi a été élu en juin suite à la déposition du dictateur Hosni Moubarak par l’armée en février 2011 après plusieurs semaines de protestations par des centaines de milliers de personnes inspirées par le mouvement qui a renversé la dictature de Ben Ali en Tunisie. Les protestations se sont poursuivies contre le régime militaire qui a remplacé Moubarak au début.

Sous prétexte de consolider la « révolution » et d’empêcher un retour au régime militaire direct, les Frères musulmans — le plus grand parti capitaliste du pays et le mieux organisé — essaient de réduire l’espace que les travailleurs ont conquis au cours de cette lutte.

Dans plusieurs villes, opposants et partisans des mesures se sont affrontés, faisant des morts et des blessés des deux côtés.

Préoccupé par une nouvelle série d’actions de masse à travers le pays, le président Barack Obama a appelé le président égyptien le 6 décembre et a « salué l’appel au dialogue avec l’opposition lancé par Mohamed Morsi, » selon un communiqué de presse de la Maison Blanche. « Il est essentiel pour les dirigeants égyptiens de toutes tendances politiques de mettre de côté leurs différences et de s’entendre sur une façon de faire progresser l’Égypte, » a-t-il dit. Mais les partis d’opposition ont rejeté l’appel à moins que le référendum ne soit reporté.

Bien que le projet de constitution utilise le mot « liberté » 42 fois, il limite la liberté d’expression en interdisant l’outrage aux prophètes ou aux individus. Il contient des dispositions qui sont très largement perçues comme un renforcement de l’application de la charia et qui limitent la liberté de culte. Cela permet le contrôle par l’État des finances de l’église chrétienne copte et l’élimination des protections pour les adeptes de la foi baha’ie. Environ 5,3 pour cent des 80 millions d’Égyptiens sont des chrétiens coptes.

Le projet de constitution compromet également le droit des travailleurs à s’organiser en précisant qu’un seul syndicat est autorisé « par profession. » Depuis le renversement de Moubarak, des centaines de nouveaux syndicats ont été formés, souvent en concurrence directe avec la fédération soutenue par l’État.

Le projet de constitution élimine une clause de l’ancienne constitution qui interdit la discrimination « sur la base du sexe, de l’origine, de la religion et de la foi. »

Poursuivant l’alliance difficile entre les Frères musulmans et le haut commandement militaire, la constitution autorise des procès militaires contre des civils ayant commis « des crimes qui touchent les forces armées » et garde le budget militaire secret. Les hauts responsables de l’armée sont un secteur clé de la classe capitaliste égyptienne. L’armée possède de grandes usines et des fermes, contrôlant entre 20 et 30 pour cent de l’économie du pays.

Les intérêts des travailleurs

« Les décrets du gouvernement ne sont clairement pas dans l’intérêt des travailleurs, » a déclaré au Militant  Ibrahim Hamdi, un travailleur d’une usine textile appartenant à l’État à Mahalla El Kubra, lors d’une interview téléphonique le 8 décembre. « C’est pourquoi des milliers d’entre nous avons participé à des manifestations exigeant qu’ils soient abrogés. »

Bien que la plupart des travailleurs des ateliers ne soient pas partisans des Frères musulmans, « Nous essayons de discuter avec ceux qui sont avec Morsi, de les rallier, » a-t-il dit.

« Nos principales exigences syndicales portent sur la sécurité au travail et des investissements publics pour remettre les machines en marche et ainsi embaucher plus de travailleurs, » a ajouté Ibrahim Hamdi, notant en passant que des milliers de travailleurs ont perdu leurs emplois au cours des dernières années.

« La constitution dit que les femmes doivent être protégées et ceci est vraiment inquiétant, » a dit au Militant  Alea Murad, une jeune diplômée collégiale qui travaille dans une université au Caire. « Je suis une musulmane pratiquante mais les Frères déforment certains textes religieux pour les interpréter à leur manière. Ils veulent ramener des lois faisant qu’un mari peut décider si sa femme peut travailler ou non, si elle peut s’inscrire à l’université ou si elle peut voyager. Comme si ça ne suffisait pas que nous n’avons pas accès à beaucoup de domaines d’emplois. »

Alea Murad a dit que certains de ses proches, beaucoup d’ingénieurs ou de professeurs, sont partisans des Frères musulmans. « Avant que Mohamed Morsi soit élu, nous parlions beaucoup de nos désaccords, la discussion était plus acceptable. Mais maintenant, ses partisans deviennent de plus en plus haineux, » a-t-elle dit.

Le Front du salut national qui a été formé pour s’opposer aux mesures de Mohamed Morsi est dominé par des politiciens capitalistes. Il est dirigé par Mohamed el Baradei, l’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, organe de l’ONU, et dirigeant du Parti constitutionnel ; Amr Moussa, ancien chef de la Ligue arabe et à une certaine époque le ministre des Affaires étrangères de Moubarak; Al-Sayed al Badawy, le chef du Parti Wafd qui a joué le rôle d’opposition loyale durant le régime de Moubarak; et Hamden Sabbahi, le chef du Courant populaire nassériste.

Le front inclut aussi plusieurs groupes sociaux-démocrates et radicaux de la classe moyenne, incluant Al-Tagammu, le Parti d’alliance populaire socialiste et le Parti social-démocrate.

Le haut commandement militaire a essayé de se prétendre au-dessus de la mêlée. « Nous soutenons l’appel à un dialogue national pour atteindre un consensus qui unira tous les segments de la nation, » a déclaré le porte-parole des forces armées Ahmed Mohamed Ali le 8 décembre. « Les forces armées ont toujours assuré la sécurité de la nation et de son peuple. »

Depuis qu’il a pris le pouvoir, Mohamed Morsi a maintenu plusieurs des politiques issues autant de Moubarak que du régime militaire intérimaire qui a lui succédé immédiatement après sa chute. Et comme ses prédécesseurs, il a appelé les travailleurs à cesser de faire grève pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail.

Les Frères appuient l’austérité du FMI

Le premier ministre égyptien Hisham Kandil a entamé des négociations avec le Fonds monétaire international à propos des conditions d’un prêt de 4,8 milliards de dollars que le gouvernement de Mohamed Morsi a demandé afin d’atténuer les effets de la crise économique, incluant une baisse importante du tourisme et des investissements étrangers ainsi qu’un déficit budgétaire estimé à 27,5 milliards de dollars.

Selon les termes de l’accord, le gouvernement a déjà commencé à réduire les subventions pour le gaz de cuisine et l’électricité et planifie d’en réduire plus, y compris pour la nourriture. « Nous avons besoin de faire cela graduellement pour s’assurer que cela peut réussir, » a dit Hisham Kandil au Financial Times  de Londres en octobre. « Il n’y a pas de bon moment pour implanter un programme de réformes. »

Le 9 décembre, Mohamed Morsi a annoncé qu’il imposait de nouvelles taxes sur les boissons gazeuses, la bière, les cigarettes, les services de téléphone cellulaire, l’huile de cuisine, les fertilisants et les pesticides dans la perspective d’obtenir le prêt du FMI. Plus tard dans la soirée, il annonçait que ces mesures étaient suspendues « jusqu’à ce que le niveau d’acceptation publique soit clair. »

« Morsi n’a plus de légitimité, » a dit par téléphone Gamal Abu’l Oula Hassamin, directeur du Centre pour les syndicats de métiers et les services aux travailleurs qui aide les travailleurs à s’organiser à Mahalla. « Les travailleurs des ateliers, les autres travailleurs et les résidents du quartier discutent de ce qu’il faut faire. »

Georges Mehrabian à Athènes, en Grèce, a contribué à cet article.