MONTRÉAL — Le docteur Henry Morgentaler, dirigeant de longue date du mouvement pour décriminaliser l’avortement au Canada, est décédé le 29 mai à l’âge de 90 ans. En raison de son opposition publique de principe à l’ancienne loi fédérale restrictive sur l’avortement au Canada, il est devenu un porte-parole très connu pour le droit des femmes de choisir au Canada et au niveau international.
Le docteur Morgentaler a été traîné au tribunal à quatre reprises parce qu’il a publiquement admis pratiquer des avortements au mépris de la loi, qui exigeait l’approbation de comités thérapeutiques. Chaque fois il a été acquitté par des jurys, qui ont accepté son argument que les avortements étaient nécessaires pour sauver la vie et la santé des femmes.
En 1988, la Cour suprême du Canada a entériné le dernier acquittement du docteur Morgentaler et a invalidé la loi sur l’avortement, estimant qu’elle niait aux femmes le droit à « la vie, la liberté et la sécurité de la personne. »
Avant d’immigrer au Canada en 1950 à l’âge de 27 ans, Henry Morgentaler, d’origine juive, a vécu plusieurs années dans des camps de concentration nazis. Cette expérience a profondément marqué sa vision politique.
En tant que médecin généraliste dans un quartier ouvrier de Montréal dans les années 1960, le docteur Morgentaler a d’abord refusé de violer la loi sur l’avortement du Canada, ce qui à l’époque était passible d’une peine de prison à perpétuité. Mais il a changé sa démarche après avoir traité plusieurs patientes avec des lésions mettant en question leur vie à la suite d’avortements bâclés.
« J’ai décidé d’enfreindre la loi pour fournir un service médical nécessaire parce que des femmes étaient en train de mourir aux mains de bouchers et de charlatans incompétents, et il n’y avait personne pour les aider, » a-t-il confié à son biographe en 1996.
Le docteur Morgentaler a également été influencé par la décision historique de 1973 de la Cour suprême des États-Unis dans la cause Roe contre Wade, qui a invalidé les lois des États limitant l’avortement avant 24 semaines et qui a déterminé que le droit constitutionnel à la vie privée protège le droit d’une femme de choisir.
« La décision de la Cour suprême des États-Unis était historique, » a déclaré le docteur Morgentaler au Militant en 1984. « Je voulais voir les Canadiennes obtenir les mêmes droits que leurs consoeurs américaines. »
La bataille du docteur Morgentaler contre la loi fédérale du Canada a eu lieu dans le contexte d’un mouvement social pour les droits nationaux et les droits des travailleurs au Québec. Dès les années 1960, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes Québécois ont participé à des grèves et des manifestations pour défendre les droits des syndicats et de la langue française et s’opposer à la discrimination nationale. Ces mobilisations ont abouti à une grève générale dans toute la province en 1972 en défense des dirigeants syndicaux arrêtés au cours d’une lutte par les travailleurs du secteur public pour une augmentation du salaire minimum.
La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et des organisations d’enseignants sont parmi ceux qui ont apporté un appui croissant au docteur Morgentaler.
« Au Québec, un jury composé de Canadiens français et catholiques m’a acquitté, » a expliqué le docteur Morgentaler au Militant en 1984, en parlant de son premier acquittement en novembre 1973. « Le jury a compris la raison, ils ont compris les problèmes des Canadiennes françaises qui ne pouvaient pas obtenir un avortement en milieu hospitalier ».
La cour d’appel du Québec a pris une décision sans précédent concernant le deuxième acquittement par jury du docteur Morgentaler lorsqu’elle a annulé le verdict et l’a déclaré coupable en 1974. Le docteur Morgentaler a été condamné à 18 mois, mais a été libéré après 10 mois à la suite d’une crise cardiaque.
En 1976, sous la pression politique, le gouvernement fédéral a adopté la « loi Morgentaler, » empêchant les tribunaux d’annuler en deuxième instance une décision de jury.
À son troisième procès, qui a eu lieu alors qu’il était encore en prison, le jury a rejeté les accusations après seulement 55 minutes de délibération. En 1976, le nouveau gouvernement nationaliste du Parti québécois a déclaré qu’il accorderait l’immunité aux médecins qui étaient qualifiés pour pratiquer l’avortement.
Le docteur Morgentaler a créé des cliniques d’avortement dans plusieurs provinces à travers le pays au mépris de menaces physiques et légales. Lors de son quatrième procès en 1984, un jury de l’Ontario a rejeté les accusations criminelles portées à l’initiative du gouvernement provincial — quatre ans avant que la Cour suprême du Canada ne décriminalise l’avortement.
Aujourd’hui au Canada, comme aux États-Unis, l’accès à l’avortement est inégal et assailli. Les cliniques et hôpitaux qui offrent des services d’avortement couverts par le régime public d’assurance-maladie n’existent que dans les grands centres urbains, un obstacle majeur pour les femmes dans les petites villes et les zones rurales. Et les avortements ne sont pas autorisés dans la province de l’Île-du-Prince-Édouard, dans l’est du pays.
Des forces de droite opposées à l’avortement légal continuent de faire campagne à l’intérieur et à l’extérieur du parlement fédéral en faveur de nouvelles lois pour miner la décision de 1988. Mais aucun gouvernement fédéral n’a osé remettre directement en cause cette victoire historique, pour laquelle le docteur Morgentaler comptait parmi les champions les plus remarquables.