Des mobilisations réclament la démission du président égyptien, l’armée menace de suspendre la constitution

Seth Galinsky
le 15 juillet 2013

Revendiquant la démission du président égyptien Mohamed Morsi, des manifestants sont descendus dans les rues d’Égypte lors des mobilisations les plus massives depuis le renversement de la dictature militaire pro-américaine de Hosni Moubarak. Cette vague de mobilisations reflète le mécontentement croissant face à l’impact sur des dizaines de millions de personnes de l’approfondissement de la crise économique capitaliste et des tentatives de Mohamed Morsi et de son parti, les Frères musulmans, de restreindre les droits démocratiques.

Les Frères musulmans ont appelé à des contre-manifestations pour appuyer le président, dont certaines ont regroupé des centaines de milliers de personnes. Les affrontements entre les deux côtés seraient de plus en plus nombreux.

Dans cette situation, le haut commandement de l’armée se présente comme « défenseur du peuple » et comme arbitre des conflits grandissants entre les travailleurs, les agriculteurs et leurs alliés d’une part et la classe possédante — elle-même divisée entre les militaires et les Frères musulmans — d’autre part.

Des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées à la place Tahrir au Caire le 30 juin. Le quotidien égyptien al-Ahram a rapporté sur son site web en langue anglaise que des millions de gens ont participé à des manifestations à travers le pays le 2 juillet.

Au Caire, les adversaires de Mohamed Morsi ont saccagé et incendié le siège des Frères musulmans, pendant que la police et l’armée restaient les bras croisés. La police a par la suite arrêté 15 gardes armés des Frères musulmans après un échange de tirs.

La manifestation du 30 juin a été appelée par Tamarod (Rebelle), un nouveau groupe de jeunesse qui affirme avoir recueilli 22 millions de signatures sur une pétition appelant à la destitution de Mohamed Morsi et à des élections présidentielles.

« Nous vous rejetons parce que les démunis n’ont toujours pas de place, lit-on sur la pétition, parce que la justice n’a pas été rendue aux martyrs … parce que l’économie s’est effondrée et ne dépend que de la mendicité … parce que l’Égypte continue de suivre les traces des États-Unis. »

Les dirigeants capitalistes de la région et au-delà sont saisis de peur face aux répercussions des mobilisations populaires. En Tunisie, le berceau du « printemps arabe », les jeunes ont formé un groupe Tamarod qui cherche à organiser un mouvement similaire. En même temps, en Turquie, des milliers de personnes sont dans les rues pour appuyer les droits des Kurdes. Des représentants du gouvernement israélien se sont dits préoccupés par « l’instabilité dans un grand et influent pays voisin. » Et les prix du pétrole sont en hausse à cause des craintes quant à la fiabilité des routes commerciales par le canal de Suez.

Le 1er juillet, le haut commandement militaire a accordé à Mohamed Morsi et à l’opposition un délai de 48 heures « pour arriver à un consensus et sortir de la crise. » S’ils n’y arrivent pas, l’armée annoncera sa propre « feuille de route pour l’avenir et les mesures pour superviser sa mise en œuvre. »

Des dirigeants de Tamarod ont accueilli l’échéance et ont déclaré dans un communiqué que « le rôle historique de l’armée est de prendre le parti du peuple. »

Face aux pressions, le ministre des Affaires étrangères Mohamed Kamel Amr et plusieurs membres du cabinet et porte-parole de l’administration ont démissionné les 1er et 2 juillet. Dans la nuit du 2 juillet, Mohamed Morsi a dit qu’il était prêt à « payer de ma vie pour protéger la légitimité » de son élection et de la constitution rédigée par les Frères musulmans.

Le Conseil suprême des forces armées a évincé Hosni Moubarak du pouvoir en février 2011 après des semaines de manifestations populaires. Mohamed Morsi a été élu président en juin 2012. Sous Moubarak, l’armée et la police avaient persécuté et arrêté des partisans des Frères musulmans. Après avoir remporté les élections, le nouveau gouvernement des Frères musulmans a commencé à s’organiser pour remettre sur la touche la classe ouvrière, le mouvement syndical naissant et les masses. En même temps, il a essayé de limiter le pouvoir de l’armée, qui reste, avec plus de discrétion, le principal pilier de la domination bourgeoise.

Après leur entrée en fonction, les relations entre les Frères musulmans et le haut commandement ont été un bras de fer constant de compromis et de conflits. Mohamed Morsi a forcé la retraite du maréchal Mohamed Tantawi à la tête du Conseil suprême, mais a aussi imposé une nouvelle constitution qui protégeait le pouvoir de l’armée.

Les travailleurs revendiquent le droit de se syndiquer

Les travailleurs ont profité de l’espace qui s’est ouvert avec le retrait d’Hosni Moubarak — et de la lutte de pouvoir qui a suivi entre les factions rivales de la classe capitaliste — pour pousser leurs revendications pour le droit de se syndiquer et pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. Ils ont ignoré les appels répétés, d’abord par la junte militaire puis par Mohamed Morsi, de mettre fin aux arrêts de travail.

Selon le Centre pour le développement international, situé au Caire, il y a en moyenne 1140 actions de protestation par mois, contre 176 par mois au cours de la dernière année du règne de Moubarak et 500 par mois au début de cette année. Il y a eu des milliers de grèves, de sit-ins, de marches et d’autres actions des travailleurs au cours des deux dernières années.

Les entreprises capitalistes ont répondu aux vagues d’actions ouvrières en boycottant les investissements en production. Selon le Fonds monétaire international, ces investissements sont à leur plus bas niveau depuis qu’on a commencé à les enregistrer en 1980.

Le boycott des investissements a exacerbé les effets de la crise économique capitaliste mondiale. Des dirigeants syndicaux indépendants affirment que 4 000 usines ont fermé leurs portes depuis la chute d’Hosni Moubarak. Le chômage officiel est de 12,5 pour cent.

Environ 40 pour cent de la population d’Égypte survit avec deux dollars par jour ou moins. Les prix des aliments ont grimpé en flèche. Ceux de la farine et du sucre ont augmenté de 50 pour cent l’année dernière. Beaucoup de travailleurs dépendent pour survivre du pain subventionné par le gouvernement, vendu à moins d’un cent, ainsi que du riz, de l’huile et du sucre subventionnés.

« Le gouvernement Mohamed Morsi n’a résolu aucun problème depuis son arrivée au pouvoir, » a déclaré au Militant  Fatma Ramadan, une porte-parole de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants, lors d’une entrevue téléphonique le 1er juillet dernier. Elle a cité l’exemple de la Portland Cement Company à Alexandrie, où un sit-in de travailleurs temporaires en grève exigeant un travail permanent a été brisé le 17 février par la police, qui a arrêté plus de 100 travailleurs.

L’opposition à Mohamed Morsi est hétérogène et comprend de tout, allant de syndicats et de groupes qui se disent socialistes jusqu’aux principaux partis politiques de l’opposition capitaliste et des partisans du dictateur déchu Hosni Moubarak.

« Nous sommes d’accord avec ceux qui revendiquent la destitution de Mohamed Morsi par les forces militaires, » a dit Mohamad Ahmad Salem, un porte-parole de la Confédération ouvrière démocratique égyptienne, lors d’un entretien téléphonique depuis Mahalla El Kubra. « Nous ne pouvons pas vivre sous la domination des Frères musulmans. Ce système a détruit le pays et les travailleurs. »

Le Comité des étudiants du 30 juin, qui comprend des représentants de l’Alliance populaire socialiste, de l’Union des étudiants de l’Université américaine et du Mouvement révolutionnaire de l’Université britannique au Caire, a déclaré qu’ils sont pour un « gouvernement d’union nationale » qui remplacerait Mohamed Morsi jusqu’à la tenue de nouvelles élections.

Si l’armée reprend le pouvoir, « ce sera une journée noire pour les travailleurs égyptiens, a déclaré Fatma Ramadan. Mais ce qui me rend sereine, c’est que les gens sortiront dans les rues, encore et encore. »

Bashar Abu-Saifan, de Beyrouth au Liban, a contribué à cet article.