10 000 personnes manifestent au Québec contre la « laïcité » anti-immigrée

Michel Prairie
le 7 octobre 2013

MONTRÉAL – En utilisant le projet d’une Charte des valeurs québécoises comme fer de lance, le gouvernement minoritaire du Parti québécois a lancé une attaque contre les travailleurs immigrants, en particulier ceux de confession musulmane, dans une tentative calculée pour diviser les gens qui travaillent dans cette province et à travers le pays selon des lignes nationales, linguistiques et religieuses. La campagne du PQ s’est heurtée à une opposition plus large que celle à laquelle les dirigeants du parti s’attendaient.

Bernard Drainville, le ministre des Institutions démocratiques, a dévoilé la Charte le 10 septembre, affirmant que le PQ présentera le projet de loi à l’Assemblée nationale du Québec cet automne. « Le temps est venu de se rassembler autour de nos valeurs communes, a déclaré Bernard Drainville à la conférence de presse. Elles définissent qui nous sommes. » Sous prétexte de défendre la séparation de l’Église et de l’État et l’égalité entre hommes et femmes, le PQ entend interdire aux employés du gouvernement le port au travail de signes musulmans, sikhs et juifs ou de croix visibles.

Plus de 700 000 personnes travaillent dans les secteurs de la santé, de l’éducation et d’autres services publics, près d’un cinquième de la population active au Québec. Bernard Drainville a affirmé son intention de faire pression sur les patrons du privé pour qu’ils appliquent eux aussi les mesures de la charte.

La charte interdirait l’accès aux services de l’État à toute personne qui les sollicite à visage couvert.

D’autres politiciens bourgeois, y compris les dirigeants du Parti conservateur au pouvoir, du Nouveau parti démocratique et du Parti libéral au Canada anglais, ont dénoncé la charte comme un exemple du soi-disant caractère réactionnaire des aspirations nationales des Québécois. Les Québécois sont une nationalité opprimée au Canada sur la base de leur langue, le français. Ils représentent environ 80 pour cent de la population du Québec. Les trois partis d’opposition à l’Assemblée nationale du Québec — le Parti libéral du Québec, Québec solidaire et la Coalition Avenir Québec — ont également contesté la charte.

Mais l’opposition la plus significative provient de deux fronts auquel le PQ clairement ne s’attendait pas — les rangs du mouvement nationaliste québécois lui-même et la rue. En moins de cinq jours, plus de 12 000 personnes ont signé en ligne un « Manifeste pour un Québec inclusif » qui rejette les restrictions réactionnaires. Parmi les signataires, on retrouve de nombreux artistes, journalistes et professeurs d’université québécois connus.

Les trois principales centrales syndicales du Québec — la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la Confédération des syndicats nationaux et la Centrale des syndicats du Québec — n’ont pas pris position, affirmant qu’elles allaient organiser des débats en leurs seins.

Maria Mourani a démissionné du Bloc québécois, le parti frère du PQ à Ottawa, le 13 septembre, après avoir été exclue du groupe parlementaire du parti pour avoir dénoncé la charte comme du « nationalisme ethnique. » D’origine libanaise, elle était l’une des cinq seuls députés du BQ au parlement.

Quelque 10 000 personnes — dont l’écrasante majorité était des immigrants musulmans originaires d’Afrique du Nord — ont manifesté contre la charte à Montréal le 14 septembre, répondant à l’appel du Collectif québécois contre l’islamophobie nouvellement constitué.

« Ça divise la société. C’est contre les droits humains et c’est discriminatoire, » a expliqué au Militant  Abderrazak Raji, un informaticien.

« Pour les gens dans des postes d’autorité, a déclaré Stéphanie Mitchell, étudiante et travailleuse de bureau, le port d’un symbole religieux pourrait être plus problématique. Mais pour les professeurs, les travailleuses de garderie, même les douaniers à la frontière, je ne vois pas ce qui est problématique. » Des partisans de Joseph Young, le candidat de la Ligue communiste à la mairie de Montréal, ont rencontré Stéphanie Mitchell en faisant campagne de porte-à-porte dans son quartier le 14 septembre.

« Il y a 15, 25 ans, on aurait dû arrêter tout ça, » a dit Normand Godin, un mécanicien à la retraite qui soutient la charte. « Il y a eu trop d’accommodements » aux pratiques religieuses et culturelles des immigrants.

« Ce n’est pas au gouvernement de décider comment on s’habille. Il n’y a aucun problème avec une femme qui porte le voile au travail, » a affirmé Davidson Destiné, un travailleur d’origine haïtienne, à un partisan de la campagne de la Ligue communiste au travail à l’usine de transformation alimentaire Plats du Chef.

Avant l’annonce de Bernard Drainville sur les articles de la charte, 57 pour cent des Québécois disaient aux sondeurs qu’ils soutenaient l’idée. Après l’annonce, le soutien est tombé à 43 pour cent, avec 42 pour cent d’opposition. Le niveau d’opposition est le plus fort parmi les anglophones et ceux dont la langue maternelle n’est ni le français, ni l’anglais.

Myriam Marceau a contribué à cet article.