La course aux profits des patrons du rail et du pétrole à l’origine de l’accident ferroviaire au Dakota du Nord

Frank Forrestal
le 20 janvier 2014

MINNEAPOLIS – Peu après midi le 30 décembre, un train de 1,5 km de long chargé de pétrole brut léger hautement inflammable est entré en collision avec un train de céréales qui avait déraillé aux abords de Casselton, au Dakota du Nord, à 40 km à l’ouest de la ville de Fargo. L’accident a déclenché une série d’explosions qui a envoyé un énorme nuage de fumée toxique dans l’air et a conduit à l’évacuation d’une grande partie de la ville de 2 400 personnes. Le train transportait 13,3 millions de litres de pétrole depuis la région du schiste de Bakken, au Dakota du Nord, vers un terminal pétrolier à Hayti, au Missouri, aux abords du Mississippi.

L’explosion était la troisième en six mois impliquant des trains transportant du brut léger des champs de Bakken, ce qui montre le mépris des patrons du pétrole et du rail, dans leurs efforts pour récolter un maximum de profits, pour la sécurité des travailleurs et de ceux qui vivent à proximité des voies ferrées.

« Nous aurions pu facilement perdre 100 personnes, » a affirmé Ed McConnell, le maire de Casselton, à l’Associated Press. « Nous l’avons échappé belle parce que ça s’est passé à l’extérieur de la ville, mais c’était trop juste. »

Les deux trains étaient exploités par la BNSF Railway Co., qui transporte près des deux tiers de tous les chargements de brut du Dakota du Nord. Le brasier provoqué par le déraillement était si intense que les équipes de secours ne pouvaient pas s’approcher suffisamment pour éteindre l’incendie. Les résidents de la ville ont déclaré avoir entendu des explosions pendant des heures après la collision.

Des conducteurs et d’autres membres d’équipes de train appellent les trains en provenance des champs de Bakken des « trains-bombes », a dit le consultant ferroviaire Sheldon Lustig à l’Associated Press.

La plus récente collision fait suite à deux autres collisions qui transportaient du brut des champs de Bakken. En juillet, un train a déraillé à Lac-Mégantic au Québec tuant 47 personnes et détruisant la majeure partie de la ville de 5 900 personnes. Selon le Globe and Mail, « C’était le pire accident ferroviaire de l’histoire canadienne. » La compagnie de chemin de fer avait obtenu une dérogation spéciale pour fonctionner avec une seule personne à bord « afin de réduire les coûts. »

En novembre dernier, un train de 90 voitures transportant du pétrole en provenance des champs de Bakken a déraillé près d’Aliceville en Alabama, créant des bombes incendiaires incontrôlables comme celles de Casselton. Le déraillement a eu lieu sur un pont ferroviaire qui enjambait un marécage rural et n’a pas entraîné de décès.

La production de gaz de schiste s’envole

Il y a eu une croissance rapide du transport ferroviaire de brut léger du Dakota du Nord depuis que les techniques de fracturation verticale ont ouvert la région de schiste de Bakken au cours de la dernière décennie. « Les accidents de travail ont augmenté de façon tellement spectaculaire que le Dakota du Nord a maintenant le taux le plus élevé d’accidents de travail mortels aux États-Unis, » a écrit le Globe and Mail. C’est quatre fois la moyenne nationale.

Selon Oilprice.com, le Dakota du Nord produit autant de pétrole que l’Azerbaïdjan, presqu’un million de barils par jour. En 2008 pas un seul baril de pétrole du Dakota du Nord n’était expédié par rail. Près de 400 000 wagons chargés ont été expédiés l’année dernière. Beaucoup de ces trains transitent par de grands centres urbains comme Fargo et Minneapolis.

Environ 85 pour cent des 92 000 wagons-citernes qui transportent des liquides inflammables, y compris ceux du train qui a déraillé à Casselton, sont l’ancien modèle DOT-111, sujet à la perforation et à la corrosion. En 2009, suite à un accident de train transportant de l’éthanol dans l’Illinois, des recommandations pour un renforcement supplémentaire ont été adoptées, mais l’Association américaine des chemins de fer a rapporté en novembre que seulement 14 000 voitures ont été construites ou modifiées pour inclure une coquille ou une enveloppe plus épaisse résistante à la perforation, des boucliers de protection thermique supplémentaires aux deux extrémités de la citerne et des soupapes de pression améliorées.

Trois jours après les explosions de Casselton, le ministère des Transports des États-Unis a émis une « alerte de sécurité pour informer le public, les secours d’urgence ainsi que les expéditeurs et les transporteurs que les déraillements récents et les incendies qui en ont résulté indiquent que le type de pétrole brut transporté depuis la région de Bakken est peut être plus inflammable que le pétrole brut lourd traditionnel. »

Lorsque le pétrole brut léger reste enfermé dans les voitures, il a tendance à se séparer, la couche la plus légère se retrouvant au-dessus, où elle peut s’évaporer, créant des conditions explosives. De plus, le pétrole de la région est souvent contaminé par des impuretés provenant du pétrole lui-même ou des produits chimiques utilisés dans le processus de fracturation, qui peuvent augmenter son inflammabilité et ses effets corrosifs.

En décembre, les responsables de l’État du Dakota du Nord avaient l’intention de publier un rapport insistant sur le bon niveau de sécurité du transport de pétrole par rail — pour « dissiper le mythe » que le pétrole est « d’une manière ou d’une autre une chose explosive, vraiment dangereuse. » Ces mêmes responsables ont rapidement laissé tomber ce plan le 2 janvier à la suite de Casselton.

Alors que nous mettons sous presse, un autre train vient d’exploser en un véritable brasier. Un train du Canadien National transportant du propane et du pétrole brut a déraillé le soir du 7 janvier près de Plaster Rock, au Nouveau-Brunswick, à environ 50 km de l’État du Maine aux États-Unis. Personne n’a été blessé, mais 45 maisons à proximité ont été évacuées.