Les mobilisations populaires renversent le gouvernement ukrainien

En quête de droits politiques et de la fin de l’emprise de Moscou

John Studer
le 10 mars 2014

Le régime du président ukrainien Viktor Ianoukovitch a été renversé après trois mois de mobilisations de masse et d’affrontements avec les forces gouvernementales. Le tyran a fui le 22 février après que des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues, rendues plus déterminées par une répression sanglante quelques jours auparavant.

« Ces événements ont réellement changé l’état d’esprit des gens, » a dit Roman Dakus au New York Times. Celui-ci a participé aux manifestations contre le régime pendant trois mois. « Avant, les gens pensaient : « Rien ne dépend vraiment de moi … Mais après cette situation, ils pensent différemment. Ils croient en leur lutte quand ils sont tous ensemble ».

Ce sont les aspirations du peuple ukrainien à se libérer de la domination russe qui sont au cœur de la lutte des travailleurs, des jeunes et d’autres contre Ianoukovitch. La domination russe a duré pendant des siècles, à l’exception des premières années de la révolution russe de 1917 sous la direction de V.I. Lénine. Ianoukovitch, haï pour sa corruption et la répression des droits politiques, a cédé chaque fois aux pressions du président russe Vladimir Poutine pour maintenir la mainmise économique et politique de Moscou sur l’Ukraine.

Le 18 février, sur les conseils de Poutine, Ianoukovitch a mobilisé les forces anti-émeutes de la Berkut pour chasser des milliers de manifestants de la place de l’Indépendance, appelée le Maïdan, pendant que des manifestants prenaient le contrôle de certains bâtiments gouvernementaux à Lviv.

Les détachements de l’escouade anti-émeutes ont envahi le square avant d’être bloqués par des barricades géantes auxquelles les manifestants avaient mis le feu en se retirant. Environ 28 personnes ont été tuées dans les affrontements, dont 10 policiers.

Le 20 février, les forces anti-émeutes ont ouvert le feu sur les manifestants et ont tué plus de 60 personnes.

L’effusion de sang a enhardi les manifestants de l’opposition et démoralisé des forces du régime. Les troupes de la police Berkut ont commencé à rompre les rangs et quitter le square.

Au fil des événements, de nombreux investisseurs ukrainiens ont rompu avec Ianoukovitch et l’ont poussé à faire des compromis.

Le 21 février Ianoukovitch a accepté de rencontrer des représentants de la Russie, de la France, de l’Allemagne et de la Pologne, ainsi que des dirigeants des trois principaux partis d’opposition bourgeois — La Patrie, le parti qui était au pouvoir avant Ianoukovitch en 2010, l’Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme (dont l’acronyme signifie « coup de poing »), dirigée par Vitali Klitschko, ancien champion de boxe poids lourd, et Svoboda, un parti de droite. Ianoukovitch a accepté de renoncer à certains pouvoirs et à fixer une nouvelle élection pour le mois de décembre.

Le Parlement a commencé à faire adopter une série de mesures pour retirer son pouvoir au régime.

Lorsque les dirigeants de l’opposition ont présenté l’entente à la Place Maïdan, ils ont été hués et confrontés à une rébellion. Volodymyr Parasiuk, un capitaine de l’une des unités de défense qui contrôlait la place, a pris le micro et fustigé l’opposition pour « avoir serré la main de ce tueur.

« Nous, les gens ordinaires, disons ceci aux politiciens qui nous appuient : « Aucun Ianoukovitch ne sera président pour une année entière. » Volodymyr Parasiuk, qui a dit à la presse qu’il n’est membre d’aucun parti, a ajouté: « Demain, à 10 heures, il doit être parti. »

Les politiciens de l’opposition se sont précipités hors de la plateforme. Vitali Klitschko est revenu plus tard et a tenté de s’excuser.

Lorsqu’un journaliste de Reuters lui a demandé quand les manifestants allaient démonter leurs barricades, Volodymyr Parasiuk a dit: « Si le Maïdan se disperse, les politiciens arrêteront d’avoir peur. Nous ne partons pas. »

Ianoukovitch a fui dans l’obscurité cette nuit-là. Des forces organisées du Maïdan se sont déployées à l’extérieur de la place. Elles ont mis en place des gardes à l’édifice du Parlement et d’autres bureaux gouvernementaux. Ils sont entrés et ont sécurisé le palais présidentiel.

Dans l’enceinte du palais de Ianoukovitch, les forces de l’opposition ont trouvé un zoo privé, une collection de voitures anciennes et d’autres trésors, ainsi que des dossiers que l’ex-président a maladroitement tenté de détruire en les submergeant dans le fleuve Dniepr.

Les chefs de l’unité paramilitaire du pays, le Berkut, des forces d’opérations spéciales Alfa et du renseignement militaire ont déclaré leur adhésion à l’opposition devant le Parlement. Le 26 février, le ministre de l’Intérieur Arsen Avakov a annoncé que le Berkut était dissout.

Le Parlement a voté pour accuser Ianoukovitch d’assassinat de masse et lui interdire de quitter le pays. Il était toujours libre en date du 26 février.

Alors que Poutine n’a fait aucun commentaire public, le premier ministre russe Dmitri Medvedev a déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas un gouvernement qui arrive au pouvoir par l’action révolutionnaire de « personnes armées de Kalachnikov et portant des masques noirs. » Il a également annoncé qu’une aide financière déjà promise était maintenant suspendue. Vladimir Poutine a placé des troupes de combat russes en état d’alerte élevée le 26 février près de la frontière ukrainienne.

Des foules de Russes se sont mobilisés en Crimée, appelant à la sécession de l’Ukraine. Ils se sont bagarrés avec des Tatars de Crimée qui soutenaient le renversement de Ianoukovitch. Comme les Ukrainiens, les Tatars, qui sont originaires de Crimée, ont fait face à l’oppression nationale sous l’empire tsariste russe et plus tard sous le gouvernement réactionnaire de Joseph Staline en Union soviétique.

Le Parlement a nommé Oleksandr Tourtchinov, un député du parti La Patrie, comme président par intérim. Les politiciens de Kiev se disputent maintenant les ministères et les pouvoirs derrière des portes closes. Le Parlement a voté sur la tenue de nouvelles élections présidentielles qui auront lieu le 25 mai.

Crise économique aiguë

Oleksandr Tourtchinov a immédiatement fait appel à l’Union européenne et Washington pour recevoir une aide économique immédiate et substantielle. Il a dit que l’Ukraine « sombre dans l’abîme. »

La valeur de la monnaie, la hryvnia, a fortement diminué. La notation des obligations de l’Ukraine a été rétrogradée si fortement que le pays ne peut plus emprunter sur les marchés internationaux.

« Le gouvernement ukrainien sera bientôt incapable de payer les salaires ou les pensions publiques, » a indiqué le Times.

Yuriy Kolobov, le ministre des Finances par intérim, a affirmé que l’Ukraine aurait besoin de quelque 35 milliards de dollars d’ici la fin de l’année prochaine.

« Bien que l’Occident revendique la victoire dans le bras de fer qui l’oppose à la Russie par rapport à l’Ukraine, » a écrit le Times le 25 février, « ni l’Union européenne ni les États-Unis n’ont fait autre chose que des promesses. »

Le manque d’enthousiasme parmi les capitalistes U.S. et européens montre qu’ils ne sont pas certains qu’il valait le coût d’éloigner l’Ukraine de Moscou pour l’amener vers l’intégration européenne.

Le Fonds monétaire international a averti les dirigeants ukrainiens qu’il ne fera rien « sans un engagement du pays à prendre des mesures d’austérité pénibles, a rapporté le Times, des réformes difficiles et une récession quasi certaine en résultera. »

Compte tenu de la corruption et des pots-de-vin flagrants par des politiciens liés à des millionnaires récemment enrichis suite à l’indépendance de l’Ukraine, a indiqué le Times, les aspirants à un poste sont « considérés avec suspicion par la plupart des Ukrainiens, qui préféreraient avoir un nouveau visage à la présidence. »

« Nous avons besoin de nouvelles personnes qui peuvent dire non aux oligarques, pas seulement les anciens visages, » a déclaré Irina Nikanchuk, 25 ans, au Times tout en manifestant devant l’édifice du Parlement le 24 février et en voyant les législateurs arriver au volant de BMW et de Mercedes.

Les appels pour de nouveaux visages politiques, a relaté le Times, étaient truffés de demandes des manifestants furieux pour que le Parlement augmente les pensions, rouvre les hôpitaux fermés et trouve du travail aux chômeurs. »