DNIPROPETROVSK, Ukraine — « Les travailleurs commencent à voir qu’ils sont acteurs de l’histoire, » a déclaré Alexeï Oleksyevych, dirigeant du Syndicat indépendant des mineurs lors d’une rencontre avec les correspondants du Militant au bureau du syndicat le 28 mars.
Quatre membres du syndicat des mineurs étaient présents lors de cette rencontre, ainsi qu’un dirigeant du syndicat des enseignants de la ville et Yuriy Semenov, qui a participé à l’organisation de rassemblements en solidarité avec les mobilisations de Maïdan (place de l’Indépendance) à Kiev. Même si la plupart des gens de cette ville orientale sont Ukrainiens, leur langue principale est le russe.
« Aujourd’hui, nous allons de l’avant, a dit Alexeï Oleksyevych. Nous avons fait tomber le régime [du président Viktor] Ianoukovitch et nous faisons des progrès contre les patrons dans nos usines et nos mines en raison de la puissance du Maïdan et des Maïdans partout dans notre pays. »
Pendant qu’Alexeï Oleksyevych présentait un diaporama sur les récentes manifestations ici, il a expliqué que la revendication la plus importante était la liberté de parole et d’action. « Nous avons besoin de ça par-dessus tout, » a-t-il dit.
Une des photos montrait une banderole avec les revendications pour lesquelles le syndicat se bat et autour desquelles il cherche à recruter : « Pour un niveau de vie européen ; un salaire de 3000 euros par mois ; une journée de travail de sept heures, et l’amélioration des conditions de travail. »
« Actuellement, nous obtenons l’équivalent de 100 euros (138 $ US) par mois, a dit Alexeï Oleksyevych. Et même si nous sommes censés avoir une journée de travail de huit heures, la plupart des travailleurs essaient d’obtenir des heures supplémentaires parce qu’ils ne peuvent pas vivre avec leur salaire de base. »
« La loi dit que nous avons le droit de grève, » a dit Igor Vitalyvych Parhomenko, vice-président régional du syndicat. « Mais dans les faits, ce « droit » est englué dans des dédales administratifs tels que nous ne pouvons pas l’utiliser. Nous avons déposé un préavis de grève mais le gouvernement n’a pas arrêté de dire que nous manquions à telle ou telle exigence. Ce n’est qu’après un an et demi qu’ils ont dit que nous pouvions déclencher la grève. »
« Nous savons que ce sera un chemin long et difficile avant de véritablement gagner notre liberté, a dit Alexeï Oleksyevych, mais nous sommes déterminés à poursuivre la lutte jusqu’à la fin. »
Dnipropetrovsk est le centre de production de tuyaux en acier en Ukraine. Les grandes usines de tuyauterie sont gérées par Interpipe dont le propriétaire est Victor Pinchuk, le deuxième plus grand capitaliste du pays. Victor Pinchuk est aussi le beau-fils de l’ancien président, Leonid Koutchma. (Le gouvernement russe de l’ancien colonel du KGB Vladimir Poutine a récemment imposé des tarifs douaniers très élevés contre les produits d’Interpipe afin d’exercer des pressions économiques sur l’Ukraine.)
Victor Pinchuk fait partie d’une classe capitaliste ukrainienne relativement nouvelle qui a été formée après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Les propriétés industrielles de l’État ont été privatisées et vendues à prix très bas à ceux qui avaient des fonds et de l’influence politique, créant ainsi une couche qu’on appelle communément des oligarques.
Igor Vitalyvych Parhomenko et Alexander Karpen, l’un des autres syndicalistes présents à la réunion, ont travaillé dans le complexe de l’usine Interpipe. Lorsque Parhomenko est rentré chez lui après le travail une nuit de janvier 2013, trois hommes ont fait irruption dans son appartement. Ils lui ont dit de cesser ses activités syndicales sinon « ta mère, ta famille auront des problèmes. » Ils l’ont battu avec une chaîne, jusqu’à ce qu’il perde conscience.
Par la suite, les médecins du centre médical de l’entreprise ont refusé de le soigner, prétendant qu’il était toxicomane. Des agents de l’entreprise ont appelé la police et ont cherché à le piéger avec des accusations criminelles.
Le syndicat défend les travailleurs victimes de coups montés
Le syndicat a organisé sa défense. Il a prouvé que les flics et le personnel de l’hôpital agissaient sous les ordres de la compagnie. Les médecins ont été punis mais Parhomenko a tout de même été renvoyé.
Les travailleurs ont continué à lutter et ont finalement obtenu qu’il retrouve son emploi. « Je remercie Maïdan, a dit Igor Vitalyvych Parhomenko. Nous luttons pour construire des syndicats dans autant d’usines qu’il est possible maintenant. »
Après que le gouvernement Ianoukovitch a adopté une loi en janvier qui étranglait la liberté d’expression et le droit de manifester, des syndicalistes se sont joints à une manifestation de quelque 3000 personnes au centre de Dnipropetrovsk.
« Secteur droit a joué un rôle important pour retenir les policiers anti-émeute du régime sur Maïdan, » a dit Alexeï Oleksyevych. Ce parti politique est l’un des groupes ultranationalistes d’extrême droite qui sont actifs en Ukraine. « Mais l’Ukraine est multinationale, avec des Tatares de Crimée, des Ukrainiens et des Russes. Essayer de diviser le peuple ukrainien est un obstacle à notre lutte. C’est comme faire un cadeau à Poutine. »
Récemment, les membres de Svoboda, un autre groupe d’extrême droite, ont pris d’assaut un studio de télévision qui présentait des nouvelles pro-russes et ont battu le gérant de la station jusqu’à ce qu’il signe une lettre de démission.
Les syndicats ont répondu en portant une banderole à Maïdan où on pouvait lire : « Vous ne pouvez pas faire taire les journalistes, l’Ukraine a besoin de liberté sans règlementation. »
« Pas été payés pendant un an »
« Nous n’avons pas été payés pendant un an à notre usine, » a dit Evgenii Derkach, qui travaille dans une usine de 7 000 employés qui fabrique des roquettes militaires. Sous l’Union soviétique, elle produisait une bonne partie des missiles balistiques conçus principalement pour porter des têtes nucléaires. Pendant des années, a dit Evgenii Derkach, les fonctionnaires soviétiques ont officiellement nié l’existence de la ville de Dnipropetrovsk. « Mais c’était difficile de cacher une ville d’un million d’habitants. »
« Les gens étaient renvoyés illégalement pour organiser des manifestations contre l’absence de paie, a-t-il dit. J’ai survécu en vivant avec mes parents. D’autres travailleurs devaient trouver un deuxième emploi.
« Il y a une semaine, nous avons gagné tous nos salaires dus, a-t-il dit. Nous pensons que les manifestations partout dans le pays ont rendu cela possible. »
« Les oligarques qui ont pris le contrôle des usines disent : « « Nous » sommes privés donc les lois ne s’appliquent pas ici, a dit Alexeï Oleksyevych. Mais nous nous réveillons et nous ripostons. »
« Les administrateurs de l’école ont essayé de renvoyer des militants syndicaux, » a dit Lariss Kolesnik, une dirigeante du syndicat des enseignants. « Ils prêtent une attention particulière à leur travail en essayant de trouver des prétextes pour se débarrasser d’eux.
« Notre syndicat est né il y a six ans, lorsque le gouvernement local a voulu transformer notre école en centre commercial, a-t-elle dit. Personne ne pensait que nous pouvions les arrêter mais nous avons parlé aux dirigeants du syndicat des mineurs et ils nous ont aidés. Et nous avons gagné.
« Notre syndicat est toujours petit. Beaucoup d’enseignants ont peur, a-t-elle dit. Mais nous avons été capables de gagner plusieurs combats pour des salaires dus, notamment pour des enseignants qui ne sont pas membres du syndicat. »
« Le nouveau gouvernement temporaire à Kiev veut démanteler Maïdan, a dit Alexeï Oleksyevych. Mais ce n’est pas la solution. Nous devons transférer le pouvoir au peuple. Nous allons organiser autant de Maïdans qu’il faudra pour y parvenir. »