MONTRÉAL — La défaite du Parti québécois aux élections provinciales du 7 avril a signalé une victoire historique pour les travailleurs et agriculteurs au Québec et à travers le Canada. La discrimination contre les Québécois francophones ne constitue plus cette matraque puissante que les capitalistes au Canada ont maniée contre la classe ouvrière pendant des décennies.
Le PQ, un parti nationaliste bourgeois de plus en plus éloigné des sentiments des travailleurs francophones québécois et de plus en plus ouvertement brouillé avec les intérêts des travailleurs de toutes origines, a obtenu son score électoral le plus bas depuis 30 ans. Ses appels démagogiques et réactionnaires au nationalisme québécois — y compris des mesures ciblant les immigrants, qui composent un pourcentage croissant de la classe ouvrière dans la province — n’ont en large mesure pas été entendus. C’est particulièrement vrai dans la classe ouvrière.
Le rejet du PQ reflète surtout le fait que l’impérialisme canadien n’a pas réussi à empêcher la classe ouvrière de repousser progressivement la discrimination contre les francophones au Québec et à travers le pays. Cet affaiblissement de l’oppression nationale des Québécois — et des divisions qu’elle nourrissait au sein de la classe ouvrière au Canada — a accompagné l’affaiblissement de l’impérialisme U.S. et de l’impérialisme à l’échelle mondiale dans les décennies récentes.
Une erreur d’appréciation colossale
Le Québec est l’une des dix provinces au Canada. Quelque 80 pour cent de ses 8,1 millions d’habitants ont le français comme première langue.
Le Parti québécois a gagné les élections à l’Assemblée nationale du Québec en septembre 2012 et a formé un gouvernement minoritaire. Il a formé le gouvernement provincial plusieurs fois dans les décennies récentes.
Au début mars 2014, la direction du PQ a annoncé que des élections auraient lieu à peine cinq semaines plus tard, en avance de plus de deux ans sur le calendrier électoral, convaincue qu’elle remporterait une victoire facile.
L’élection était censée constituer le point culminant d’une campagne que le parti avait lancée en fait en septembre dernier, en présentant son projet de Charte des valeurs québécoises à l’Assemblée nationale du Québec. Au nom de la laïcité et des droits des femmes, la charte aurait interdit le port « ostentatoire » de couvre-chefs, bijoux ou vêtements religieux par des employés du gouvernement. Sa cible principale était les immigrantes musulmanes qui portent une variété de couvre-chefs ; des milliers d’entre elles travaillent dans des crèches, écoles et hôpitaux gérés par le gouvernement.
Lorsque les élections anticipées ont été annoncées, des sondages indiquaient qu’une majorité de Québécois soutenaient cette charte.
Puis, au tout début de la campagne, la direction du PQ a annoncé en fanfare la candidature du multimilliardaire Pierre Karl Péladeau, l’ancien président de Québecor, une des principales entreprises multimédia du Canada. En annonçant sa candidature, Pierre Karl Péladeau a proclamé, poing en l’air, qu’il souhaitait faire du Québec « un pays, » signal que le PQ mettait en avant la revendication d’un Québec indépendant. Cette revendication — autrefois au centre de la lutte contre l’oppression nationale des Québécois — est le premier article du programme du PQ depuis sa fondation en 1968. Mais l’atout du PQ s’est avéré être une erreur d’appréciation colossale de la popularité de l’indépendance aujourd’hui et du degré auquel les travailleurs et agriculteurs québécois ne la voient plus comme un moyen pour répondre à leurs préoccupations principales.
La déclaration de Pierre Karl Péladeau a transformé la campagne électorale en un « référendum sur le référendum, » comme l’ont généralement caractérisée les grands médias capitalistes, faisant ainsi référence aux référendums précédents sur la souveraineté du Québec. Les sondages ont immédiatement montré un basculement vers le Parti libéral, l’autre principal parti capitaliste au Québec et longtemps défenseur du statu quo.
Le PQ a répondu en se braquant et en accentuant sa démagogie « laïque » anti-ouvrière.
Avant que les élections d’avril ne soient annoncées, Louise Mailloux, qui se présentait pour le PQ dans la circonscription de Gouin à Montréal, a comparé le baptême et la circoncision au viol et a affirmé que la nourriture casher était un racket organisé par les rabbins pour financer leurs « opérations guerrières. » À la mi-mars, Louise Mailloux a maintenu ces commentaires « absolument » et la première ministre Pauline Marois a publiquement pris sa défense. Sous la pression, Louise Mailloux a publié une déclaration disant qu’elle n’a « jamais voulu offenser ou blesser qui que ce soit » et s’est excusée « si tel est le cas. »
Après plusieurs mois passés à esquiver la question, la première ministre Pauline Marois a annoncé le 2 avril que l’adoption d’une charte impliquerait le licenciement des employés du gouvernement qui auraient la tête couverte pour un motif religieux au travail.
Au même moment, le PQ lançait une campagne contre les personnes de langue anglaise, en prenant des mesures pour empêcher les étudiants de l’université canadienne McGill nés hors du Québec de voter aux élections du 7 avril. Et le dirigeant libéral Philippe Couillard était crucifié pour avoir suggéré que les Québécois aujourd’hui veulent que leurs enfants apprennent l’anglais. « Est-ce qu’il y a un parent qui ne veut pas que son enfant apprenne une autre langue ? » a demandé Philippe Couillard — une déclaration plus en lien avec les sentiments prévalant parmi les travailleurs québécois aujourd’hui qu’avec les champions auto-proclamés des « valeurs québécoises. »
Les libéraux ont obtenu 70 sièges à l’assemblée avec 41,5 pour cent des votes, obtenant ainsi une solide majorité à l’Assemblée nationale. Le nombre de siège du PQ est descendu de 54 à 30. Battue dans une circonscription où réside une grande majorité de Québécois, Pauline Marois, la chef du PQ, a démissionné le soir des élections.
Discussion avec des travailleurs
Dans la période précédant les élections, en discutant avec des camarades de travail ou en vendant de porte à porte le journal The Militant, les travailleurs communistes avaient noté que la campagne du PQ n’était pas populaire.
Parmi les immigrants ou les travailleurs de langue anglaise, l’opposition à la Charte des valeurs québécoises était pratiquement unanime et la charte était perçue pour ce qu’elle est : une attaque discriminatoire contre les droits des travailleurs, y compris la liberté de culte, de parole et d’association.
Les travailleurs québécois avaient des réactions plus mitigées. Beaucoup soutenaient la charte comme un moyen de marquer le fait que le Québec est une nation avec une culture différente. Mais même parmi ceux qui soutenaient la charte, la plupart étaient opposés à l’idée de licencier des travailleurs à cause de la façon dont ils s’habillent ou à cause de leur croyance religieuse.
Les opinions des travailleurs sur le capitaliste Pierre Karl Péladeau étaient plus uniformément négatives. Pour beaucoup, Péladeau est connu comme le « roi des lockouts. » Il est responsable de 14 lockouts au cours des dernières années, le dernier en 2009 contre les travailleurs du Journal de Montréal, qui a duré 764 jours. Peu de travailleurs sont attirés par l’idée d’un gouvernement d’un Québec indépendant dirigé par lui.
Les travailleurs communistes ont aussi remarqué que même si beaucoup de Québécois ne lisent pas l’anglais, cela n’a pas été un obstacle à des discussions sur la politique ouvrière révolutionnaire du Militant, un journal de langue anglaise. Les partisans du Militant traduisent un article du journal par semaine en français et l’envoient à ceux qui sont intéressés. Mais des francophones prennent souvent le journal afin d’améliorer leur anglais.
Grands changements
La défaite électorale du PQ est la manifestation de deux développements qui ont renforcé la classe ouvrière au Québec pendant les cinquante dernières années.
Il y a tout d’abord les gains qu’ont faits les travailleurs québécois dans des luttes de masse contre l’oppression nationale qui ont commencé dans les années 1960 et 1970. Il y a ensuite le changement de composition de la classe ouvrière québécoise, qui est aujourd’hui plus multinationale et hétérogène.
Dans les années 1960, les Québécois en sont venus à identifier leur lutte à celle des Noirs aux États-Unis. Les Nègres blancs d’Amérique, un livre publié en 1968 par Pierre Vallières, cherchait à renforcer cette identification et est devenu un symbole de la lutte des Québécois à ce moment-là.
Selon le recensement fédéral de 1961, les francophones du Québec avaient des salaires 35 pour cent moins élevés que les anglophones. Les Québécois avaient une scolarité moyenne de huit ans, alors qu’elle était de 12 ans pour les anglophones. Il y avait deux universités anglophones à Montréal et seulement une francophone.
Dans les usines, la vaste majorité des travailleurs parlaient français, alors que les patrons, en commençant par les contremaîtres, parlaient anglais. Les conventions collectives étaient écrites en anglais et les négociations se déroulaient en anglais. Les affiches publiques étaient souvent en anglais seulement. L’anglais était la langue de l’avancement social et les nouveaux immigrants envoyaient massivement leurs enfants dans les écoles anglophones publiques, qui jouissaient généralement d’installations supérieures.
Pour les dirigeants capitalistes du Canada, l’oppression nationale des Québécois leur a permis d’empocher de gros profits basés sur les salaires inférieurs et les moins bonnes conditions imposés à une partie significative de la classe ouvrière. Cela a affaibli les travailleurs en créant des divisions basées sur la langue.
Le mouvement de masse commence dans les années 1960
Inspiré par les luttes de masse des Américains africains et les révolutions à Cuba, en Algérie et au Vietnam, un nouveau mouvement pour les droits du Québec, qui a commencé dans les années 1960, a entraîné dans la rue des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes pendant les vingt années suivantes. Les syndicats ont joué un rôle central dans ces luttes, ce qui les a renforcées.
En octobre 1970, le gouvernement libéral du premier ministre Pierre-Elliot Trudeau a imposé la loi des mesures de guerre pour freiner les luttes des Québécois et des travailleurs, y compris les initiatives pour former un parti ouvrier basé sur les syndicats à Montréal. Quelque 8 000 soldats ont été déployés à Montréal ; plus de 500 personnes ont été arrêtées sans mandat ; et la police et l’armée ont effectué quelque 31 700 perquisitions.
La riposte des patrons n’a pas réussi à étouffer la lutte.
En mai 1972, une grève générale spontanée a éclaté partout au Québec après que trois leaders syndicaux ont été emprisonnés pour avoir refusé d’obéir à un décret ordonnant le retour au travail de quelque 210 000 travailleurs du gouvernement en grève pour un salaire minimum de 100 $ par semaine. Il s’agissait de la plus grosse action syndicale en Amérique du Nord depuis la vague de grèves qui a suivi la deuxième guerre mondiale.
Préoccupée par le militantisme grandissant de la classe ouvrière, les principaux officiers des fédérations syndicales ont cherché à canaliser la lutte des syndiqués vers un appui au Parti québécois.
Le PQ a été formé en 1968 à partir d’une scission au sein du Parti libéral du Québec. Son chef fondateur, René Lévesque, avait été ministre au sein d’un gouvernement libéral précédent et c’est à lui qu’on attribue la nationalisation des entreprises privées d’électricité de l’époque et leur concentration dans Hydro-Québec : un énorme monopole d’État.
Dès le début, le PQ a cherché à chasser le mouvement québécois de la rue, à la faveur d’un projet électoral de « souveraineté » du Québec (sans toutefois parler ouvertement d’indépendance). Tout en disant avoir « un préjugé favorable aux travailleurs, » le PQ a maintenu fermement des politiques visant à défendre la propriété capitaliste.
Le PQ a été élu pour la première fois en novembre 1976, un mois après une vague de manifestations partout au pays contre un gel des salaires imposé par le gouvernement fédéral.
Le premier gouvernement péquiste a adopté une série de mesures qui ont codifié ce que les Québécois avaient gagné dans la lutte. Parmi celles-ci :
* La loi 101, qui a fait du français la langue de travail, du gouvernement et des tribunaux au Québec ; a imposé le français comme langue d’affichage ; et inscrit les enfants des nouveaux immigrants dans les écoles publiques françaises. Des mobilisations importantes à la fin des années 1980 ont mis fin aux efforts répétés des dirigeants du Canada pour renverser ces mesures à caractère d’action positive.
* Le gouvernement péquiste a refusé d’appliquer la loi fédérale anti-avortement. Ceci a renforcé la lutte pour le droit des femmes de choisir l’avortement partout au pays et a contribué à l’abrogation de la loi en 1988.
* Une loi anti-briseurs de grève a été adoptée, rendant illégale l’embauche par les patrons de briseurs de grève lors de conflits de travail. (Au cours des décennies qui ont suivi, les patrons ont pu en pratique vider cette loi de son contenu sans résistance importante de la part des syndicats.)
Le PQ a organisé deux référendums sur la souveraineté du Québec, en 1980 et 1995. Dans les deux cas, les mobilisations en faveur du référendum ont été organisées sur les lieux de travail et par les syndicats. Les deux référendums ont été perdus de justesse. Les résultats serrés et ce qu’ils ont révélé sur la lutte résolue des Québécois ont effrayé les dirigeants canadiens et ont finalement conduit à des concessions de la part du gouvernement fédéral, y compris la reconnaissance en 2006 du fait que le Québec constitue une nation distincte au sein du Canada.
Des inégalités largement surmontées
Selon le recensement de 2006, le revenu médian des hommes francophones était de 30 854 $, comparativement à 27 008 $ pour les anglophones. En même temps, le revenu moyen est d’environ 4 000 $ de plus pour les anglophones. Cela donne à penser qu’il n’y a plus de différence importante entre les salaires des travailleurs qui sont Québécois et ceux qui sont anglophones, tandis que les anglophones composent toujours la plus grande proportion de ceux dont les tranches de revenu sont les plus élevées, c’est à dire les capitalistes et les professionnels bien rémunérés. Les différences dans les années moyennes de scolarité ont également largement disparu.
Le français est devenu la langue commune de communication au travail. Plus de la moitié des résidents du Québec dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français apprennent le français. En 2006, près de 70 pour cent des personnes au Québec dont la langue maternelle était l’anglais parlaient aussi le français.
À la suite de ces gains et de la confiance gagnée dans la lutte, l’anglais n’est plus considéré une langue d’oppression, comme quelque chose qui est imposé de l’extérieur. Le bilinguisme parmi ceux dont la langue maternelle est le français est passé de 31,5 pour cent en 1991 à 35,8 pour cent en 2006. Pour les jeunes en particulier, parler le français et l’anglais est vu comme quelque chose de positif. Et beaucoup d’entre eux veulent apprendre l’anglais parce que c’est la langue internationale des communications et du commerce.
Montée de l’immigration au Québec
L’incapacité du PQ d’utiliser la xénophobie reflète aussi le poids substantiel des travailleurs immigrants au sein de la classe ouvrière au Québec aujourd’hui. La population née à l’étranger s’est accrue régulièrement entre 1961 et 2001, passant de 7,5 à 9,9 pour cent, mais a bondi ensuite à 12,6 pour cent en 2011. Les nouvelles populations d’immigrants viennent de nombreux pays comme le Maroc, l’Algérie, la France, la Chine, Haïti, la Colombie, le Liban, les Philippines, l’Iran, le Mexique, le Cameroun et la Roumanie. L’arabe est aujourd’hui la troisième langue la plus parlée à Montréal.
Pendant des années, le PQ a bénéficié d’un large soutien parmi les immigrants de langue arabe venus d’Afrique du Nord. Mais cela a changé avec la Charte des valeurs québécoises qui les a pris directement pour cible et qu’ont rejetée de larges secteurs de la classe ouvrière qui sympathisaient avec leurs camarades de travail, leurs voisins et amis.
Les récentes élections confirment que depuis maintenant plusieurs années de nombreux travailleurs québécois ne perçoivent plus la question de l’indépendance du Québec comme la solution à l’oppression nationale des Québécois, dont la plupart des aspects ont largement été vaincus dans la lutte.
Les membres de la Ligue communiste au Canada et des organisations qui l’ont précédée ont appelé à soutenir l’indépendance du Québec dès la proclamation en 1970 de la loi des mesures de guerre. Les changements décrits dans cet article et confirmés par les récentes élections expliquent pourquoi le parti a cessé de mettre de l’avant cette revendication depuis au moins une décennie.
La revendication pour l’indépendance du Québec n’est plus un élément indispensable d’un programme de lutte pour renforcer et unifier la classe ouvrière au Canada et pour la préparer à la mobilisation révolutionnaire des travailleurs et de leurs alliés pour arracher le pouvoir aux exploiteurs capitalistes.
Les coups portés contre l’oppression nationale des Québécois au Canada font partie d’un monde marqué par le fait que l’impérialisme U.S. — ainsi que les bureaucraties soviétiques privilégiées au pouvoir qui ont été anéanties avec la chute des régimes staliniens — n’ont pu infliger de défaites démoralisantes à la classe ouvrière dans les anciens États ouvriers de l’Europe centrale et de l’Est. Cela a été confirmé par le récent renversement du gouvernement de Viktor Ianoukovitch en Ukraine et par le fait que nulle part les classes possédantes n’ont été en mesure d’infliger une défaite écrasante aux travailleurs. Par conséquent, les masses laborieuses du monde entier, de Montréal à Kiev, utilisent l’espace politique qu’elles se sont taillé pour discuter, débattre et s’organiser contre les patrons face à la crise mondiale de la production et du commerce capitalistes.
L’impérialisme mondial dirigé par Washington a perdu la guerre froide contre la classe ouvrière dans l’ancienne Union soviétique. De la même façon, l’impérialisme canadien a perdu la guerre froide contre les travailleurs du Québec.
C’est quelque chose à célébrer.