Thomas Sankara : Les luttes des femmes approfondissent notre révolution

(Rubrique Les livres du mois)

le 17 novembre 2014

L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique de Thomas Sankara est un des Livres du mois des éditions Pathfinder. Sankara a été le dirigeant central de la révolution populaire démocratique au Burkina Faso, pays situé en Afrique de l’Ouest, de 1983 à 1987. Le passage publié ici est extrait d’un discours prononcé à un rassemblement de plusieurs milliers de femmes dans la capitale Ouagadougou à l’occasion de la Journée internationale des femmes du 8 mars 1987. Le 15 octobre 1987, Sankara a été assassiné dans un coup d’État organisé par Blaise Compaoré, qui vient d’être renversé par des manifestations de masse. Copyright © 1990 Pathfinder Press. Reproduit ici avec la permission des éditions Pathfinder.

THOMAS SANKARA
Le 2 octobre 1983, le Conseil national de la révolution a clairement énoncé dans son Discours d’orientation politique l’axe principal du combat de libération de la femme. Il s’y est engagé à travailler à la mobilisation, à l’organisation et à l’union de toutes les forces vives de la nation?—?et de la femme en particulier. […]

« La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui responsabilise la femme, qui l’associe aux activités productrices, aux différents combats auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui force la considération et le respect de l’homme. »

Cela indique clairement, camarades militantes, que le combat pour la libération de la femme est avant tout votre combat pour le renforcement de la révolution démocratique et populaire. Cette révolution qui vous donne désormais la parole et le pouvoir de dire et d’agir pour l’édification d’une société de justice et d’égalité, où la femme et l’homme ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. La révolution démocratique et populaire a créé les conditions d’un tel combat libérateur. Il vous appartient désormais d’agir en toute responsabilité pour, d’une part, briser toutes les chaînes et entraves qui asservissent la femme dans les sociétés arriérées comme la nôtre et pour, d’autre part, assumer la part de responsabilité qui est la vôtre dans la politique d’édification de la société nouvelle au profit de l’Afrique et au profit de toute l’humanité.

Aux premières heures de la révolution démocratique et populaire, nous le disions déjà : « L’émancipation tout comme la liberté ne s’octroie pas, elle se conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications et de se mobiliser pour les faire aboutir. ?» Ainsi notre révolution a non seulement précisé l’objectif à atteindre dans la question de la lutte d’émancipation de la femme, mais elle a également indiqué la voie à suivre, les moyens à mettre en œuvre et les principaux acteurs de ce combat. […]

Quelle œuvre a été réalisée par la révolution démocratique et populaire dans l’émancipation de la femme ? Quels atouts et quels handicaps ?

L’un des principaux acquis de notre révolution dans la lutte pour l’émancipation de la femme a été sans conteste la création de l’Union des femmes du Burkina. La création de cette organisation constitue un acquis majeur parce qu’elle a permis de donner aux femmes de notre pays un cadre et des moyens sûrs pour victorieusement mener le combat. La création de l’UFB est une grande victoire parce qu’elle permet le ralliement de l’ensemble des femmes militantes autour d’objectifs précis, justes, pour le combat libérateur, sous la direction du Conseil national de la révolution.

L’UFB est l’organisation des femmes militantes et responsables, déterminées à travailler pour transformer [la réalité], à se battre pour gagner, à tomber et retomber, mais à se relever chaque fois pour avancer sans reculer. C’est là une conscience nouvelle qui a germé chez les femmes du Burkina et nous devons tous en être fiers. Camarades militantes, l’Union des femmes du Burkina est votre organisation de combat. Il vous appartient de l’affûter davantage pour que ses coups soient plus tranchants et vous permettent de remporter toujours et toujours des victoires.

Les différentes initiatives que le gouvernement a pu entreprendre depuis un peu plus de trois ans pour l’émancipation de la femme sont certainement insuffisantes, mais elles ont permis de faire un bout du chemin au point que notre pays peut se présenter aujourd’hui à l’avant-garde du combat libérateur de la femme. Nos femmes participent de plus en plus aux prises de décision, à l’exercice effectif du pouvoir populaire. Les femmes du Burkina sont partout où se construit le pays. Elles sont sur les chantiers : le [projet d’irrigation de la vallée du] Sourou, le reboisement, la vaccination commando, les opérations « villes propres, » la bataille du rail, etc.

Progressivement, les femmes du Burkina prennent pied et s’imposent, battant ainsi en brèche toutes les conceptions phallocratiques et passéistes des hommes. Et il en sera ainsi jusqu’à ce que la femme au Burkina soit partout présente dans le tissu social et professionnel. Notre révolution durant les trois ans et demi a œuvré à l’élimination progressive des pratiques dévalorisantes de la femme, telles que la prostitution et les pratiques avoisinantes comme le vagabondage et la délinquance des jeunes filles, le mariage forcé, l’excision et les conditions de vie particulièrement difficiles de la femme.

En contribuant à résoudre partout le problème de l’eau, en contribuant aussi à l’installation des moulins dans les villages, en vulgarisant les foyers améliorés, en créant des garderies populaires, en pratiquant la vaccination au quotidien, en incitant à l’alimentation saine, abondante et variée, la révolution contribue sans nul doute à améliorer les conditions de vie de la femme burkinabè. Aussi, celle-ci doit-elle s’engager davantage dans l’application des mots d’ordre anti-impérialistes, à produire et consommer burkinabè en s’affirmant toujours comme un agent économique de premier plan — producteur comme consommateur des produits locaux.

La révolution d’août a sans doute beaucoup fait pour l’émancipation de la femme, mais cela est pourtant loin d’être satisfaisant. Il nous reste beaucoup à faire.