Ukraine : les travailleurs se battent contre les actes de guerre séparatistes et les attaques patronales

Naomi Craine
et John Studer
le 9 mars 2015

Un an après la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovitch au cours des manifestations populaires de masse contre son régime corrompu et pro-russe, Alexei Simvolokov, un dirigeant du Syndicat indépendant des mineurs à Dnipropetrovsk, a expliqué au Militant que « Les gens ont changé, mais pas le système. » Il a fait ce commentaire lors d’un entretien téléphonique le 23 février.

Alexei Simvolokov a donné un aperçu de quelques-uns des défis posés aux travailleurs et aux agriculteurs aujourd’hui en Ukraine alors qu’ils font face à la crise économique et à des attaques de plus en plus importantes contre leurs moyens d’existence, à la guerre séparatiste qui s’amplifie et aux atteintes contre les droits démocratiques. Mais la confiance et l’estime de soi acquises lors des manifestations anti-Ianoukovitch du Maïdan à Kiev et dans tout le pays ont renforcé la classe ouvrière.

« Il y a de plus en plus de problèmes dus au non-paiement des salaires, à la baisse de production et au manque d’emplois, aggravés par l’afflux de travailleurs fuyant les combats de Donetsk et de Louhansk vers d’autres régions de l’Ukraine, a ajouté Alexei Simvolokov. Malgré cette situation difficile, les manifestations se multiplient. »

À la grande usine de roquettes qui emploie 7 000 personnes, une des principales usines de Dnipropetrovsk qui fabriquait autrefois des missiles pour l’Union soviétique, les travailleurs ont créé un nouveau Syndicat indépendant de protection des travailleurs, a affirmé Evgenyi Derkach, un de ses dirigeants, lors du même entretien. « Nous avons déjà organisé quatre manifestations, d’environ 500 travailleurs chacune, pour obtenir sept mois d’arriérés de salaires. » Sur une des banderoles on pouvait lire : « Ne réveillez pas le Maïdan — payez nos salaires. »

Après une réunion syndicale le 18 février, Evgenyi Derkach a été attiré hors de sa maison et agressé dans la rue par des voyous qui sont sortis précipitamment d’une voiture, l’ont roué de coups et sont partis. Un an après les manifestations du Maïdan, « les gens ordinaires risquent encore d’être frappés dans la rue ; les mêmes tetushka sont toujours là, » a expliqué Alexei Simvolokov, en parlant des voyous anti-ouvriers qui servent les intérêts des patrons et des dirigeants pro-Moscou de l’Ukraine depuis des années. Evgenyi Derkach a ajouté que les travailleurs de l’usine de roquettes prévoyaient une autre manifestation le 25 février.

La monnaie ukrainienne a chuté à un niveau record, ce qui signifie que maintenant « le salaire moyen ne vaut plus que 50 $ par mois, a ajouté Alexei Simvolokov. Ce n’est pas assez pour vivre. »

Il a dit qu’il a moins de contact avec les syndicalistes des régions tenues par les séparatistes, où les conditions sont encore pires. « Ceux qui travaillent ne touchent pas de salaire, a-t-il dit. Il y a des pannes de courant durant lesquelles les mineurs restent coincés sous terre sans ventilation. C’est très difficile là-bas actuellement. Je ne sais pas comment ils font pour survivre. »

Les autorités pro-Moscou refusent d’y autoriser les mineurs à être représentés par le syndicat indépendant, a-t-il affirmé.

Attentat à un rassemblement à Kharkiv

Des marches et des rassemblements ont eu lieu à travers l’Ukraine du 20 au 22 février afin de marquer l’anniversaire du Maïdan et du renversement d’Ianoukovitch. Certains, comme une manifestation à Kiev, étaient organisés par les représentants du gouvernement, y compris le président Petro Porochenko.

D’autres actions ont été organisées par des groupes qui ont dirigé les manifestations du Maïdan et qui continuent à militer depuis.

Lors d’un rassemblement le 22 février à Kharkiv, la deuxième plus grande ville de l’Ukraine, une grosse bombe a été déclenchée à l’approche des manifestants. Au moins trois personnes ont été tuées, dont un dirigeant des protestations du Maïdan.

Il y a eu une douzaine d’attentats perpétrés par les forces pro-Moscou à Kharkiv ces derniers mois, mais celle-ci « était l’attaque la plus sordide et la plus brutale, la première contre une manifestation pacifique, » a dit, lors d’un entretien téléphonique le 23 février, Oleksandr Chevchenko, un militant du Centre de surveillance et d’information du Maidan qui a participé au rassemblement d’environ 2 000 personnes.

Le cessez-le-feu entre le gouvernement et les séparatistes dans l’est de l’Ukraine, qui devait entrer en vigueur le 15 février, présente des lacunes importantes. Depuis que les forces séparatistes ont pris la ville de Debaltseve le 18 février à l’aide de troupes et d’armes lourdes russes, le centre des combats s’est déplacé vers la zone près de Marioupol. En plus d’être une ville portuaire d’un demi-million d’habitants sur la mer d’Azov, Marioupol est un centre de production d’acier. Elle est aussi la principale ville ukrainienne entre la frontière russe et la péninsule de Crimée, que Moscou a occupée puis annexée l’année dernière.

Les responsables ukrainiens disent qu’ils ont vu 26 systèmes de missiles Grad et 36 chars et véhicules blindés passer en territoire ukrainien depuis la Russie au cours des derniers jours. La ville de Shyrokyne, à quelques kilomètres à l’est de Marioupol, a fait l’objet de tirs intenses. Des dizaines de milliers de soldats russes réguliers se sont rassemblés près de la frontière.

L’accord de cessez-le-feu a prévu un échange de tous les prisonniers par les deux parties. Un échange de prisonniers, comportant 139 soldats ukrainiens et 52 séparatistes, a bien eu lieu le 21 février. Porochenko avait dit que la pilote d’hélicoptère Nadia Savtchenko, qui est incarcérée en Russie, en ferait partie, mais les autorités russes répètent qu’ils ne la relâcheront pas.

Nadia Savtchenko a été capturée par des séparatistes en juin et kidnappée vers la Russie, où les autorités cherchent à monter un coup contre elle pour l’accuser de complicité dans l’assassinat de deux journalistes russes. Ils prétendent qu’elle a fourni des informations de localisation aux forces ukrainiennes après avoir été capturée par des forces pro-Moscou. En prison, Nadia Savtchenko a été élue au parlement ukrainien.

Depuis le 13 décembre, elle refuse de s’alimenter pour protester contre la façon dont elle est traitée, y compris son placement forcé dans un établissement psychiatrique notoire de Moscou et le manque de soins médicaux. Elle bénéficie d’un large soutien en Ukraine et au-delà.

Au nom des impératifs de guerre, Kiev prend des mesures anti-ouvrières qui minent les droits démocratiques. À Dniepropetrovsk, le gouvernement a fermé une station de télévision qu’il disait pro-russe.

« Comment le gouvernement peut-il dire qu’il respecte le régime de droit et de démocratie quand il fait cela ? demandait Alexei Simvolokov. La liberté d’expression est très importante. Dans nos protestations, nous avons une affiche qui dit : « Il est impossible d’interdire la liberté d’expression. »