PHILADELPHIE — Le déraillement du train régional 188 d’Amtrak Northeast qui a tué huit personnes et en a blessé plus de 200 le 12 mai dernier est l’un des plus graves accidents de transport ferroviaire de passagers des États-Unis au cours des dernières années. C’est une conséquence du mépris de la sécurité de la part des patrons capitalistes du rail, qui la perçoivent comme un simple coût supplémentaire.
Dans une déclaration commune publiée le 19 mai, Dennis Pierce, président de la Fraternité des mécaniciens de locomotive et agents de train et John Previsich, président de la Division des transports du Syndicat des travailleurs du métal en feuille, des transports aérien, ferroviaire et routier (SMART), ont clairement indiqué la cause du déraillement : les décisions du Congrès et d’Amtrak qui rendent obligatoire un seul membre d’équipage dans la cabine des trains. « Un service de transport sûr demande un équipage d’au moins deux employés bien formés et qualifiés dans la cabine de conduite de chaque train, » ont-ils déclaré.
Le train se dirigeant vers le nord a accéléré de 113 km/h à 171 km/h quelques instants seulement avant d’entrer dans la courbe Frankford Junction à l’extérieur de la ville, où la vitesse est limitée à 80 km/h.
La catastrophe aurait pu être encore pire si le train avait percuté des wagons-citernes à proximité, qui peuvent contenir du pétrole, des produits chimiques ou du sirop de maïs. Un porte-parole de Conrail a refusé de divulguer le contenu des wagons.
« L’accident a eu lieu à seulement une quinzaine de mètres des wagons-citernes, » a dit au Militant Kuyanna Wells, qui vit avec ses enfants à proximité de la voie ferrée. « Ils auraient pu tous nous brûler. »
Brandon Bostian, le conducteur du train de 32 ans, qui a été blessé, a dit aux enquêteurs qu’il ne se souvient pas de l’accident. Son dernier souvenir avant d’appeler le 911 sur le site du déraillement est d’avoir fait sonner l’avertisseur du train au moment où il traversait la gare de Philadelphie Nord, a dit son avocat.
Certains responsables de la ville et plusieurs quotidiens se sont précipités pour rejeter la faute sur Brandon Bostian. « Il est clair qu’il [le conducteur] a été imprudent et irresponsable dans ses actions, » a déclaré le maire de Philadelphie, Michael Nutter à CNN le 13 mai. « Et il n’y a vraiment aucune excuse valable, littéralement, à moins qu’il n’ait fait une crise cardiaque. »
Paul Pokrowka, un ancien conducteur et directeur juridique de SMART, a contesté les dires du maire en affirmant que Brandon Bostian a « déjà été épinglé comme le bouc émissaire. Le maire Nutter a dit de cet homme qu’il était imprudent avant même que nous disposions de tous les faits. »
Lorsque la ligne de passagers financée par le gouvernement a été créée dans les années 1970, les trains d’Amtrak devaient avoir au moins deux membres d’équipage dans la cabine de conduite, un mécanicien et un chauffeur. Mais dans le but de réduire les coûts, « Amtrak a refusé depuis 1983 d’avoir plus d’un employé dans la cabine d’équipage du corridor nord-est, » ont dit des responsables syndicaux.
« Pourquoi n’y a-t-il pas régulièrement deux personnes dans la cabine, comme il y a deux pilotes [dans un avion] ? » a demandé le 15 mai la journaliste Andrea Mitchell de MSNBC à Fritz Elder, l’ancien président de la Fraternité des conducteurs de locomotives et agents de train, section 482.
Il y a longtemps que les cheminots posent cette question, a répondu Fritz Elder. « Du point de vue des opérateurs-mécaniciens, nous pensons que de telles décisions sont toujours prises par d’autres — de supposés spécialistes. Elles ne sont jamais prises par ceux qui font le travail. »
La taille de l’équipage est la question clé
En septembre dernier, les travailleurs de la BNSF Railway, membres de SMART, se sont mobilisés et ont voté massivement pour mettre en échec la proposition de l’équipage d’une seule personne sur les trains de marchandise. Ils ont fait des manifestations et ont gagné le soutien d’autres syndicalistes et de ceux qui vivent à proximité des voies ferrées.
Le Conseil national US de la sécurité des transports (NTSB) et l’Administration fédérale des chemins de fer ont souligné la nécessité d’avoir des dispositifs de sécurité. Sur la voie nord-sud, à l’approche de la courbe où le train 188 a déraillé, il y a des années que la commande automatique de la marche des trains — qui freine automatiquement un train dépassant la limite si le conducteur ne réagit pas — a été mise en place. Mais Amtrak ne l’a pas installé sur la voie sud-nord. L’Administration fédérale des chemins de fer lui a ordonné de le faire à la suite de la dernière catastrophe.
L’administration a aussi ordonné à Amtrak d’installer des panneaux de limitation de vitesse tout au long de la voie.
Amtrak promet maintenant d’accélérer la mise en place du Contrôle positif des trains (PTC), un système plus complet que le contrôle automatique des trains. Le contrôle positif des trains est utilisé actuellement dans trois segments des lignes du corridor nord-est, mais seulement sur 80 des 365 kilomètres allant de Washington à New York.
« Le PTC n’est qu’un facteur supplémentaire assurant un fonctionnement plus sûr, » a affirmé une déclaration commune des syndicats le 19 mai, « et il n’existe pas de technologie pouvant remplacer la sécurité offerte lorsque deux membres d’équipage sont à bord et qu’ils peuvent se contrôler et se compenser l’un l’autre. »
La fatigue pourrait être un facteur
De nombreuses personnes croient que la fatigue a été un facteur contribuant au déraillement. Les représentants syndicaux ont mis en évidence les nouveaux horaires du corridor nord-est d’Amtrak, en faisant remarquer que beaucoup de cheminots travaillent de 13 à 16 heures par jour avec des périodes de repos plus courtes.
Une lettre à Amtrak du 20 septembre de la section locale 482 de la Fraternité des mécaniciens de locomotive et des agents de train a affirmé que les nouveaux horaires rendent la planification des repos difficile pour les travailleurs et que les patrons doivent arrêter « d’exercer des pressions sur les équipages afin qu’ils acceptent de travailler « durant leur repos » dans un effort pour échapper à la loi sur les heures de service. »
Le 15 mai, Robert Sumwalt, un membre du NTSB, a déclaré que le train pouvait avoir été frappé par un projectile. À peine quelques minutes avant le déraillement, deux autres trains dans la même région, un train de banlieue de SEPTA et un train Acela d’Amtrak, ont signalé avoir été heurtés. La fenêtre du conducteur de SEPTA s’est brisée et celle d’Acela a éclaté. Robert Sumwalt a dit que l’enquête sur le déraillement prendra des mois.
La discussion au sujet de l’accident a attiré l’attention sur la détérioration dangereuse de l’infrastructure du système ferroviaire, vieux de 100 ans. Néanmoins, la journée suivant la catastrophe, le Comité des finances de la Chambre des représentants a voté en faveur d’une réduction du budget d’Amtrak, passant de 1,4 à 1,13 milliards de dollars US.