DNEPRODZERZHYNSKA, Ukraine — « En 2014, notre usine de transformation du titane est revenue de la propriété privée à la propriété d’État, » a dit le 4 juin au Militant Sergei Alexeivych, chef du syndicat indépendant de l’usine de Volnogorsk. « Les 4 500 travailleurs ont été transférés, à une exception près, moi, le chef du syndicat. Ils ont « perdu » ma candidature, le dossier avec mon numéro d’emploi, tout sur moi.
« Le titane est un des produits les plus rentables dans le monde entier, utilisé dans la fabrication des fusées, des avions, des sous-marins et des prothèses articulaires pour les personnes, a-t-il dit. Maintenant l’État veut privatiser l’usine encore une fois, comme ça quelqu’un pourra s’enrichir. La direction laisse l’usine se dégrader.
« Même s’ils nous disent qu’il n’y a pas de travail, vous pouvez voir une montagne de minerai brut de 15 à 20 mètres de haut tout autour de l’usine, » dit Sergei Alexeivych, en nous montrant des photos.
Andrey Zaykov, qui travaille dans une usine de compost dans la ville du nord-ouest de Tchernihiv, a raconté une histoire similaire. « L’usine, qui fabrique les machines et utilise le compost pour produire de l’énergie, a eu 19 différents directeurs au cours des 10 dernières années, » a-t-il dit dans une interview le 1er juin. « En 2012, de nouveaux patrons ont sucé toute la richesse de l’usine — nous n’avons eu aucune commande, pas d’électricité, elle était une coquille vide pendant qu’ils se sont enrichis.
« De nouveaux directeurs sont venus, l’ont faite redémarrer et ont été virés, » a dit Andrey Zaykov, qui est à la tête de la Confédération des syndicats libres dans sa région. « Nous n’avons pas été payés depuis janvier et l’usine a cessé de fonctionner. J’ai aidé à mener une campagne pour les salaires qui n’ont pas été payés et ils ont lancé de fausses accusations contre moi. J’ai été licencié à la fin du mois d’avril.
« Ils ont mis en place une entreprise privée bidon et ont obtenu un accord secret de l’État pour y transférer les actifs de l’entreprise, a-t-il dit. Tout ça, c’est une question de corruption, d’argent et de privatisation.
« Le gouvernement ne veut pas nous écouter. La seule chose que nous pouvons faire est de nous organiser pour lutter, comme nous l’avons fait à Maïdan, » a-t-il dit en faisant référence au mouvement de masse qui a conduit au renversement du régime pro-Moscou de Viktor Yanoukovitch en février 2014.
En plus d’une semaine et demie, les reporters du Militant se sont également entretenus avec des mineurs d’uranium de la mine de Smolensk dans le sud-est, des mineurs de minerai de fer à Krivyi Rih, des travailleurs des usines de la fusée Yashmash et d’Interpipe à Dnepropetrovsk, des travailleurs du rail d’ici et de Kiev et d’autres encore, apprenant sur leurs luttes pour défendre les emplois, les salaires, les conditions de travail et les droits politiques.
Le tableau qu’ils dépeignent montre que les patrons en Ukraine, tant dans les entreprises privées que publiques, et leur gouvernement à Kiev sont engagés dans des attaques tous azimuts contre les travailleurs et les syndicats indépendants. Ils cherchent à accroître la rentabilité et à se positionner pour s’emparer des mines, des installations et des usines dont on prévoit qu’elles seront privatisées à des prix dérisoires, tout en luttant contre les autres oligarques qui ont amassé des fortunes par le vol et la corruption.
Ils tentent aussi d’utiliser l’engagement des travailleurs envers la souveraineté nationale de l’Ukraine pour réclamer des « sacrifices » économiques et la restriction des droits face aux attaques en cours à Donetsk et Louhansk par des forces séparatistes soutenues par les troupes et les armes russes et face à l’occupation continue de la Crimée par Moscou.
Les travailleurs paient pour la profonde crise économique
L’économie capitaliste de l’Ukraine est dans la spirale de la crise, surtout sur le dos de la classe ouvrière et des agriculteurs. La production industrielle a chuté de 20 pour cent pendant que les dépenses militaires s’élèvent à sept millions de dollars par jour. L’inflation a grimpé en flèche de 61 pour cent l’an dernier tandis que les emplois ont chuté, les salaires sont gelés et souvent pas payés. Les prix de nombreux produits de première nécessité ont doublé voire triplé.
La situation des travailleurs pris au piège dans les républiques dites populaires à Donetsk et Louhansk est encore pire, avec les mines fermées, l’industrie à l’arrêt et le travail, le ravitaillement et les droits disparus.
Le gouvernement de Kiev du président Petro Porochenko, poussé par le Fonds monétaire international et les « alliés » impérialistes, a réduit les subventions à l’énergie et les autres subventions sociales. Il a diminué les retraites et prévoit l’élimination de dizaines de milliers d’emplois dans une orgie de privatisations.
Les mineurs, la plus forte section du mouvement ouvrier, sont une cible particulière. Selon le ministre de l’Énergie Volodymyr Demchyshyn, l’objectif du gouvernement cette année est d’éliminer 10 000 emplois miniers sur 52 000, de fermer cinq mines propriétés de l’État et d’en faire chômer sept autres.
« Il reste 1 800 entreprises publiques, » a dit Petro Poroshenko au Parlement dans son discours national le 4 juin. « Pas plus de 200 sont essentielles à l’État. »
Il a décrit comme une nécessité l’immense accumulation primitive de capital, pendant 25 ans depuis l’implosion de l’URSS, par une couche de capitalistes émergents, dont la plupart ont des connexions avec la vieille bureaucratie soviétique. « N’importe quel scientifique qui étudie la typologie des régimes politiques dit que ce que l’on appelle l’oligarchie compétitive est vraiment mieux que l’autoritarisme, » a-t-il dit. Petro Porochenko est l’un des capitalistes les plus riches de l’Ukraine.
Affirmant que le moment est arrivé pour une « étape de transition vers la démocratie libérale, » il est impliqué dans une série de conflits avec d’autres oligarques à propos de qui contrôle quoi. « Ce n’est pas le bon moment pour la social-démocratie, » a dit Petro Porochenko, précisant son point de vue concernant qui devrait payer la « prochaine étape. »
« Le thatchérisme et les Reaganomics seront plus utiles maintenant, » a-t-il dit. La première ministre Margaret Thatcher avait été l’architecte du démantèlement de l’industrie du charbon et des attaques contre le syndicat des mineurs en Grande-Bretagne dans les années 1980, alors que pendant la même période le président américain Ronald Reagan écrasait le syndicat des contrôleurs aériens, annonçant des décennies d’attaques contre les travailleurs.
Le gouvernement de Petro Porochenko fait des pressions en faveur d’un nouveau code du travail qui créera plus d’obstacles pour ceux qui voudraient former des syndicats et défendre les travailleurs. Il propose de sabrer dans les soins de santé subventionnés par l’État en affirmant : « Nous ne pouvons pas duper les gens avec des contes de fées sur la médecine gratuite. »
Et il a dénoncé ceux qui s’opposent à ces mesures, dont il a admis qu’elles sont « des décisions difficiles et très impopulaires. » Il les accusent de « cinquième colonne » qui soutient Moscou. « L’ennemi ne cache pas son intention de convertir le mécontentement des Ukrainiens fatigués et épuisés en déstabilisation de la situation dans notre pays, » a dit Petro Porochenko. Il a ciblé surtout le syndicat des mineurs indépendants, déclarant que leurs mobilisations ne sont que « le cliquetis d’armes de milices privées camouflées en mineurs. »
Les mineurs dirigent la riposte
Les mineurs ont bloqué des routes. Ils ont manifesté devant des bureaux locaux et se sont mobilisés dans la capitale nationale. Lors d’une manifestation à l’ouest du pays, ils se sont assis sur la route derrière une banderole affirmant : « La révolution de la dignité se poursuit. »
« Le gouvernement attaque les droits syndicaux. Ses fermetures de mines et ses autres coupes réduisent en lambeaux la vie des travailleurs, » a dit au Militant le 29 mai dernier Mikhaïlo Volynets, président à la fois de la Confédération des syndicats libres et du syndicat des mineurs indépendants. « Les tensions sociales laissent présager un autre Maïdan. »
« Nos syndicats sont dévoués à la souveraineté nationale de l’Ukraine, a-t-il dit, mais cela n’a rien à voir avec le cours du gouvernement. Alors que nous avons besoin d’énergie et que nous devons surmonter la dépendance au gaz et au charbon venant de Russie, ils ferment les mines ukrainiennes, jettent les mineurs au chômage et se tournent vers les importations.
« Les gens perdent confiance dans le gouvernement, a-t-il dit. Il fait pression sur les medias pour qu’ils ne couvrent pas ce que dit le syndicat et ils nous calomnient comme agents à la solde de Moscou. Les travailleurs m’approchent dans la rue et dans le métro et me disent qu’ils ne croient pas les ministres.
« À l’automne 2013, lorsque les étudiants sont descendus dans la rue à Maïdan pour exiger le changement et la souveraineté nationale, ils ont été accueillis avec des matraques et des balles. Les syndicats et les travailleurs se sont unis et des dizaines de milliers de personnes ont manifesté, a dit Mikhaïlo Volynets. C’est seulement à partir de là que les politiciens se sont pointés et ont fait carrière et se sont attribués le pouvoir. »
« Aujourd’hui ils disent aux travailleurs et aux autres que nous sommes antipatriotiques, a-t-il dit. Eh bien, les syndicats indépendants s’étendent et se développent. Nous avons des milliers de nouveaux membres. Certains membres des anciens syndicats d’État se tournent vers nous. Et nous allons continuer à nous battre. »