Paris et Washington utilisent les tueries en France pour intensifier la guerre au Moyen-Orient

Brian Williams
et John Studer
le 30 novembre 2015

« La France est en guerre, » a déclaré le président François Hollande devant une rare séance du Parlement français réuni en Congrès au Palais de Versailles le 16 novembre. Il répondait aux tueries aveugles perpétrées trois jours auparavant à Paris par des agents du réactionnaire État islamique.

François Hollande a détaillé un programme de mesures de guerre en Syrie ; un appel à Washington et Moscou pour laisser de côté leurs divergences politiques afin d’associer leurs forces à la tête d’une « grande coalition unique » contre les islamistes ; et une série d’attaques contre les droits politiques et les droits des Arabes et des musulmans en France. Il s’est fait ovationner debout par les parlementaires de tous les partis politiques, qui ont chanté avec lui l’hymne national.

Les dirigeants à Washington, Londres et dans d’autres capitales impérialistes ont ajouté leurs voix pour dénoncer les attentats et proposer de nouvelles attaques contre les droits des travailleurs dans leurs propres pays.

Faisant référence à la responsabilité de l’État islamique dans l’explosion en vol d’un avion transportant des touristes russes en Égypte le 31 octobre, Moscou s’est associé à la France à partir du 16 novembre pour bombarder Racca, la capitale de facto  du « califat » de l’État islamique en Syrie.

Les kamikazes de l’État islamique ont pris d’assaut la salle de concert le Bataclan à Paris le 13 novembre et ont abattu 89 personnes qui assistaient à une performance du groupe rock US Eagles of Death Metal. D’autres ont fait exploser les ceintures explosives qu’ils portaient devant le Stade de France où jouaient les équipes nationales de football française et allemande. Une équipe de tueurs a tiré à bout portant dans plusieurs restaurants et bars. Selon l’État islamique, huit de ses membres y ont participé. Les djihadistes anti-ouvriers ont tué plus de 130 personnes et en ont blessé plus de 350.

L’État islamique a publié une déclaration célébrant leur agression comme « une bataille bénie. » Il a dit qu’ils ont attaqué le match de football parce que ces équipes représentent des « nations de croisés » et que les travailleurs et les jeunes au Bataclan étaient « des païens rassemblés pour un concert de la prostitution et du vice. »

Les attentats terroristes brutaux de l’État islamique, les mesures prises par les impérialistes pour en profiter afin d’avancer vers une guerre plus large et les initiatives pour limiter radicalement les droits politiques sont des coups portés contre la classe ouvrière.

Alors que de nombreux travailleurs sont favorables à l’orgie patriotique déchaînée par la classe possédante française, certains s’y opposent. « Je crains des amalgames, » a dit au Militant Farid Borsali, âgé de 46 ans, qui travaille à l’usine Peugeot de montage d’automobiles à Poissy près de Paris où il est le secrétaire général du syndicat CGT. « Il faut rassembler les travailleurs et éviter de tomber dans la division. »

L’écrasante majorité des musulmans s’opposent aux attaques de l’État islamique. C’est « dommage pour les gens qui sont morts et dommage pour ma religion, l’islam, » a dit Samir Amer, âgé de 41 ans, qui est né au Maroc et qui travaille aussi à l’usine d’automobiles. « Maintenant, les gens qui me voient aller à la mosquée — et je porte une barbe — penseront que je suis comme les gens qui ont fait ça. »

Sept des assaillants ont été tués, six en se faisant exploser, l’un dans une fusillade avec la police. Une chasse à l’homme transfrontalière se poursuit en France, en Belgique et ailleurs.

C’était la deuxième agression terroriste mortelle à Paris cette année. En janvier, deux vauriens islamistes ont tiré sur les bureaux de la revue satirique Charlie Hebdo et tué 13 personnes, dont des caricaturistes. Un autre a tué quatre personnes qui faisaient leurs courses au supermarché Hyper Cacher dans un quartier juif.

Le président Barack Obama s’est associé aux responsables français pour dénoncer les tueries, mais il a choisi de ne pas modifier son emploi du temps pour visiter Paris. Il a souligné qu’il continue à s’opposer au déploiement de plus de troupes terrestres US en Syrie et en Irak et affirmé que les forces militaires de Washington allaient plutôt intensifier les bombardements.

Il y a de plus en plus d’appels, parmi les républicains et les démocrates, pour une réponse militaire plus robuste des États-Unis.

Selon le Washington Post du 16 novembre, Barack Obama devrait modifier une politique militaire « d’une puissance invariablement trop faible […] par le déploiement de plus de forces spéciales » afin de travailler avec les Arabes et les Kurdes pour prendre Racca, qui est contrôlée par l’État islamique, et se joindre aux forces irakiennes et kurdes pour avancer vers Mossoul en Irak et fournir directement plus d’armes.

Pendant que les dirigeants impérialistes se précipitent pour affirmer leur solidarité avec la classe dirigeante française, on ignore la perte de 44 vies dans des attaques suicides qui ont visé des Arabes et des musulmans à Beyrouth au Liban, le jour qui a précédé les attentats à Paris.

François Hollande déclare l’état d’urgence

Quelques heures après les attaques, François Hollande a déclaré l’état d’urgence, ce qui permet à la police de perquisitionner sans mandat, d’imposer des couvre-feux et de placer en résidence surveillée n’importe qui jugé « dangereux » par les autorités. Quelque 1 500 soldats français ont été déployés à Paris. Les manifestations de rue ont été interdites au moins jusqu’au 19 novembre.

François Hollande, le dirigeant du gouvernement du Parti socialiste, a annoncé que l’État français réinstaure le contrôle de ses frontières, jetant par-dessus bord la libre circulation entre les pays d’Europe établie par l’Union européenne.

La France a une des plus grandes populations arabes et musulmanes en Europe, un produit des effets de son empire colonial et des guerres impérialistes. Pendant les années 1950 et le début des années 1960, les soldats français ont livré une guerre sanglante, mais vaine, contre une révolution populaire en Algérie et mené une répression féroce contre la communauté algérienne en France.

Les frontières de la Syrie ont été tracées lors de négociations secrètes entre Paris et Londres pour le contrôle de la région à la suite de la chute de l’Empire ottoman il y a un siècle. La France a obtenu ce qui est devenu la Syrie et le Liban, alors que le Royaume-Uni a acquis l’Irak, la Jordanie et la Palestine.

Le 16 novembre, le ministre de l’Intérieur français Bernard Cazeneuve a affirmé que 23 personnes avaient été arrêtées lors de 168 perquisitions nocturnes et que 104 autres avaient été placées en résidence surveillée. « Ce n’est qu’un début, » a-t-il ajouté. Le jour même, des dizaines de policiers belges et de commandos armés ont encerclé des maisons du quartier majoritairement arabe de Molenbeek à Bruxelles.

Trente mille flics ont établi des contrôles frontaliers aux 285 portes d’entrée du pays par des voies routières, ferrées, marines et aériennes dans une opération qui, selon les autorités, durera au moins jusqu’à la conclusion de la conférence sur les changements climatiques parrainée par l’ONU, dont l’ouverture est prévue pour le 30 novembre à Paris.

Les responsables français n’ont pas encore dit s’ils allaient interdire la manifestation du 29 novembre organisée par les syndicats et autres groupes dans le but de faire pression pour renforcer la protection de l’environnement.

Des dirigeants du gouvernement ont appelé au renforcement de l’espionnage des mosquées et des communautés arabes et ont discuté de nouvelles restrictions sur les quelque 10 000 personnes qui font l’objet de « fiches secrètes » par les agences d’espionnage françaises.

À travers l’Europe, les dirigeants se sont servis des événements en France pour déplacer le débat sur la façon de gérer le flot continu de dizaines de milliers de réfugiés qui fuient la guerre et le désastre social de plus en plus profonds en Syrie.

Bien que la majorité des tueurs de l’État islamique aient été citoyens français ou résidents de Belgique, il semble que l’un d’entre eux est entré en Europe en se joignant aux réfugiés arrivés en Grèce.

Markus Söder, le ministre des Finances bavarois et membre de l’Union chrétienne-sociale, un des partis du gouvernement de coalition de la chancelière Angela Merkel, a proposé que la police fédérale mette en place des contrôles à tous les points frontaliers avec l’Autriche. Sinon, a-t-il menacé, la Bavière prendrait elle-même les choses en main.

Il y a aussi de plus en plus d’appels aux États-Unis pour mettre un terme à l’accueil de réfugiés syriens. Quelques jours après les attentats de Paris, la majorité des gouverneurs d’État, aussi bien démocrates que républicains, ont demandé l’arrêt du programme.

À Washington, New York et dans d’autres villes, les autorités ont renforcé les patrouilles de police en augmentant les inspections des autobus, des trains et des sacs des passagers. À l’émission d’information « Face the nation » de CBS du 15 novembre, le commissaire de police de la ville de New York William Bratton a expliqué que pour les flics les attentats de Paris « changent les règles du jeu. »

Alors que 2 000 policiers sont déjà déployés dans des unités antiterroristes, William Bratton et le maire Bill de Blasio ont déclaré le lendemain que la ville est en train de mettre sur pied une nouvelle unité anti-terroriste. La première mission du Commandement de réaction critique, fort de 560 membres et armé d’équipement lourd, sera de mettre sous surveillance la célébration du Nouvel An au Times Square.

Le directeur de la CIA, John Brennan, a affirmé que les restrictions à la collecte de données et à l’espionnage électronique ont rendu « beaucoup plus difficile » la traque de terroristes potentiels. « J’espère bien que ça tirera un signal d’alarme, » a-t-il dit le 16 novembre.

La vaste majorité des victimes d’assassinat, de torture et d’oppression par l’État islamique sont les Arabes et musulmans dans les régions contrôlées par l’ÉI. L’organisation réactionnaire s’est emparée de certaines parties de l’ouest de l’Iraq et de la Syrie au cours de presque cinq années de guerre civile en Syrie. L’épuisement politique des forces nationalistes bourgeoises qui ont émergé à travers le Moyen-Orient après la deuxième guerre mondiale, associé aux trahisons des luttes des travailleurs et des paysans par les partis staliniens dans la région, ont ouvert la voie à l’émergence de l’ÉI. Le Parti socialiste arabe Baas, dirigé depuis 1970 par Hafez el-Assad et depuis 2000 par son fils Bachar el-Assad, a imposé un régime capitaliste brutal, soutenu par Moscou.

Les origines de l’État islamique

En 2011, face aux protestations de plus en plus importantes exigeant la fin du régime dictatorial de Bachar el-Assad, le régime a sévi avec des arrestations, des bombardements, des sièges visant à affamer la population et l’utilisation d’armes chimiques. Depuis, environ 250 000 personnes ont été tuées et plus de 11 millions, soit la moitié de la population du pays, ont été chassées de leurs foyers.

L’État islamique a profité de ce vide pour s’emparer de territoires et imposer un règne sanguinaire partout où il a pris le contrôle.

Washington considère l’ÉI comme un obstacle à ses efforts pour imposer un semblant de stabilité dans la région et pour protéger les intérêts impérialistes US.

Depuis août 2014, une coalition dirigée par les États-Unis a effectué huit mille frappes aériennes, dont la grande majorité par Washington, contre l’ÉI en Irak et en Syrie.

L’Institut pour l’étude de la guerre, qui préconise le renforcement de l’intervention US en Syrie, a récemment appelé à relâcher les règles d’engagement et à cesser de s’inquiéter autant sur la possibilité de tuer des civils.

Moscou a commencé à effectuer des frappes aériennes à la fin de septembre, prétendument contre l’État islamique, mais il a plutôt concentré ses bombardements dans le but de soutenir le régime aux abois de Bachar el-Assad, en ciblant les groupes d’opposition qui combattent dans l’ouest de la Syrie pour mettre fin à son règne.

La France s’apprête maintenant à jouer un rôle plus important. Elle fait pression sur l’administration Obama pour qu’elle collabore avec Moscou afin de concentrer leur feu contre l’État islamique.

Derek Jeffers à Paris a contribué à cet article.