LA HAVANE — Une table ronde sur le centième anniversaire de la révolution bolchevique d’octobre 1917 dans l’ancien empire tsariste de Russie a été l’un des événements spéciaux de la Foire internationale du livre de La Havane cette année. « Une chose qui est quelquefois oubliée aujourd’hui, » a dit Isabel Monal qui présidait la table ronde, est « l’extraordinaire influence de Lénine et du marxisme sur Fidel et la révolution cubaine. »
Isabel Monal, ancienne directrice de l’Institut de philosophie de La Havane, est aujourd’hui rédactrice du magazine Marx Ahora (Marx aujourd’hui). Elle a commencé son activité révolutionnaire dans les années 1950, dans la lutte clandestine contre la dictature de Batista que soutenaient les États-Unis. À la fin de 1958, elle a été arrêtée aux États-Unis pour avoir transporté des fusils destinés au Mouvement du 26 juillet et à l’Armée rebelle, qui ont mené la lutte révolutionnaire jusqu’à la victoire sous la direction de Fidel Castro en janvier 1959.
En octobre 1917, guidés par le Parti bolchevique sous la direction de Vladimir Lénine, des millions de travailleurs ont renversé le pouvoir d’État des capitalistes et des propriétaires fonciers en Russie et à travers toute la prison des peuples que constituait la monarchie déchue, et qui s’étendait de l’Europe de l’Est, en passant par l’Asie centrale, jusqu’au Pacifique. Ils ont établi une république des travailleurs et des paysans, et ont ouvert la voie à la première révolution socialiste dans le monde.
La table ronde sur les leçons de ce profond soulèvement révolutionnaire a été organisée par la maison d’édition Ciencias Sociales, qui a publié une nouvelle édition en espagnol du classique de John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, en vente tout au long des 10 jours de la foire du livre. Publié pour la première fois en anglais en 1919, le livre est un témoignage vivant de la révolution bolchevique. Reed a été l’un des fondateurs du Parti communiste aux États-Unis cette même année.
Les participants à la table ronde étaient Dagoberto Rodríguez et Thalía Fung, professeurs à l’Université de La Havane, ainsi que Mary-Alice Waters, une dirigeante du Parti socialiste des travailleurs aux États-Unis et présidente des éditions Pathfinder.
« Avec l’arrivée au pouvoir de Lénine et des bolcheviks, les événements en Russie ont eu de plus en plus d’influence aux États-Unis, » a dit Dagoberto Rodríguez dans sa présentation sur l’impact de la révolution aux US. Pour la toute première fois, il y avait « un gouvernement représentant les intérêts de la grande majorité de la population. »
Attirée par l’exemple bolchevique, l’aile gauche du Parti socialiste aux États-Unis a rompu avec la direction réformiste du parti, a dit Dagoberto Rodríguez, et a fondé le Parti communiste, qui a adhéré à l’Internationale communiste, une organisation mondiale de partis ouvriers révolutionnaires lancée en 1919 à l’initiative de la direction bolchevique.
Dagoberto Rodríguez s’est concentré sur la réaction des dirigeants capitalistes US, que la crainte de la propagation de l’exemple de la révolution a amenés à lancer une « chasse aux rouges, » à arrêter des milliers de travailleurs militants et d’en expulser plus de 500.
Deux grandes révolutions socialistes
Mary-Alice Waters a parlé de « Lénine, Fidel et le rôle de l’individu dans l’histoire. » Elle a attiré l’attention sur un message que Jack Barnes, secrétaire national du Parti socialiste des travailleurs, a envoyé à Raúl Castro, premier secrétaire du Parti communiste et président de Cuba, après la mort en novembre de Fidel Castro, dirigeant central de la révolution cubaine pendant six décennies.
« Il y a eu deux grandes révolutions socialistes au vingtième siècle, une en Russie, l’autre à Cuba, » a dit Jack Barnes dans son message. Sans la présence et la direction politique de Lénine et de Fidel aux moments décisifs, « il n’y a pas lieu de croire que l’une ou l’autre de ces deux révolutions aurait été victorieuse. »
La plus grande réussite de Fidel Castro, a écrit Jack Barnes, « a été de forger dans la lutte des cadres révolutionnaires, communistes, » qui ont conduit la classe ouvrière à Cuba, les travailleurs alliés et les jeunes attirés par leur direction, à prendre le pouvoir et défendre ce pouvoir pendant plus d’un demi-siècle.
Mary-Alice Waters a dit que Fidel, « comme Lénine et Che [Guevara], croyait dans la capacité d‘êtres humains ordinaires d’accomplir ce que d’autres croyaient impossible et, surtout, de se transformer eux-mêmes au cours de ce processus. »
Elle a fait remarquer que « la présence de Lénine sur les lignes de front du combat révolutionnaire, protégé par les travailleurs dans les quartiers prolétariens de Petrograd, a été nécessaire au succès de la révolution prolétarienne. Tel a aussi été le cas de la direction de Fidel dans les Sierras, protégé par les paysans et les travailleurs ruraux parmi lesquels l’armée rebelle a commencé à poser les bases du nouvel ordre social. »
Et, tout comme c’est Lénine qui a politiquement dirigé les dirigeants de la révolution russe, a dit Mary-Alice Waters, « c’est la ferme direction de la direction morale, politique et militaire » de Fidel qui a été décisive dans la révolution cubaine.
Mary-Alice Waters a mis l’accent sur son accord avec les remarques faites par Fidel Castro l’an passé quand il a dit qu’il ne s’écoulera pas un autre siècle « avant que survienne un événement comme la révolution russe. »
Thalía Fung a parlé de « Lénine et la révolution d’octobre. » Jeune avocate à Santiago de Cuba dans les années 1950, Thalía Fung a plaidé la cause de quelque 30 membres du Mouvement du 26 juillet capturés par la dictature Batista lors du soulèvement dans cette ville en novembre 1956. Pendant les deux années suivantes, elle a participé à d’autres activités révolutionnaires à Bayamo, Manzanillo et Guantánamo. Diplômée de l’université Lomonosov à Moscou, pendant de nombreuses années elle a été un personnage de premier plan de l’École de philosophie et d’histoire à l’Université de La Havane.
Thalía Fung s’est concentrée sur « le rôle de Lénine dans le domaine de la philosophie politique et des sciences politiques. » Tout en affirmant que « Rosa Luxembourg était plus marxiste que ne l’était Lénine, » elle a indiqué que les divergences entre Luxembourg et Lénine concernant le caractère de la classe ouvrière et de la paysannerie étaient des « questions d’histoire, » des divergences qui font partie des débats sur la stratégie révolutionnaire depuis le début du mouvement ouvrier international.
Ceux qui cherchent un changement social dans le monde, a dit Thalía Fung, doivent s’orienter vers « notre Sud. » Elle faisait référence aux courants politiques et aux gouvernements radicaux aujourd’hui au Venezuela, en Bolivie, Équateur et ailleurs en Amérique latine.
Un intervenant qui était invité pour parler sur l’impact de la révolution russe en Amérique latine a eu un empêchement de dernière minute et Isabel Monal a donc abordé ce thème en introduisant les autres présentateurs.
La révolution d’octobre : un phare
« Lénine a fait un grand effort pour répandre le marxisme et les idées communistes partout dans le monde, a dit Isabel Monal. Et la révolution d’octobre a été un phare pour toute l’Amérique latine, pour les mouvements populaires révolutionnaires qui ont balayé le continent dans les années 1920. »
Au cours de la discussion, Rubén Zardoya, un professeur à l’Université de La Havane qui travaille aussi au Centre pour les études de l’hémisphère et des États-Unis, a parlé de la direction politique de Lénine au cours des cinq premières années après la victoire de la révolution. Les travailleurs et les paysans ont pris le pouvoir en octobre 1917 dans un pays avec un niveau relativement bas de développement économique, a dit Rubén Zardoya. Lénine a tracé un cours pour élargir l’accès à la culture afin de renforcer les travailleurs et les agriculteurs dans la lutte pour transformer les rapports sociaux et économiques.
Rubén Zardoya a encouragé les participants à lire les discours et écrits de Lénine en 1922-23 concernant ces questions dans le livre Lenin’s Final Fight [le Dernier combat de Lénine], publié aux éditions Pathfinder. Il y a plusieurs années Zardoya, qui était alors le recteur de l’Université de La Havane, a invité des communistes des États-Unis et d’autres pays à présenter ce livre, ainsi que d’autres livres aux étudiants.
Martín Koppel, qui faisait partie d’un groupe de travailleurs communistes du Parti socialiste des travailleurs et d’autres pays qui ont tenu le stand de Pathfinder de façon bénévole à la Foire du livre, a parlé du moment décisif que représentait la révolution d’octobre pour le mouvement ouvrier aux États-Unis. Pendant ses premières années, le Parti communiste US a mené des grèves, des campagnes de défense et d’autres luttes ouvrières, a-t-il dit.
Martín Koppel a fait référence à The First Ten Years of American Communism [Les Dix premières années du communisme américain] de James P. Cannon, un des dirigeants fondateurs du Parti communiste et par la suite du Parti socialiste des travailleurs. James Cannon y explique les leçons décisives que le jeune PC a appris des dirigeants bolcheviques, y compris la nécessité pour le parti de se débarrasser de son existence clandestine et de se faire le champion des luttes des Américains africains contre la discrimination raciste et pour l’auto-détermination nationale. Après la conférence, plusieurs participants ont acheté des exemplaires de ce livre de Pathfinder ainsi que le livre Malcolm X, la libération des Noirs et la voie vers le pouvoir ouvrier de Jack Barnes, qui aborde aussi ces questions.
Il ne faut pas ignorer la lutte des classes
Dans ses remarques sur l’Amérique latine, Isabel Monal a fait référence aux développements politiques au Brésil, au Venezuela et dans d’autres pays dans les années récentes avec des gouvernements qui prétendent représenter les travailleurs.
« Une des grandes erreurs a été que dans certains pays, des mouvements qui dirigent ces processus ont jeté la lutte des classes par la fenêtre, a-t-elle dit. Comment pouvez-vous comprendre le monde si vous ne voyez pas les classes sociales et la lutte des classes ? Parfois vous devez passer des alliances avec des groupes réformistes sur des projets communs, mais vous ne pouvez pas avoir trop d’illusions à leur égard. » Le résultat est que peu de choses sont faites pour répondre aux besoins de la population ouvrière.
Isabel Monal a dit qu’elle était au Brésil quand de grandes manifestations ont été organisées pour réclamer des améliorations dans le système de santé et pour d’autres besoins urgents. Par la suite, le gouvernement s’est attribué le mérite de ces réformes, mais le peuple savait que ces mesures avaient été mises en oeuvre « parce qu’il est descendu dans la rue pour les réclamer. »
Aujourd’hui il y a une contre-offensive de la droite et de l’impérialisme contre ces gouvernements, a dit Isabel Monal. « Et personne ne devrait s’étonner qu’ils font des progrès […]. Quand la contre-offensive commence, les masses ne descendent pas dans la rue pour s’y opposer, parce que les gouvernements ont fait des promesses et auraient pu faire pas mal de choses mais ne les ont pas faites. »
Isabel Monal a rappelé qu’en tant que jeune femme pendant les premières années de la révolution cubaine, elle avait lu le récit de l’insurrection menée par les bolcheviks dans Dix jours qui ébranlèrent le monde. « Ce livre a eu un impact énorme sur moi, a-t-elle dit. Ce qui y est décrit « reste pertinent pour aujourd’hui. Et c’est particulièrement pertinent dans les conditions en Amérique latine aujourd’hui. »