WASHINGTON — « Notre jeune génération a besoin de réunions comme celle-ci. Nous avons besoin de connaître notre histoire. Nous avons besoin de connaître l’héritage de Thomas Sankara pour le défendre, » a dit Arouna Saniwidi, âgé de 35 ans, au Militant. Avec sept collègues de travail et amis burkinabès, il est parti de New York pour assister à la Sixième conférence Thomas Sankara, qui s’est tenue ici le 14 octobre.
Thomas Sankara a été le principal dirigeant de la révolution populaire de 1983-1987 au Burkina Faso. C’est le trentième anniversaire de son assassinat, qui a signifié la chute du gouvernement démocratique révolutionnaire qu’il a dirigé. La conférence annuelle rassemble des personnes de nombreux pays et d’un large éventail de milieux pour discuter et débattre de l’héritage de l’un des grands dirigeants révolutionnaires du vingtième siècle, qui est un exemple pour les travailleurs et les jeunes au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde.
Cinq des frères et sœurs de Thomas Sankara, Paul, Pascal et Pauline, qui vivent à Washington, ainsi que Colette et Florence, qui vivent au Burkina Faso, ont participé à la réunion. Plus de 100 personnes y ont assisté, dont de la moitié d’origine ouest africaine.
« La conférence sur Sankara est pour l’Afrique d’aujourd’hui, » a déclaré Gnaka Lagoke, principal organisateur et président de l’événement. Originaire de la Côte d’Ivoire, il est le fondateur du Forum de la renaissance du panafricanisme et professeur adjoint d’histoire et d’études panafricaines à l’université Lincoln en Pennsylvanie.
« Le mouvement populaire est dans la rue depuis des mois au Togo, pour mettre fin à la domination de la dynastie, » a-t-il ajouté en décrivant des manifestations antigouvernementales contre le président Faure Gnassingbé et les 50 ans de suprématie de sa famille. « Quelque chose de nouveau se passe en Afrique, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Sénégal. »
Un panel constitué de Brian Peterson, professeur adjoint à l’Union College à New York ; Faye Joomay, coordinatrice adjointe du Mouvement fédéraliste panafricaniste ; Sean Blackmon, de la Coalition ANSWER ; Selome Gerima, écrivaine et cinéaste d’origine éthiopienne ; et Mary-Alice Waters, dirigeante du Parti socialiste des travailleurs (SWP) et présidente des éditions Pathfinder, a animé un débat intitulé « Le panafricanisme aujourd’hui : un temps pour la coopération transcontinentale de l’Afrique du Sud à la Colombie. »
Le programme, qui comprenait également une performance de danse africaine, a commencé avec un court vidéo de Fernando González, président de l’Institut cubain d’amitié avec les peuples (ICAP), s’adressant aux délégués de la Cinquième Conférence continentale africaine en solidarité avec Cuba à Windhoek, en Namibie, en juin.
Fernando González est l’un des cinq révolutionnaires cubains qui ont passé près de 16 ans dans des prisons américaines, faussement accusés par Washington de complot en vue de commettre des actes d’espionnage.
« Cette semaine, nous célébrons aussi la vie et l’héritage d’Ernesto Che Guevara, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort au combat en Bolivie sous les ordres de la CIA, » a indiqué Omari Musa, du Parti Socialiste des travailleurs de Washington, D.C. « Sankara et Guevara ont tous deux cherché à organiser les « damnés de la terre » pour se soulever contre l’impérialisme, prendre le pouvoir entre leurs mains et forger leur propre destin. »
La plupart des orateurs ont mis l’accent sur les caractéristiques personnelles de Thomas Sankara et sur son rôle à titre de personnalité politique en Afrique.
« Appeler Sankara le « Che africain, » c’est le détacher de son contexte, » a affirmé Brian Peterson, en réponse à Omari Musa et par allusion à une étiquette que plusieurs ont attribuée à Thomas Sankara. « Sankara était essentiellement non violent. Il a tenté de transformer la société pacifiquement. Il a expliqué aux Nations unies que le but de la révolution était d’assurer deux repas par jour et de l’eau potable pour chaque Burkinabè. Bien sûr, nous savons que Che a lutté pour la révolution internationalement. Les jeunes Africains étaient attirés par Sankara, parce qu’il était un dirigeant africain. »
Pendant sa jeunesse au Sénégal en 1985, Faye Joomay a raconté qu’il est allé au Burkina Faso pour apprendre de Thomas Sankara. « Sankara a démontré ce qui est possible par son exemple, et la chasse aux sorcières contre ses partisans après sa mort prouve que ses idées avaient pris racine, a-t-il souligné. Nous sommes devenus panafricains et nous utilisons ses idées aujourd’hui lorsque nous faisons campagne pour l’unité et la souveraineté des États africains. »
« Aujourd’hui, nous assistons à une recrudescence de luttes pour l’autodétermination qui tentent l’expérience de la démocratie radicale dans tout le monde africain, des mouvements coopératifs à Jackson, au Mississippi, à l’Afrique du Sud avec ses Combattants pour la liberté économique (EFF), » a indiqué Sean Blackmon de ANSWER. « Nous voyons l’influence de Sankara dans l’opposition des EFF au sexisme, à l’homophobie et à toutes les autres idéologies oppressives. »
Selome Gerima s’est inspirée du journal intime qu’elle a écrit lorsqu’elle vivait au Burkina Faso de 1984 à 1989. « Le président Sankara était sensible, amical, a-t-elle dit. Il vivait modestement. Il se déplaçait à vélo, faisait ses propres emplettes, passait prendre ses enfants à l’école. » Elle a conclu ses propos en demandant : « Qui a tué notre frère Sankara ? Est-ce Compaoré ou est-ce l’ennemi de l’Afrique, l’impérialisme, qui l’a utilisé comme outil ? »
Mary-Alice Waters, qui a rédigé les préfaces au livre Thomas Sankara parle et à deux autres recueils de ses discours, les seuls endroits où sont publiées ses contributions politiques, a expliqué que Thomas Sankara était un marxiste, un communiste et un internationaliste qui avait confiance dans les capacités révolutionnaires des hommes et des femmes ordinaires.
« Sankara s’est démarqué de plusieurs générations de dirigeants révolutionnaires en Afrique en refusant de rejeter le marxisme sous prétexte que c’est une « idée européenne, » étrangère aux peuples d’Afrique et à leurs luttes, a-t-elle précisé. Il est arrivé à cette conclusion à partir de ses propres expériences et des luttes de son peuple. Il savait que le communisme n’est pas une « idée », mais bien une ligne de marche de la classe ouvrière vers la conquête de son émancipation.
« Une des mesures de la stature de Thomas Sankara est l’importance qu’il accordait aux luttes des femmes, a-t-elle poursuivi. Les femmes et les hommes sont victimes de l’oppression impérialiste et de l’exploitation capitaliste. La révolution et la libération des femmes vont de pair.
« Et bien sûr, Thomas Sankara était un internationaliste. C’est la base sur laquelle il a poussé les travailleurs du Burkina Faso à se joindre à la lutte pour renverser le régime de l’apartheid en Afrique du Sud et s’identifier aux batailles livrées par les peuples de l’Angola, de la Namibie, du Sahara occidental, de la Palestine, du Nicaragua, de la Grenade et des États-Unis.
« Il s’identifiait par-dessus tout à la révolution cubaine, a-t-elle dit, parce qu’elle offre un exemple de ce que les travailleurs peuvent accomplir lorsqu’ils prennent le pouvoir entre leurs mains. »
En remerciant les participants d’être venus, Paul Sankara a souligné l’importance des mobilisations populaires au Burkina Faso, qui ont forcé le président Blaise Compaoré a quitté le pouvoir en 2014. Il a signalé que « Thomas Sankara a dit que même si vous me tuez, des milliers de Sankara renaîtront. » Blaise Compaoré a dirigé les forces contre-révolutionnaires qui ont assassiné Thomas Sankara en 1987.
La réunion était parrainée par le Africa World Now Project, le All-African People Revolutionary Party, la coalition ANSWER, la Black Alliance for Peace, les Amis du Congo, le Institute for Policy Studies, la Pan-African Community Action, le Party for Socialism and Liberation, le Revival of Panafricanism Forum et le Parti socialiste des travailleurs.