VANCOUVER, Colombie-Britannique — Renégociations contentieuses de l’Accord de libre-échange nord-américain entre Ottawa et Washington, ainsi que Mexico ; différends commerciaux concernant les exportations et les tarifs de bois d’œuvre résineux ; contestation par Washington des quotas laitiers canadiens ; menace d’imposition d’une taxe gouvernementale de 300 pour cent par les États-Unis sur les avions de série C de Bombardier, tout cela reflète la concurrence accrue entre les patrons au milieu de la crise mondiale de production et de commerce capitalistes.
De plus, les patrons à Washington et Ottawa comptent sur les pertes d’emplois et la propagande nationale pour attirer les travailleurs derrière leurs campagnes concurrentes afin de protéger
« notre économie. »
« Nous nous battons très fort à la table de négociation de l’ALENA pour les intérêts de tous les travailleurs canadiens et pour les emplois canadiens, » a soutenu la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, le 2 octobre.
Des deux côtés de la frontière, les dirigeants syndicaux reprennent ces arguments et exhortent les membres des syndicats à compter sur leurs gouvernements pour « sauver nos emplois » au détriment des travailleurs d’ailleurs.
Les Métallurgistes unis organisent quelque 40 000 travailleurs de l’industrie forestière au Canada. Lorsque le gouvernement américain a annoncé des droits de douane élevés sur les importations canadiennes de bois d’œuvre, utilisé dans la construction résidentielle, le président des Métallos en Amérique du Nord, Leo Gerard, a déclaré qu’il s’agissait d’une « attaque directe contre notre industrie canadienne. »
Aux États-Unis, le site Web du même syndicat critique l’ALENA, en disant : « Ces accords facilitent la perte d’emplois américains bien rémunérés. »
Les officiers syndicaux des États-Unis et du Canada s’en prennent aux travailleurs mexicains. Jerry Dias, président du syndicat UNIFOR, a dénoncé « le Mexique et des emplois à 3 $ l’ heure » lors de la récente grève des travailleurs de l’automobile contre GM Cami en Ontario. Il a déclaré au Globe and Mail : « Nous devons vraiment isoler le Mexique des investissements futurs. »
Mais un tel « nous » n’existe pas. Il y a deux classes rivales, les travailleurs et les patrons, avec des intérêts diamétralement opposés. La stratégie des officiers syndicaux est un piège mortel.
Il n’y a rien de tel qu’un « emploi canadien » ou un « emploi américain. » Sous le capitalisme, les patrons établissent des barrières protectionnistes contre leurs concurrents à l’étranger ou permettent au commerce de circuler librement à travers les frontières pour protéger marchés et profits. Pour la même raison, ils nous licencient, abaissent les salaires et cherchent à détruire nos syndicats.
Les partisans et les adversaires du pacte commercial des deux côtés de la frontière cherchent à opposer les travailleurs d’ici aux travailleurs à l’étranger « qui volent nos emplois. » Les patrons cherchent à briser la solidarité humaine pour faciliter leurs attaques contre le niveau de vie et les droits démocratiques de tous les travailleurs.
L’ALENA est un bloc commercial protectionniste nord-américain contre les puissances impérialistes concurrentes comme celles de l’Union européenne et du Japon. Il réglemente également le commerce entre le Canada, les États-Unis et le Mexique de manière à permettre aux puissances du Nord de profiter de l’exploitation des travailleurs du Mexique. Les travailleurs au Canada et aux États-Unis devraient soutenir les travailleurs mexicains contre le pillage impérial.
Batailles tarifaires sur le bois d’œuvre
Soixante-neuf pour cent de tous les produits de la foresterie et de l’industrie du bois au Canada sont exportés aux États-Unis. Lorsque le marché immobilier américain s’est effondré en 2007, les profits des patrons de l’industrie du bois des deux côtés de la frontière ont encaissé un dur coup. Les mises en chantier aux États-Unis continuent leur déclin historique jusqu’à aujourd’hui.
Plus d’un tiers des emplois dans l’industrie forestière au Canada ont disparu et plus de 100 000 travailleurs ont perdu leur emploi. Les travailleurs américains font face à une dévastation similaire. Depuis 2005, près de 20 pour cent des scieries américaines ont fermé et plus de 300 000 travailleurs ont perdu leur emploi.
Sous ces pressions, Ottawa et Washington se sont affrontés dans des différends et négociations répétés sur les exportations de bois d’oeuvre. Dans le but de stopper le déclin de leurs profits, les patrons du bois d’oeuvre américains ont convaincu Washington le printemps dernier d’imposer des tarifs allant jusqu’à 31 pour cent sur les importations canadiennes de bois d’oeuvre.
La compagnie Western Forest Products a dit que ces tarifs ont joué un rôle dans sa décision de fermer la scierie de Port Alberni sur l’île de Vancouver en juillet.
Les tarifs ont fait grimper le prix du bois et les patrons de construction américains qui ont été obligés de payer plus cher pour les matériaux de construction ont crié au meurtre. À la fin d’août, la plupart des tarifs ont été temporairement levés alors que les négociations entre Ottawa et Washington se poursuivent.
Pour relancer leurs profits en baisse, les patrons se sont également tournés vers l’accélération des cadences, avec des conséquences mortelles pour les travailleurs. L’industrie forestière de la Colombie-Britannique demeure l’un des endroits les plus dangereux où travailler. En 2012, deux explosions dans des moulins de sciure de bois ont tué quatre travailleurs et en ont grièvement blessé plusieurs autres.
Témoignant à l’enquête sur l’une des explosions, Claude Briere, machiniste et mécanicien de chantier à l’usine, a déclaré à la revue Tyee que « les conditions ont « totalement changé » après que les quarts de travail ont été prolongés de huit à dix heures pour augmenter la production. »
La voie en avant pour les travailleurs
Moi et d’autres membres et sympathisants de la Ligue communiste avons visité ces derniers mois des travailleurs de scierie à leurs portes ou aux portes des scieries, pour discuter de la crise et leur présenter la Ligue, le Militant et les livres de dirigeants ouvriers révolutionnaires.
Randy Baust s’est arrêté pour me parler à la fin de son quart de travail à la scierie Interfor à Maple Ridge, dans le Lower Mainland en Colombie-Britannique le 18 octobre. Travailleur de scierie depuis 1976, il est le secrétaire de la section locale du syndicat des Métallos. Randy Baust m’a informé que six scieries de la région immédiate avaient fermé.
Pour lutter contre la dévastation, j’ai dit que nous devons commencer par voir que nos alliés ne sont pas les patrons canadiens, mais les travailleurs aux États-Unis qui reçoivent le même traitement que nous, parfois des mêmes patrons.
Regardons la réaction cynique de la classe dirigeante à la dévastation suite aux ouragans au Texas et en Floride. L’économiste de la Banque Scotia, Brett House, a dit aux médias que les tempêtes sont « un incitatif » pour une entente sur le bois d’œuvre ! Et ce, alors que les travailleurs dans les Caraïbes, la Floride, le Texas et la Californie ont un besoin urgent de matériaux de construction.
Nos syndicats aux États-Unis comme au Canada devraient exiger que Washington et Ottawa accordent une aide inconditionnelle à ceux dans les Caraïbes qui sont frappés par les tempêtes. Et les syndicats devraient exiger que les deux gouvernements financent les programmes d’urgence pour nous mettre au travail afin de répondre aux besoins de construction de tous ceux qui sont dévastés en Amérique du Nord. Cela ouvrirait la voie à la construction d’un mouvement syndical combatif dans l’intérêt des travailleurs au-delà de toutes les frontières.
Notre réponse aux salaires de 3 $ l’heure des travailleurs mexicains doit être de tendre la main de la solidarité dans une lutte commune pour augmenter leur salaire, et non pas de nous unir avec nos patrons dans une tentative futile de leur refuser des emplois. Avec toute autre stratégie, nous perdons notre âme.
Michel Prairie à Montréal a contribué à cet article.