SOTCHI, Russie — Le dix-neuvième Festival de la jeunesse et des étudiants, qui s’est déroulé au parc Olympique ici du 15 au 21 octobre, a été organisé par le gouvernement de Russie dans le but de gagner la jeunesse dans ce pays et dans le monde entier à l’idée que Moscou est une force progressiste au sein de la politique mondiale, une puissance mondiale qui repousse l’hégémonie de Washington.
La Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD) a accepté il y a deux ans une proposition du gouvernement russe d’accueillir le festival dans la perspective d’organiser des activités autour d’une série de questions politiques semblables à celles des précédents festivals de la jeunesse, plus récemment en Équateur en 2013 et en Afrique du Sud en 2010.
Cependant, les activités organisées par le gouvernement qui était l’hôte du festival de cette année l’ont dominé de manière nettement plus importante que lors des festivals des dernières décennies. Ces activités faisaient la promotion des intérêts économiques, politiques et culturels du gouvernement russe. Elles comprenaient également des compétitions sportives et des programmes artistiques, des séminaires universitaires et scientifiques, un festival du film et de nombreuses salles d’exposition. Les cérémonies d’ouverture et de clôture ont souligné les festivals tenus en Russie en 1957 et 1985, que les partisans de Vladimir Poutine ont décrits comme étant une source de fierté nationale russe.
Les organisateurs ont rapporté que 30 000 personnes en provenance de 185 pays ont participé au festival. Ce nombre inclut plus de 12 000 délégués de la Russie, ainsi que 5 000 bénévoles pour faciliter l’événement. Des milliers d’autres personnes sont venues de pays et territoires qui entourent la Russie et qui font partie du « voisinage » de Moscou ou faisaient partie de délégations venant d’Afrique, d’Asie, des Amériques et d’Europe.
Les organisations membres de la FMJD ont aussi amené quelques milliers de délégués. Un grand nombre d’entre eux ont organisé et participé chaque jour à une douzaine de sessions parallèles, avec des discussions sur la révolution cubaine, sur la solidarité avec les luttes anticoloniales à Porto Rico et au Sahara occidental et sur d’autres sujets. Des délégués des Amériques ont créé une salle « Casa America » où ils ont organisé des forums de solidarité et des présentations sur des livres portant sur des dirigeants révolutionnaires comme Che Guevara et Fidel Castro.
Une vaste discussion
Moscou a utilisé l’événement pour améliorer sa position dans le monde, mais ce qui a été le plus frappant dans ce rassemblement, c’est l’ouverture et l’ampleur du débat et des discussions politiques auxquels il a donné lieu.
Des personnalités parmi les plus influentes de Moscou ont pris la parole et ont répondu aux questions lors de réunions auxquelles beaucoup ont assisté. Parmi elles figuraient le président Vladimir Poutine, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et Vladimir Jirinovski, chef du Parti libéral démocrate et vice-président de la Douma d’État, le parlement. Les participants, venus de Russie et d’ailleurs, ont pu défier ces intervenants sur des questions comme l’intervention militaire en Ukraine et la guerre civile en Syrie, un phénomène pour le moins inhabituel en Russie.
Au cours de discussions informelles, de nombreux délégués russes ont décrit comment ils sont touchés par la crise mondiale du capitalisme, tout comme des millions d’autres personnes ici. La plupart des délégués appuyaient le gouvernement de Poutine, mais un grand nombre d’entre eux ont affirmé qu’ils n’étaient pas d’accord avec diverses politiques et méthodes. « Nous avons des élections mais nous savons d’avance qui va gagner, » nous a dit un délégué russe qui reprenait un point de vue partagé par d’autres.
Les travailleurs et jeunes communistes ont observé une soif d’en apprendre davantage sur la vie et la politique aux États-Unis et un intérêt à discuter une perspective ouvrière pour faire face à la dévastation économique et aux guerres que le capitalisme génère.
Le gouvernement russe a organisé un programme de cinq jours sur « La politique mondiale, leurs intentions et comment protéger la paix internationale. » Le programme a commencé avec deux tables rondes auxquelles a participé le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
« Nous espérons que la tendance objective à la multipolarité s’accentuera, avec l’émergence de nouvelles puissances économiques et financières sur différents continents et la transformation de leur pouvoir en influence politique, a affirmé Sergueï Lavrov. La Russie deviendra sans aucun doute l’un des pôles.
« L’influence de la Russie s’est accrue, » a-t-il ajouté.
Les discussions et les débats ont porté sur les développements en Catalogne, en Ukraine ainsi qu’en Crimée, en Syrie, au Moyen-Orient et en Corée de même que sur les attaques brutales du gouvernement du Myanmar contre le peuple rohingya.
Les participants à cette table ronde et à d’autres semblables ont fait la promotion de forums économiques internationaux tels que l’Union eurasienne et l’Organisation de coopération de Shanghai pour servir de contrepoids à Washington et à l’Union européenne.
Le dirigeant du parti libéral-démocrate Vladimir Zhirinovsky a pris la parole dans deux activités portant sur la « Politique mondiale. » Connu dans le monde politique russe depuis les années 1990, Vladimir Zhirinovsky est un partisan xénophobe de l’utilisation de la puissance militaire de Moscou contre les peuples qui affirment leurs droits nationaux, de la Tchétchénie à l’Ukraine. Quelques participants ont dénoncé sa glorification de la monarchie tsariste qui a dirigé l’empire russe jusqu’en 1917. « Quand quitterez-vous le pouvoir ? » a demandé un autre participant.
Des délégués ont exprimé leur désaccord avec Vladimir Zhirinosvky sur l’intervention de Moscou en Ukraine. Il s’est défendu en déplorant le fait que Lénine et les bolcheviks « ont créé l’Ukraine. C’était dangereux et cela n’a rien donné de bon. » Il s’est également objecté à l’idée de permettre aux nations voisines de se dissocier volontairement de la Russie. Il a affirmé que la seule façon pour que l’humanité continue de travailler ensemble est « par la force et la violence. »
Une discussion a également eu lieu sur les droits des femmes et la destruction de l’environnement en Russie.
Capitalisme ou révolution socialiste ?
Les délégués ont aussi débattu la question de savoir si le capitalisme ou la révolution socialiste comme à Cuba est la voie en avant pour l’humanité.
« La solution consiste à stimuler la croissance économique. Cela créera des emplois, » a fait valoir Xu Beining de la Chine, en s’exprimant au sujet du chômage au cours d’une table ronde organisée par le FMJD. « En Chine, une solide croissance a permis de stabiliser le niveau d’emploi depuis les 40 dernières années. »
« Le système capitaliste est en crise et la seule solution, c’est que les travailleurs construisent une direction capable de prendre le pouvoir, » a répondu Pierre-Luc Filion, un membre des Jeunes socialistes au Canada. « Les travailleurs produisent toute la richesse, mais ce n’est pas organisé dans nos intérêts. » Il a souligné que la révolution cubaine est un exemple vivant de la capacité des travailleurs d’organiser une société fondée sur les besoins humains.
« Aujourd’hui, Cuba est l’exemple. C’est un pays internationaliste, » nous a dit lors d’une discussion Artem Lepeshkin, un étudiant en histoire qui vit à Moscou et est membre du Comité pour l’amitié avec Cuba en Russie. « Ils ont été en mesure de faire face à la crise à la suite de l’effondrement du camp socialiste parce qu’ils l’ont fait à travers des organisations de masse comme les Comités de défense de la révolution et les organisations des femmes. Ils ont fait participer tout le monde. »
« Che Guevara a expliqué que la construction du socialisme est non seulement une question d’économie, mais bien une question de prise de conscience, » a soutenu l’écrivain cubain Iroel Sánchez lors du forum portant sur Che Guevara et la révolution cubaine. Cette conscience s’exprime à l’échelle internationale, a-t-il ajouté, avec l’engagement pris par la révolution que « nous ne donnons pas ce que nous avons en trop, nous partageons plutôt ce que nous possédons. »
Les débats et les discussions se sont prolongés aux tables de livres mises en place par les organisations de jeunesse de partout dans le monde à l’intérieur du vaste Centre des médias. Le centre était le lieu principal des conférences, où les participants aux activités du festival se rencontraient et discutaient. Les échanges se sont poursuivis jour et nuit dans les salles à manger et les dortoirs.
Aux tables mises en place par les délégués des Jeunes socialistes aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et en Nouvelle-Zélande, les participants ont acheté plus de 800 livres en anglais, espagnol, français, farsi, arabe et russe par V.I. Lénine, Fidel Castro, Léon Trotsky, Thomas Sankara, Nelson Mandela et autres révolutionnaires, notamment les dirigeants du Parti socialiste des travailleurs aux États-Unis.
La délégation cubaine comprenait plus de 200 personnes. Elle a présenté une vaste exposition de livres et autres articles à vendre.
Les salles du Centre des médias étaient également bordées de stands faisant la promotion des banques russes ainsi que d’autres entreprises et mettant de l’avant les tout derniers gadgets robotiques et publicitaires. Les hôtes du festival russe ont offert à chaque délégué un téléphone intelligent muni d’un numéro de téléphone russe.