SHERBROOKE, Québec — Les patrons du rail et le gouvernement fédéral ont subi une cuisante défaite dans leur coup monté contre le conducteur de train, Tom Harding, et le contrôleur de trafic ferroviaire, Richard Labrie, membres tous les deux de la section locale 1976 des Métallurgistes unis, et contre le petit chef de l’ancienne compagnie de chemin de fer Montreal, Maine and Atlantic, Jean Demaître. Le procès de trois mois et demi a pris fin ici le 19 janvier. Le jury de 12 membres a acquitté les trois anciens salariés sur toutes les charges d’accusation issues du déraillement et de l’explosion en juillet 2013 d’un train hors contrôle de 72 wagons transportant du pétrole à Lac-Mégantic au Québec.
Tom Harding, la cible principale du coup monté, a aussi été acquitté sur deux charges mineures. Le jury a annoncé le verdict à une salle d’audience comble au neuvième jour de ses délibérations.
« Je suis très content du verdict, » a dit aux médias devant le tribunal le travailleur retraité et résident de Lac-Mégantic Jean Clusiault. Sa fille Kathy, âgée de 24 ans, est l’une des personnes tuées au Musi-Café près de la voie lorsque le train a déraillé et a explosé. « Ils ont traité ces gens d’une façon horrible, comme des assassins, » a-t-il dit, en se référant aux trois hommes victimes du coup monté. « Ils ont brisé leurs vies. »
Beaucoup de personnes de Lac-Mégantic ont assisté au procès. Jean Clausiault y était à tous les jours. Quand des journalistes lui ont demandé qui, à son avis, était coupable, il a retiré un bout de papier froissé de sa poche et a entrepris de lire les noms d’une liste de hauts responsables de l’entreprise, en commençant avec le PDG Edward Burkhardt.
« C’est une victoire pour les travailleurs, » a dit au Militant Gilbert Carette, un ancien travailleur du département de maintenance des routes du Québec. « Cette tragédie, le résultat de la négligence de l’entreprise et de la dérégulation de l’industrie ferroviaire par le gouvernement, a été mise sur le dos de travailleurs innocents. »
Gilbert Carette milite aussi au sein de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire à Lac-Mégantic, qui se bat pour que le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec construisent une rocade du chemin de fer pour contourner la ville.
« La Coalition des citoyens, » a dit le porte-parole Robert Bellefleur dans un communiqué de presse publié après le verdict, « a toujours insisté que les trois salariés étaient des acteurs ordinaires dans un stratagème d’entreprise planifié par des hauts échelons afin d’assurer un bénéfice maximal aux grands responsables de la société et aux actionnaires des entreprises de pétrole et du rail impliquées. »
Le coup monté du gouvernement échoue
Le coup monté par les patrons du rail et le procureur a centré sur l’affirmation que Tom Harding était criminellement négligent et qu’il a démontré un « mépris flagrant » pour la vie humaine en ne mettant pas en place un nombre « suffisant » de freins à main et en ne les testant pas quand il a garé le train pour la nuit. Il constituait à lui seul « l’équipe » du train. Les patrons avaient obtenu une dérogation spéciale du gouvernement pour opérer avec une équipe d’une seule personne afin de réduire les coûts.
Richard Labrie et Jean Demaître ont été accusés de négligence criminelle pour n’avoir soi-disant pas fait assez pour empêcher Tom Harding de causer le désastre.
Conformément aux procédures de la compagnie, Tom Harding avait maintenu le moteur principal en marche au moment de laisser le train pendant la nuit afin de maintenir engagés les freins pneumatiques et, tout en enclenchant les freins à main, éviter que le train avance. Pendant la nuit, les pompiers ont, sans le savoir, désarmés les freins pneumatiques de la locomotive quand ils ont coupé le moteur afin d’éteindre un feu causé par des pratiques de maintenance ne répondant pas aux standards. Sans freins pneumatiques le train a dévalé une pente de 11 km vers le centre de Lac-Mégantic puis déraillé.
Charles Shearson, un des avocats de Tom Harding, a mis en pièce les affirmations de l’accusation selon lesquelles Harding n’aurait pas réussi à sécuriser le train. Il a repris toute la séquence des événements et montré qu’il avait suivi les instructions opérationnelles de la MMA et sécurisé le train.
Charles Shearson a aussi mis l’accent sur les conditions dangereuses dans lesquelles Tom Harding a été contraint de travailler, conditions se résumant à une « équipe » d’une personne.
Le jury a tranché en faveur des accusés même lorsque le juge Gaétan Dumas a refusé de leur communiquer un document clé contredisant les accusations du coup monté : le rapport officiel sur les causes du désastre, établi par le Bureau de la sécurité des transports. Ce rapport établit que 18 différents facteurs sont intervenus, dont beaucoup découlaient directement des négligences des patrons des chemins de fer en matière de sécurité. Il a aussi établi qu’aucune personne individuellement ne peut être blâmée. « Notre stratégie consistait à réintroduire les conclusions du rapport par la porte de service, » a indiqué au Militant Thomas Walsh, un autre avocat de Tom Harding.
Les travailleurs saluent le verdict
Le syndicat des Teamsters qui organise la majorité des travailleurs du fret ferroviaire au Canada, ainsi que les Métallurgistes unis, qui organise les travailleurs de la compagnie Montreal, Maine and Atlantic, ont publié une déclaration célébrant la victoire.
« Ce verdict était bon, » a dit au Militant Chris Yeandel, un conducteur de train pour le Canadien Pacifique, président de la section 689 des mécaniciens de locomotive du syndicat des Teamsters. « J’en sais quelque chose. Je conduis un train. Je ne définis pas la politique de la compagnie. Je ne peux pas être tenu responsable de tout ce qui se passe ici à cause de décisions prises pas d’autres. »
Une audience au tribunal se tiendra à Lac-Mégantic le 5 février prochain pour traiter des amendes réglementaires visant encore Harding, Labrie et Demaître, de même que quelques responsables de la compagnie. Ces amendes ont été infligées par Transports Canada, en conformité avec deux lois fédérales, la loi fédérale de sécurité dans les chemins de fer et la loi sur les pêches.
La plupart des travailleurs pensent que le jury a pris la bonne décision. « À Lac-Mégantic, peu de gens n’attendaient ni ne voulaient une condamnation, » titrait le Montreal Gazette dans un article commentant la décision.
« Les résidents de Lac-Mégantic disent que c’est au patron des chemins de fer, Ed Burkhardt qu’il faut passer les menottes, écrit le National Post. Il n’a jamais été inculpé alors que la compagnie de chemins de fer est pareillement accusée de négligences criminelles. Aucune date n’a encore été fixée pour le procès. Mais même si elle était condamnée, la seule peine pour une compagnie est une amende, qui ne sera d’ailleurs jamais payée puisque la MMA a fait faillite. »