L’article qui suit corrige les articles du Militant sur les premières semaines des grandes protestations ouvrières qui ont commencé à Machhad en Iran, le 28 décembre, et qui se sont étendues sur quelque 90 villes et villages dans tout le pays au début du mois de janvier. L’article se base sur des rapports de Jack Barnes, secrétaire national du Parti socialiste des travailleurs (SWP), discutés et adoptés par le Comité national du parti.
Le Militant, faisant écho aux articles et reportages des médias bourgeois, a présenté ces actions de manière inexacte comme si elles étaient en grande partie une réponse aux griefs économiques et à la réduction des subventions et des dépenses sociales de Téhéran. Ceci s’est reflété dans les manchettes des numéros du 15 janvier et du 22 janvier : « La crise économique à l’origine des manifestations dans les villes d’Iran » et « Le mécontentement de la classe ouvrière continue à se répandre en Iran. » Les articles subséquents se sont améliorés, mais l’absence d’une correction explicite prive les lecteurs des faits et de l’analyse dont ils ont besoin pour comprendre les racines politiques de ces évènements et leur signification dans la lutte des classes en cours, les guerres au Moyen-Orient et dans le monde d’aujourd’hui.
Une crise politique secoue l’Iran, alors que le régime clérical bourgeois incite les travailleurs et les paysans de ce pays, ainsi que les travailleurs d’Afghanistan, du Pakistan, d’Irak, du Liban et d’ailleurs à s’engager dans un service militaire au Moyen-Orient. La bourgeoisie iranienne vise à accroître son pouvoir et son influence régionale par la force des armes, en étendant au-delà des frontières de l’Iran la contre-révolution politique que le clergé dirige depuis presque quatre décennies et qui a repoussé les travailleurs, les agriculteurs, les femmes et les nationalités opprimées qui ont réalisé la révolution iranienne historique de 1979.
Ce soulèvement était une révolution sociale profonde, moderne et populaire à la ville et à la campagne et non un jihad religieux comme le prétendent les médias bourgeois. La révolution s’est répercutée dans tout le Moyen-Orient et le monde.
Deux siècles d’expérience ont enseigné aux travailleurs politiquement conscients que ce qui alimente les révolutions populaires et la résistance des travailleurs face aux conséquences des révolutions vaincues, ce n’est pas surtout le « mécontentement économique. » Ce sont des questions sociales et politiques beaucoup plus profondes, telles que des questions de classe, de sexe, de secte et de race, qui poussent à l’action des dizaines et des centaines de milliers de travailleurs (et, aux moments décisifs, des millions). Ce sont par-dessus tout les inégalités et les injustices de classe et sociales découlant de l’exploitation et de l’oppression capitalistes qui érodent la légitimité morale des dirigeants et de leur État. Et rien ne propulse davantage la résistance que les aventures militaires et les guerres des classes privilégiées, alors que les rationalisations nationalistes et religieuses des dirigeants (perses et chiites, dans le cas de l’Iran) commencent à se dissoudre dans le sang.
« Nous avons été accusés de conspiration pour renverser le gouvernement par une révolution armée, » a écrit Farrell Dobbs dans Teamster Bureaucracy (Bureaucratie Teamster) à propos des accusations portées par Washington en juillet 1941 contre 29 dirigeants du Parti socialiste des travailleurs et de la section locale 544 du Congrès des organisations industrielles, le CIO. Le véritable objectif de ce coup monté, a-t-il écrit, était de saper la campagne politique menée par les Teamsters de Minneapolis pour organiser l’opposition ouvrière et syndicale aux objectifs impérialistes des dirigeants US durant la seconde guerre mondiale, mais « le mot « guerre » n’apparaît nulle part dans l’acte d’accusation fédéral […] parce qu’il aurait été impopulaire de nous persécuter en tant qu’opposants de la politique étrangère impérialiste à ce moment critique. »
Teamster Bureaucracy est le dernier de la série en quatre volumes de Farrell Dobbs sur la direction lutte de classes à Minneapolis, qui a transformé le mouvement ouvrier aux États-Unis pendant la Grande dépression. La première de couverture de la nouvelle édition de ce livre reproduit le titre du Militant de juin 1941 : « Pourquoi nous avons été condamnés : LE PARTI SOCIALISTE DES TRAVAILLEURS EST LE PARTI ANTI-GUERRE. »
Ce n’est pas seulement dans les pays impérialistes comme les États-Unis qu’une accélération de la militarisation et de la guerre devient à un moment donné essentielle pour les classes possédantes. Face à l’agitation croissante des travailleurs et des opprimés en Iran aujourd’hui, le seul moyen pour les dirigeants capitalistes d’essayer de défendre et de préserver leur régime contre-révolutionnaire dans leur propre pays est de continuer à étendre la réaction politique en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et au Kurdistan divisé. Le régime clérical bourgeois rationalise son cours sanglant en prétendant rectifier l’oppression historique des chiites en Irak et à travers le monde arabe, une oppression reflétant la politique de diviser pour régner qui a été manipulée et amplifiée par plus d’un siècle de domination impérialiste par la France, le Royaume-Uni et les États-Unis.
De la gauche à la droite du spectre de la politique bourgeoise aux États-Unis et dans le monde impérialiste, on présente cette contre-révolution politique en Iran comme si elle était la révolution de 1979 même ; révolution et contre-révolution se fondent comme si elles n’étaient qu’une même réalité. Ceux que les médias capitalistes soutiennent comme « les dirigeants de la révolution » sont en fait les dirigeants de la contre-révolution. C’est le miroir aux alouettes qui justifie les fausses prétentions de ces personnalités bourgeoises iraniennes et de leurs apologistes politiques.
Les femmes et la révolution en Iran
Un article paru dans le numéro du 4 février du New York Times, par exemple, était intitulé : « Voiles obligatoires ? La moitié des Iraniens disent « Non » à ce pilier de la révolution. » Thomas Erdbrink, le chef du bureau de Téhéran pour le « plus grand journal de référence » aux États-Unis, a fait état de la publication d’un sondage du gouvernement iranien qui démontre une opposition généralisée à « l’obligation des femmes à porter le voile, un symbole de la révolution iranienne » [les italiques sont de moi]. L’article décrit les protestations récentes en Iran contre l’obligation de se couvrir la tête et ajoute que la « loi concernant le foulard a été appliquée depuis la révolution islamique de 1979. »
Mais l’obligation de porter le hijab, un foulard couvrant les cheveux et le cou, n’est pas « un symbole de la révolution iranienne. » Au contraire.
Oui, la plupart des travailleurs et des jeunes qui ont fait la révolution de 1979 se sont opposés au décret royal imposé dans les années 1930 par le chah d’Iran, que les impérialistes ont appuyé au nom de la « modernisation » capitaliste, et qui refusait aux femmes le droit de décider comment s’habiller en public. Les flics du chah qui ont arraché les voiles de la tête et du visage des femmes étaient les mêmes qui traînaient les travailleurs et les jeunes dans les centres de torture et les prisons à travers l’Iran.
Mais en mars 1979, lorsque l’ayatollah Ruhollah Khomeiny a déclaré que les employées des ministères du gouvernement ne devaient pas aller travailler « nues » mais « vêtues selon les normes de l’islam, » des hommes et des femmes, étudiants, travailleurs ou autres, sont descendus dans la rue par dizaines de milliers à travers l’Iran. Ça a été la plus grande manifestation entourant la Journée internationale des femmes dans le monde cette année-là. Les manifestants ont repoussé les hardes de brutes et forcé Khomeiny à reculer.
De plus, le ministère du Travail du gouvernement a annoncé plus tard ce mois-là que les femmes dans les usines et autres lieux de travail avaient droit à l’égalité des droits au travail, y compris le droit de participer aux élections, aux conseils des travailleurs (les shoras) et d’occuper des postes officiels.
Ce n’est qu’au milieu de l’année 1983, alors que la contre-révolution consolidait son pouvoir, que le régime iranien a enfin réussi à imposer une loi qui empêche les femmes de « paraître en public sans hijab religieux. » Au cours des deux années suivantes, le gouvernement a lancé ses escouades spéciales « anti-vice » pour confronter les femmes dans les rues et les obliger à la stricte observance.
Les actes publics de défi contre cette loi depuis le mois de décembre, ainsi que la résistance à plus long terme à son application à laquelle le régime a fait face ces dernières années, sont une manifestation de la montée de la prise de conscience et des luttes croissantes contre les humiliations, les abus et la discrimination contre les femmes à travers le monde. Les revendications pour les droits des femmes, en paroles et en actes, loin d’être un cheval de bataille des femmes riches et de la classe moyenne en Iran (comme la presse bourgeoise les caricature souvent), étaient au centre des luttes de millions de personnes, y compris des travailleuses et travailleurs pendant la révolution de 1979. Elles font partie des conquêtes érodées de la révolution. Les récentes protestations de la classe ouvrière et d’autres qui suivront à l’avenir augmentent les possibilités de défendre ces gains et de les faire progresser.
Les guerres contre-révolutionnaires de Téhéran, son expansionnisme et ses politiques sociales réactionnaires ne cesseront qu’avec la fin du régime clérical contre-révolutionnaire bourgeois. Les divisions factionnelles au sein du gouvernement bourgeois et des couches dirigeantes créent un plus grand espace politique pour les travailleurs et les agriculteurs qui ont agi sur ces ouvertures à la fin du mois de décembre et au début du mois de janvier.
Faux « axe de résistance »
« Aujourd’hui, dans toute la région, l’Islam et la République islamique d’Iran sont plus grandes que jamais, » a soutenu le président Hassan Rouhani, figure dominante parmi les « réformistes » aujourd’hui, dans un discours prononcé en Iran en octobre 2017.
« Quelqu’un pourrait-il agir en Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du Nord et dans le golfe Persique sans tenir compte du point de vue de l’Iran ? » a-t-il demandé. La vérité, c’est que le « point de vue » de l’Iran n’est pas du tout la question ! Et Rouhani de poursuivre : « Ceci est dû à la conscience et à l’unité de la nation et à la vigilance du chef, » c’est-à-dire de l’ayatollah Ali Khamenei.
Le président Hassan Rouhani, qui a signé le pacte nucléaire en 2015 avec Washington (ainsi qu’avec Londres, Moscou, Paris, Pékin et Berlin), est le même président Rouhani qui a dirigé les opérations militaires en Irak, en Syrie, au Liban et ailleurs par les Qods (la « Légion étrangère » des Gardiens de la révolution islamique) et par d’autres milices chiites soutenues par Téhéran. En déployant des forces de ce que le régime clérical bourgeois de l’Iran appelle cyniquement « l’axe de résistance, » il a ouvert un couloir de puissance militaire, d’influence politique et d’exploitation économique jusqu’à la mer Méditerranée et à la frontière turque, ainsi qu’au Yémen et ailleurs au Moyen-Orient.
Le régime irakien est le premier gouvernement arabe à dominance chiite dans l’histoire, avec de grandes populations minoritaires sunnites arabes, kurdes, turques et autres non-chiites. La force militaire de Bagdad dépend de milices chiites organisées par les Gardiens de la révolution en Irak, ainsi que de combattants irakiens, iraniens, libanais, afghans et autres, parfois avec des officiers iraniens ou venant du Hezbollah.
Une situation similaire existe en Syrie, où des forces semblables ont profité du vide créé par l’effondrement de l’armée de Bachar al-Assad et, avec l’appui aérien, naval et jusqu’à un certain point terrestre de la Russie, ont sauvé ce régime tyrannique au prix horrible de plus de 10 millions de travailleurs syriens déplacés, tués ou mutilés.
Le Hezbollah, après avoir subi des coups de la part des forces israéliennes lors de la guerre de 2006, a renforcé sa position politique et militaire face aux forces bourgeoises sunnites et chrétiennes au Liban.
Les classes dirigeantes rivales dans toute la région savent que, malgré l’accord de 2015, Téhéran est sur le point de pouvoir produire des armes nucléaires et des systèmes de dissémination. De telles armes ne fourniraient cependant à l’Iran aucune défense contre les menaces militaires de l’impérialisme américain et d’autres puissances nucléaires, ni aucune réduction des sanctions inhumaines et inadmissibles que Washington et d’autres gouvernements impérialistes ont imposées au peuple iranien. Au contraire, les armes de destruction massive fourniraient à différents régimes de la région, dont le régime saoudien, un prétexte pour participer à la course aux armements nucléaires et, au gouvernement israélien, une excuse pour maintenir et renforcer son arsenal nucléaire.
Le Parti socialiste des travailleurs exige le désarmement nucléaire unilatéral immédiat de Washington. Nous appelons les huit autres régimes du monde qui disposent actuellement de ces armes catastrophiques à s’en débarrasser. Et nous nous opposons à leur développement et à leur déploiement par n’importe quel gouvernement. À cet égard, comme dans beaucoup d’autres, le SWP souligne l’exemple internationaliste prolétarien établi par les dirigeants de la révolution socialiste à Cuba. (Voir l’encadré à la suite de cet article.)
La contre-révolution prend racine
En 1980, des travailleurs et des petits agriculteurs se sont portés volontaires par centaines de milliers pour combattre les forces d’invasion du régime irakien de Saddam Hussein, que Washington, Paris et d’autres puissances impérialistes soutenaient, armaient et finançaient tacitement. Les travailleurs iraniens ont vu dans cette invasion une tentative de donner un coup de grâce à leur révolution. Leurs mobilisations ont donné brièvement un second souffle à la résistance populaire face à la contre-révolution qui se développait dans leur propre pays. Ces forces cléricales bourgeoises s’attaquaient aux droits politiques ; aux shoras (conseils) des travailleurs dans les usines, les raffineries et autres lieux de travail ; aux revendications des agriculteurs pour la terre ; aux droits des Kurdes et des autres nationalités opprimées ; et aux droits des femmes. Les membres du parti communiste en Iran à cette époque, le Parti socialiste des travailleurs (HKS), rebaptisé plus tard le Parti de l’unité des travailleurs (HVK), étaient au cœur de la lutte de classe révolutionnaire. Ils étaient des travailleurs dans des usines, des raffineries et d’autres lieux de travail industriels, ainsi que des soldats volontaires qui combattaient l’invasion irakienne. Beaucoup de cadres et de dirigeants de ce parti avaient été recrutés et formés par le Parti socialiste des travailleurs aux États-Unis, alors qu’ils étudiaient ou travaillaient ici pendant le règne tyrannique du shah. D’autres travailleurs, soldats et étudiants ont été gagnés au parti en Iran pendant les premières années de la révolution.
Le HVK préconisait « l’extension et l’unification des shoras d’usines […] ; la distribution des terres sous le contrôle des shoras de paysans […] ; le droit à l’autodétermination [et] à l’autonomie » des Kurdes et des autres nationalités opprimées ; et l’égalité des droits pour les femmes, y compris le « droit au travail et à un salaire égal pour un travail égal, » « des
garderies » et « contre l’obligation de porter le voile et toute autre forme de discrimination et d’humiliation des femmes. » Le HVK exigeait la pleine liberté politique et la libération de « tous les prisonniers politiques anti-impérialistes et ouvriers. » Il appelait à « l’extension et à l’unification des shoras de travailleurs, de paysans, de soldats et des Pasdaran (Gardiens de la révolution). Pour un gouvernement ouvrier et paysan. »
Aux États-Unis et dans le monde entier, ce n’est que dans les pages du Militant (et de son magazine d’information internationale, Intercontinental Press) que les travailleurs pouvaient trouver des reportages en direct précis sur la révolution iranienne et sur les efforts des travailleurs et des opprimés pour la défendre et la faire progresser face aux assauts de l’impérialisme US, des régimes hostiles de la région et des forces bourgeoises en Iran même. Les membres des branches et des fractions syndicales du Parti socialiste des travailleurs aux États-Unis ont fait connaître la vérité sur la révolution et sur nos efforts pour la défendre à nos compagnons de travail dans les usines, les mines et autres lieux de travail, ainsi que dans la rue.
Au début des années 1980, cependant, la bourgeoisie et la République islamique consolidaient l’emprise de la contre-révolution des dirigeants en Iran en faisant usage d’une répression de plus en plus brutale pour freiner et vaincre les luttes des travailleurs et des opprimés.
Après que les forces militaires iraniennes ont repoussé l’armée d’invasion de Saddam Hussein au-delà de la frontière, au milieu de l’année 1982, Téhéran a envoyé ses propres troupes en Irak en grand nombre. Quel qu’ait été l’objectif défensif initial que cette initiative cherchait à atteindre, le régime de Téhéran a envoyé, au cours des années qui ont suivi, des vagues successives d’adolescents et de jeunes travailleurs iraniens à des massacres inutiles alors qu’il attaquait des centres de population en Irak. Pendant la même période, les dirigeants bourgeois sunnites à Bagdad menaient des attaques au gaz toxique et réalisaient d’autres atrocités contre les Kurdes (la campagne meurtrière « Anfal » commandée par le cousin de Saddam surnommé « Ali le chimique ») et contre la population majoritaire chiite à l’intérieur des frontières de l’Irak.
À la fin de 1982, une montée de terreur brutale avec l’appui officiel du gouvernement a mis fin à la possibilité pour les communistes d’exercer une activité politique en Iran. Mais les leçons du cours internationaliste prolétarien et de la continuité ininterrompue de ce parti communiste existent cependant pour être étudiées par de nouvelles générations et être mises en pratique quand les conditions le permettront. On peut en trouver un bon aperçu dans le numéro quatre de Nouvelle Internationale, qui comprend aussi « Les premières salves de la troisième guerre mondiale, » par Jack Barnes, et « Le communisme, la classe ouvrière et la lutte anti-impérialiste : les leçons de la guerre Iran-Irak, » deux textes précédés d’une introduction écrite par Samad Sharif.
Les travailleurs s’opposent aux guerres de Téhéran
Au cours des dernières années, la plupart des vétérans de la guerre Iran-Irak ainsi que leurs enfants et petits-enfants exhortent les jeunes hommes à ne pas se porter volontaires pour les opérations des Qods en Irak et en Syrie. C’est un frappant contraste avec les mobilisations volontaires des travailleurs iraniens pour le front en 1980. Les Gardiens de la révolution doivent maintenant faire appel à des incitations financières pour recruter et retenir les forces dont ils ont besoin pour ces guerres. La solde, pouvant aller jusqu’à 600 et même 700 dollars par mois, est bien au-dessus de la norme pour les travailleurs et les agriculteurs en Iran. On promet également la citoyenneté, pour eux-mêmes et leurs familles, à tous les réfugiés, dont les réfugiés afghans, qui s’enrôlent.
Le nombre croissant de morts et de mutilés au cours de la dernière décennie représente cependant un coût humain qui dépasse largement ce qu’on peut mesurer en rials iraniens. Le carnage frappe les classes de façon disproportionnée, une disproportion bouleversante qui touche non pas les quartiers universitaires ou ceux des professionnels et de la classe moyenne, mais les quartiers ouvriers des grandes et petites villes et des régions rurales à travers l’Iran. C’est là que les manifestations de décembre et de janvier étaient centrées, contrairement aux mobilisations de 2009, qui dénonçaient les résultats de l’élection présidentielle récente.
Au début, le gouvernement bourgeois et les dirigeants iraniens ont peu parlé publiquement de leurs guerres en Irak, en Syrie et au Yémen, mais cela est devenu insoutenable à mesure qu’a augmenté le nombre des familles de travailleurs et d’agriculteurs qui recevaient des sacs mortuaires. Le régime a donc tenté par la suite d’encourager la construction de monuments et de mémoriaux pour les morts et les blessés dans les quartiers ouvriers et les petites villes, espérant utiliser les « martyrs » pour raviver le patriotisme et mobiliser un appui populaire pour leurs opérations militaires contre-révolutionnaires. Mais, comme l’ont montré les manifestations récentes, ces efforts de la classe dirigeante ont eu l’effet inverse.
C’est à la lumière de ces tensions de classe croissantes que les divisions au sein du gouvernement et des couches dirigeantes se sont approfondies au cours des dernières années, au point de briser d’anciens alignements de factions.
Ce n’est que depuis quelques années, par exemple, que le clerc chiite Hassan Rouhani a été vu ou s’est présenté comme un « réformiste ». À partir de 1989, l’ayatollah Khamenei l’a désigné pendant 16 ans comme son représentant au Conseil suprême de sécurité nationale iranien. Il est connu pour avoir mené la répression brutale des grandes manifestations des étudiants contre de nouvelles lois répressives sur la presse en 1999. C’est ainsi qu’après avoir directement participé à l’introduction de la législation de 1983 imposant des vêtements obligatoires il a aussi appuyé les autorités policières de Téhéran à la fin de l’année 2017 lorsqu’elles ont déclaré qu’elles n’arrêteraient plus les femmes pour « mauvais hijab » : « On ne peut pas imposer son style de vie aux générations futures, » a-t-il alors déclaré.
Ces divisions de la bourgeoisie iranienne ne sont pas esthétiques. Elles ne sont pas une mascarade de « flic dur/flic mou » pour tromper les gouvernements impérialistes et les régimes bourgeois rivaux de l’Iran dans la région. Elles sont réelles et volatiles, enracinées dans les relations sociales actuelles en Iran.
Lorsque le président Hassan Rouhani a rendu public pour la première fois le budget de la République islamique, en décembre 2017, il agissait à des fins politiques de faction contre des opposants bourgeois au sein de la direction des Gardiens de la révolution. C’est comme si, dans l’espoir de détourner de manière démagogique les critiques de son administration pour les réductions dans des subventions nécessaires, des paiements sociaux, des salaires et l’aide aux victimes des séismes, Hassan Rouhani avait dit : « Je ne contrôle même pas la plupart du budget du gouvernement. ».
Cependant, en rendant le budget public, Hassan Rouhani a fini par alimenter les manifestions, car le budget a révélé les énormes dépenses gouvernementales pour les institutions religieuses liées aux Gardiens de la révolution, qui jouent un rôle central dans le recrutement et l’organisation des milices qui combattent en Irak et en Syrie.
Entre-temps, il y a moins d’un an, Hassan Rouhani s’est vanté que le budget militaire de l’Iran avait plus que doublé depuis son élection en 2013. Ces dépenses de guerre devraient augmenter de 90 pour cent de plus cette année par rapport à 2017.
De plus, une fois que les manifestations ouvrières ont cessé au début de janvier, le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, a annoncé qu’il avait approuvé le transfert de 2,5 milliards de dollars supplémentaires du Fonds national de développement de la République islamique d’Iran vers le trésor de guerre iranien (qui s’élevait déjà à quelque 13 milliards de dollars en 2017). Ce fonds est censé réserver des revenus du pétrole et du gaz pour répondre aux besoins d’infrastructure et de bien-être.
Pourquoi ? Parce qu’aucune section de la bourgeoisie ou du gouvernement iranien n’a l’intention de se retirer des déploiements et des opérations militaires en Irak, en Syrie, au Liban ou au Yémen.
Traiter les travailleurs de « déchets »
Au début du mois de janvier, lorsqu’un clerc islamique bien connu a traité les manifestants de la classe ouvrière de « déchets » pendant les prières du vendredi à Téhéran, Hassan Rouhani l’a sévèrement réprimandé pour ces propos à la télévision d’État. « Nous ne pouvons pas appeler tous ceux qui descendent dans la rue de saleté, poussière, vache, mouton ou ordures, a soutenu Rouhani. Quelle manière de parler ? Pourquoi insultons-nous ? Pourquoi traitons-nous impoliment notre société ? »
Beaucoup de travailleurs, d’étudiants et de membres des classes moyennes en Iran ont bien accueilli la réponse publique de Hassan Rouhani. Il a ainsi renforcé sa position dans la hiérarchie des Gardiens de la révolution.
Le président agit également au nom de familles capitalistes influentes en exigeant que les Gardiens de la révolution se départissent de leurs actifs importants dans l’industrie de la construction, les compagnies pétrolières et gazières, les banques et les sociétés d’assurance, les télécommunications, ainsi que dans le marché noir florissant au pays.
Les travailleurs profitent de ces conflits entre factions dominantes du gouvernement pour ouvrir l’espace politique. Mais, d’autres courants orientés vers la bourgeoisie cherchent aussi à entrouvrir la porte. Déjà l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad, à qui le Guide suprême a interdit l’année dernière de se présenter de nouveau à la présidence et que Houssan Khamenei a blâmé pour les récentes manifestations, joue la carte du « mécontentement économique » en Iran. La base d’Ahmadinejad, distincte du courant « réformiste » de Hassan Rouhani ou des Gardiens de la révolution, se concentre dans la petite bourgeoisie et des couches de travailleurs dans les petites villes et les zones rurales où beaucoup de mobilisations récentes ont eu lieu.
Fin décembre et début janvier, la direction du parti stalinien Tudeh, interdit et sévèrement réprimé au plus fort de la contre-révolution dans les années 1980, a publié en exil trois déclarations centrées sur la « faillite économique » et la « corruption » du gouvernement. Les misleaders staliniens n’ont pas soulevé les guerres et les aventures militaires de Téhéran puisqu’ils partagent son soutien à Bachar al-Assad en Syrie, son opposition aux aspirations nationales kurdes et son nationalisme perse.
Conformément à leur orientation de Front populaire, qui est un cours pro-capitaliste, les dirigeants de Tudeh ont appelé les « forces progressistes et éprises de liberté […] à accroître leur présence dans les manifestations ; […] à éviter les slogans diviseurs ; […] à mener une lutte commune et organisée de toutes les couches sociales […] et à établir la domination du peuple, […] une république nationale, populaire et démocratique. » Bref, remplacer la République islamique par un autre gouvernement capitaliste basé sur les courants d’opposition, en Iran et en exil, au sein du corps des officiers (de l’armée permanente iranienne, pas des Gardiens de la révolution islamique), des familles possédantes et de leurs représentants politiques de la classe moyenne.
Changements en Arabie saoudite
Face au changement dans les rapports de force entre les classes dans la région du Golfe ces dernières années, une aile de plus en plus dominante des dirigeants capitalistes saoudiens (une bourgeoisie forgée au cours du siècle dernier par une famille tribale élargie) a reconnu qu’elle était en train de perdre la compétition face à Téhéran dans la région.
Une partie importante du régime saoudien, dirigée par le prince héritier Mohammed bin Salman, a donc décidé qu’il fallait renverser rapidement la vapeur sur plusieurs fronts … Et c’est ce qu’ils font ! Cela comprend :
• des efforts pour accélérer le développement industriel et commercial, au lieu de continuer de dépendre des rentes pétrolières ;
• des mesures pour endiguer les subventions accordées à la famille régnante élargie et privilégiée, qui freinent l’accumulation de capital ;
• des mesures pour mettre un terme à la déférence du régime (en réaction à l’assaut jihadiste de 1979 sur la Grande mosquée) envers la hiérarchie islamiste sunnite wahhabite en mettant au pas la « police religieuse, » en sécularisant les programmes scolaires et en assouplissant les normes sociales et culturelles oppressives pour les femmes dans l’emploi, la conduite automobile, les sports et les loisirs ; et
• réparer les contre-coups subis par le régime saoudien suite à sa collusion avec l’impérialisme US dans les années 1980 pour organiser, financer et former des escadrons islamistes militaires en Afghanistan, qui ont été un véritable échec pour Washington et Riyad avec les attentats terroristes du 11 septembre 2001.
Les dirigeants saoudiens essaient maintenant de faire avancer ce cours, avec le soutien ouvert de Washington et le soutien à peine voilé de la classe dirigeante et du gouvernement israéliens. Riyad a maintenant libéré la plupart des centaines de riches Saoudiens arrêtés en novembre 2017 après avoir conclu des « règlements » financiers avec eux, ce qui a permis au gouvernement d’économiser quelque 106 milliards de dollars pour ses projets de modernisation capitaliste. Le régime prévoit obtenir 100 milliards de dollars supplémentaires en 2018 en mettant en vente sur les marchés boursiers mondiaux cinq pour cent de la compagnie pétrolière et gazière saoudienne géante, Aramco.
Fin janvier, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est rendu en Russie pour informer le président Vladimir Poutine que le gouvernement israélien ne reculera pas et fera respecter sa détermination d’empêcher Téhéran d’établir une présence militaire permanente en Syrie ou de collaborer avec le Hezbollah pour que le Liban devienne une base pour fabriquer et lancer des missiles vers Israël. Les Forces de défense israéliennes rapportent qu’au cours des dernières années elles ont mené des attaques aériennes et lancé des missiles contre plus de 100 convois du Hezbollah et d’autres cibles en Syrie et qu’elles continueront à le faire chaque fois que les forces organisées par Téhéran seront déployées près des frontières israéliennes.
La voie en avant pour les travailleurs
Les derniers paragraphes de la déclaration du 11 décembre 2017 du Parti socialiste des travailleurs, « Pour la reconnaissance d’un État palestinien et d’Israël, » résument le cours programmatique et stratégique du SWP en réponse à la situation politique tumultueuse et changeante en Iran et dans la région du Golfe :
« En opposition à Washington, aux gouvernements bourgeois et aux organisations politiques à travers le Moyen-Orient et à la gauche issue des classes moyennes ici aux États-Unis, le Parti socialiste des travailleurs (SWP) a un point de départ différent : les intérêts de classe et la solidarité des travailleurs et des petits agriculteurs au Moyen-Orient, qu’ils soient palestiniens, juifs, arabes, kurdes, turcs, persans ou autres, et quelles que soient leurs croyances religieuses ou autres, et des travailleurs aux États-Unis et dans le monde.
« Nous sommes pour tout ce qui aide les travailleurs à s’organiser et à agir ensemble pour faire avancer nos revendications et nos luttes contre les gouvernements capitalistes et les classes dirigeantes qui nous exploitent et nous oppriment et contre leurs serviteurs politiques petits-bourgeois et leurs apologistes dans les médias.
« Nous sommes pour tout ce qui renouvelle notre solidarité de classe et notre confiance en nous et nous fait avancer sur la voie révolutionnaire vers une lutte unie pour le pouvoir ouvrier. »
Telle est la ligne d’action internationaliste prolétarienne, partie intégrante de notre programme communiste, que les membres et les partisans du SWP discutons avec les travailleurs quand nous faisons campagne de porte en porte dans nos quartiers, avec nos collègues de travail, nos amis et nos familles, et avec ceux auxquels nous nous joignons dans les protestations contre les politiques anti-ouvrières de Washington ici et à l’étranger.
Fidel : « Personne n’a le droit d’utiliser des armes nucléaires.
« Nous n’avons jamais envisagé l’idée de fabriquer des armes nucléaires, car nous n’en avons pas besoin, » a affirmé l’ancien président cubain Fidel Castro dans un entretien avec le journaliste espagnol Ignacio Ramonet publié en 2005 sous le titre Fidel Castro, Biographie à deux voix, aussi disponible en anglais et en espagnol. Fidel Castro y réfutait une calomnie du gouvernement US selon laquelle La Havane aidait Téhéran à développer un arsenal nucléaire.
« À quoi pourrait servir de produire une arme nucléaire quand votre ennemi en a des milliers ? disait Castro. Ce serait commencer de nouveau une course aux armements. Personne ne devrait avoir le droit de produire des armes nucléaires et encore moins le privilège exigé par l’impérialisme de s’arroger le droit d’imposer sa domination hégémonique » sur le monde.
Revenant dans cette interview sur le refus de Cuba de développer des armes de destruction massive, Fidel Castro a ajouté : « Contre qui allez-vous les utiliser ? Contre le peuple américain ? Non ! Ce serait injuste et absurde ! Allez-vous faire une arme nucléaire ? Vous allez vous ruiner : une arme nucléaire est un bon moyen de se suicider à un certain
moment. » Et « vous allez faire cela contre l’opinion publique mondiale. »
Plus d’une décennie plus tard, dans ses remarques au septième congrès du Parti communiste de Cuba en avril 2016, Fidel Castro a expliqué que « le plus grand danger qui plane aujourd’hui sur la terre vient du pouvoir destructeur de l’armement moderne qui pourrait compromettre la paix sur la planète et rendre la vie humaine sur la surface de la terre impossible. »
Fidel Castro a affirmé aux étudiants de l’Université de La Havane en novembre 2005 que, contrairement à ces horreurs, le peuple cubain et sa révolution socialiste « possèdent une arme aussi puissante que l’arme nucléaire. C’est l’immense justice pour laquelle nous luttons. »