Les protestations en Irak sapent les tentatives pour former un nouveau gouvernement

Les dirigeants des États-Unis, Moscou et Téhéran se battent pour protéger leurs intérêts

Terry Evans
le 1 octobre 2018

Suite aux protestations massives des travailleurs et de la population contre l’incapacité du gouvernement irakien à fournir les produits de première nécessité et l’impact de l’intervention militaire et des agressions contre la souveraineté de l’Irak par les dirigeants iraniens, les négociations pour établir une coalition gouvernementale entre Haider al-Abadi, premier ministre soutenu par les États-Unis, et Moqtada Sadr, dirigeant d’une milice chiite, ont échoué.

Le bloc Sairoon de Moqtada Sadr a obtenu le plus grand nombre de voix avec une plateforme politique qui incluait une opposition à l’intervention de Téhéran et de Washington dans ce pays. Mais il est actuellement en pourparlers pour former un gouvernement avec le commandant de la milice chiite Hadi al-Amiri, qui est étroitement lié aux dirigeants iraniens.

Aucun nouveau gouvernement n’a été formé depuis les élections de mai. D’importantes manifestations de la classe ouvrière à Bassorah ont exigé qu’Abadi mette fin à une visite dans cette ville le 10 septembre, en incriminant son administration pour les crises auxquelles les travailleurs sont confrontés. Depuis des semaines, les travailleurs du sud de l’Irak protestent contre les fréquentes coupures d’électricité qui surviennent pendant les fortes chaleurs de l’été dans cette région riche en pétrole ; le chômage persistant ; l’incapacité du gouvernement, depuis des mois, à fournir une eau potable saine, avec pour résultat de rendre malades des dizaines de milliers de personnes ; et les conséquences des ingérences militaires et politiques des dirigeants iraniens.

Les récentes manifestations à Bassorah ont visé le consulat iranien et le quartier général de l’Organisation Badr, le plus grand groupe armé chiite soutenu par Téhéran, qui est aussi la plus grande faction des forces de sécurité de l’État irakien. Les bureaux de trois milices différentes, toutes soutenues par le régime clérical iranien, ont été attaqués. Les manifestants portaient une banderole qui disait : « Non aux milices, nous piétinons vos milices. »

Les manifestants ont également incendié des bâtiments gouvernementaux dans la ville.

Ces développements interviennent à un moment où le Moyen-Orient se trouve à un tournant. L’État islamique a été brisé en tant que force majeure en Irak et en Syrie. Washington et Moscou, ainsi que les dirigeants capitalistes de la région, s’efforcent de trouver la meilleure façon de défendre leurs intérêts nationaux contradictoires dans la nouvelle situation. Les interventions de Moscou et de Téhéran, ainsi que du Hezbollah, allié libanais, ont permis à la dictature syrienne chancelante de Bachar al-Assad de reprendre le contrôle sur une grande partie du pays.

Pour Moscou, cela signifie plus de bases militaires permanentes et une influence croissante dans la région. Pour Téhéran, c’est une nouvelle étape dans l’extension de son influence contre-révolutionnaire jusqu’à la mer Méditerranée.

Les conflits croissants entre Téhéran et Washington et l’expansionnisme des dirigeants capitalistes iraniens ont engendré des affrontements croissants avec les dirigeants d’Israël. Le 15 septembre, sur l’aéroport de Damas, les missiles de Tel-Aviv ont touché une cargaison d’armes de Téhéran destinée au Hezbollah. Cette attaque était la dernière de dizaines d’attaques similaires cette année.

L’intervention des dirigeants iraniens pour pénétrer plus profondément au Moyen-Orient remontent à leurs efforts pour consolider une contre-révolution menée dans leur pays au début des années 1980 et briser la confiance en soi des travailleurs suite au renversement révolutionnaire du shah en 1979. Des millions de travailleurs et d’agriculteurs sont descendus dans les rues, ont occupé des champs de pétrole, ont formé des conseils de travailleurs et ont fait des gains au profit des femmes et des nationalités opprimées.

Les capitalistes iraniens ont cherché à mettre un terme à cette situation et à étendre à l’étranger les attaques qu’ils ont menées contre les travailleurs dans leur pays. Ils se sont battus pour établir un corridor de puissance militaire, d’influence politique et d’exploitation économique dans toute la région.

Attaques contre les Kurdes iraniens

Parallèlement à leur intervention en Syrie et en Irak, le gouvernement iranien a intensifié ses attaques dans son propre pays. Pendant la fin de semaine du 8 et 9 septembre, il a lancé un assaut contre les Kurdes iraniens basés juste en face de la frontière irakienne et exécuté six prisonniers politiques kurdes incarcérés depuis des années en Iran.

Les commerçants de plusieurs villes des régions kurdes d’Iran ont organisé une grève le 12 septembre pour s’opposer aux exécutions et aux frappes aériennes. Les Kurdes constituent une minorité nationale opprimée forte de 30 millions d’habitants en Irak, en Iran, en Syrie et en Turquie. Ils se battent depuis des décennies pour leurs droits nationaux.

Les événements qui se déroulent aujourd’hui en Irak découlent d’années d’intervention impérialiste à l’étranger, y compris les bombardements et l’invasion par Washington en 2003. Les dirigeants U.S. n’ont pas réussi à établir un régime capitaliste stable. Cela a conduit à une ouverture pour que les Kurdes s’organisent et obtiennent une certaine autonomie. Le faible gouvernement de Bagdad a été incapable d’organiser une résistance efficace à l’État islamique réactionnaire, qui a envahi certaines régions du pays en 2014 quand l’armée irakienne s’est enfuie.

Outre la puissance aérienne américaine, Bagdad a compté de plus en plus sur des combattants peshmergas du gouvernement régional du Kurdistan et sur les milices chiites organisées par Téhéran pour combattre et vaincre la brutale domination anti-ouvrière de l’État islamique. Des milliers d’Irakiens, dont de nombreux travailleurs, se sont joints aux milices et ont donné leur vie pour repousser avec succès la secte islamiste. Mais cela s’est fait par une nouvelle atteinte à la souveraineté irakienne, le renforcement de la présence prédatrice des dirigeants iraniens dans le pays et une augmentation de leur influence largement méprisée sur le gouvernement et l’État irakiens. Les milices soutenues par Téhéran sont soupçonnées d’être responsables de représailles brutales contre les musulmans sunnites et les Kurdes qui appuient l’indépendance.

Les forces gouvernementales irakiennes ont maintenant bloqué Bassorah. Elles ont déployé des troupes avec des véhicules lourdement blindés aux points de contrôle à travers la ville. « Nous allons suspendre les manifestations pour le moment pour épargner le sang et nous reviendrons, » a affirmé Naqeeb al-Luaibi au réseau Associated Press. « Nous n’abandonnerons pas tant que nos revendications ne seront pas satisfaites. »