Les « gilets jaunes » en France protestent contre le « président des riches »

Pamela Holmes
le 10 décembre 2018

PARIS — Dans la dernière d’une série de manifestations qui balaient la France, le 24 novembre plus de 100 000 personnes – appelées « gilets jaunes » car ils portent des gilets jaunes de sécurité – ont manifesté et organisé des barrages sur les routes à travers le pays. Les manifestations massives de travailleurs et de certains éléments des classes moyennes, en particulier dans les zones rurales et dans les banlieues ouvrières, protestent contre les « taxes vertes » du président Emmanuel Macron sur le carburant et les autres attaques du gouvernement contre leurs moyens de subsistance.

Ils sont indignés par le mépris de la classe dirigeante et de ses politiciens face aux défis de plus en plus importants auxquels ils sont confrontés au milieu de la crise économique, sociale et morale actuelle du capitalisme.

Le mouvement des « gilets jaunes » a commencé le 17 novembre avec des protestations de plus d’un quart de million de personnes qui ont bloqué la circulation routière dans plus de 2 000 endroits. Depuis cette date, deux personnes sont décédées, renversées par des conducteurs paniqués, et des centaines ont été blessées lors d’attaques de la police et d’autres personnes. À Paris le 24 novembre, des flics ont attaqué à plusieurs reprises, avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau, les manifestants qui tentaient de se rassembler près du palais présidentiel de l’Élysée.

Ces travailleurs non syndiqués, routiers, agriculteurs et petits commerçants, se surnomment parfois « les beaufs » sur un ton de défi. C’est une façon de reconnaître que la classe dirigeante et ses partisans méritocratiques des classes moyennes supérieures, concentrés à Paris, n’ont que du mépris pour ces « déplorables » provinciaux.

Les travailleurs appellent Macron – un ancien banquier d’affaires à la Banque Rothschild – le « président des riches. »

Le mouvement a été dénoncé comme populiste ou même fasciste par une bonne partie des médias libéraux et de la gauche stalinienne et social-démocrate de la politique bourgeoise, sous prétexte du soutien aux manifestations par le Rassemblement national de Marine Le Pen et d’un petit nombre de provocateurs d’extrême droite.

« Certains journalistes nous ont demandé de ramasser des pavés pour qu’ils puissent nous prendre en photo, mais nous avons refusé de le faire, » a dit au Militant Kevin, un infirmier stagiaire âgé de 30 ans. Il est venu à la manifestation de Château-Thierry dans la région vinicole de Champagne avec des amis. « Nous ne sommes pas venus pour casser mais pour nous faire entendre, » a dit Kevin.

« Les médias cherchent à nous présenter comme des casseurs et des partisans de l’extrême droite, mais la très grande majorité est venue comme nous pour manifester de façon pacifique et indépendamment des partis politiques, » a-t-il précisé.

Kevin explique qu’il fait environ 100 km de route tous les jours pour aller à son travail en banlieue parisienne.

« Macron n’écoute pas les gens ; il ne nous respecte pas, a dit Kevin. Le problème n’est pas seulement l’augmentation des taxes sur le carburant, c’est plus généralement un problème de pouvoir d’achat. Tous les prix augmentent, mais pas les salaires. » Un de ses amis à la manifestation, travailleur agricole, gagne 1 200 € (1 370 $US) par mois. « Vous ne pouvez pas vivre avec ça, » a dit son ami.

Les zones rurales ont été les plus durement touchées par l’essor du commerce électronique et des grandes chaînes de distribution. De nombreux villages qui étaient autrefois des centres de vie sociale et de petites entreprises se sont vidés. « Les syndicats et les partis politiques ne nous représentent pas, » nous a dit Kevin, ce que de nombreux manifestants ont également exprimé. « Nous voulons conserver notre indépendance. »

Après l’assaut des flics à Paris, Sandrine, au chômage, et Sedani, informaticien dans un lycée, ont parlé au Militant. Ils faisaient partie d’un bus de 56 personnes en provenance du Morbihan, en Bretagne. Sandrine et Sedani ont dit qu’ils étaient stupéfaits et scandalisés par la réaction brutale du gouvernement.

Au dos de son gilet, Sandrine avait écrit : « Nous voulons vivre et pas seulement survivre. »

Les mobilisations des travailleurs, des paysans et des petits commerçants, sans organisation ni direction centralisée, ont continué à exprimer leur colère face à une crise, surtout dans les campagnes, à laquelle les politiciens capitalistes de tous bords ont contribué et pour laquelle ils n’ont aucune solution.

La taxe sur le carburant équivaut à plus de 7 cents US le litre pour le diesel et un peu moins pour l’essence sans plomb. Cela s’ajoute aux 1,85 dollars US le litre pour le diesel en France, soit près du double du prix pratiqué aux États-Unis.

Macron a justifié ces augmentations profondément impopulaires en disant que c’était un moyen de dissuader les conducteurs d’utiliser des carburants qui émettent des gaz que les fonctionnaires du gouvernement et d’autres personnes tiennent pour responsables du changement climatique. Cela affecte principalement les travailleurs des régions périphériques qui doivent parcourir de longues distances pour se rendre au travail.

Les couches les plus privilégiées des professions libérales et de la classe moyenne supérieure dans les quartiers des centres villes, les plus farouches partisans des mesures « vertes », ne sont pour la plupart pas touchés.

Prenant la parole pour défendre ses mesures anti-ouvrières le 27 novembre, le président français a dénigré les gilets jaunes en les qualifiant de « voyous ». Il a poursuivi en disant que ces protestations sont l’expression du même « poison » qui a poussé les travailleurs du Royaume-Uni à voter pour le Brexit.

Les manifestations des gilets jaunes ont lieu après que des centaines de milliers de travailleurs des chemins de fer et d’autres secteurs gouvernementaux ont protesté contre les attaques du gouvernement plus tôt cette année.

Ce à quoi font face les « déplorables » en France

« C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, » a dit Kevin Meyer, 24 ans, au Wall Street Journal, qui, pour son travail, doit faire la navette de son domicile vers une usine textile de Montferrier, un village situé au pied des Pyrénées. La « goutte » dont il parle, c’est la nouvelle taxe sur les carburants. « La vie dans les zones rurales est déjà difficile. Il y a peu de travail et tous les magasins ferment. »

Le 26 novembre, une réunion nationale des représentants des gilets jaunes a désigné une délégation de huit porte-parole actifs dans les manifestations pour rencontrer Macron et le premier ministre Édouard Philippe. On a alors souligné qu’il ne s’agit pas « de leaders ou de décideurs, mais de messagers. »

Macron a raison sur un point : ces protestations présentent des similitudes avec le Brexit, les récentes élections en Italie et ailleurs dans l’Union européenne qui se désagrège. Il ne s’agit pas d’un grand mouvement des travailleurs vers la droite, mais de travailleurs qui s’efforcent de trouver un moyen de lutter contre les dirigeants capitalistes, leurs partis politiques et l’État.