MONTRÉAL — Les petits agriculteurs devraient-ils compter sur leur gouvernement capitaliste pour adopter des tarifs douaniers protectionnistes afin de défendre leurs intérêts de classe ?
C’est la question que soulevait le cadre politique nationaliste et protectionniste de la manifestation de 5 000 agriculteurs et de leurs sympathisants venus de partout au Québec pour défiler dans le centre-ville de Montréal le 18 novembre. La manifestation s’est déroulée dans le contexte d’une concurrence accrue entre Ottawa, Washington et d’autres puissances capitalistes alors que la crise de la production et du commerce capitalistes se poursuit.
Les agriculteurs sont venus protester contre l’accord commercial signé récemment entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, qui, selon eux, menace le système de gestion de l’offre géré par le gouvernement canadien. Combiné à des droits de douane élevés contre les agriculteurs étrangers, en particulier ceux des États-Unis, ce système fixe des quotas de production pour les producteurs de produits laitiers, d’œufs et de volaille. Il a été créé à la fin des années 1960. Le président des États-Unis Donald Trump a vivement critiqué cette situation, qu’il a qualifiée d’inéquitable pour le commerce de l’industrie laitière aux États-Unis.
La mobilisation était organisée par l’Union des producteurs agricoles, l’organisation des agriculteurs du Québec, dirigée par des capitalistes, ainsi que par des organisations d’employeurs de l’industrie de la transformation des aliments, avec l’appui des syndicats québécois. La marche a été présentée comme un appel des agriculteurs à la solidarité des « consommateurs » urbains pour défendre l’agriculture du Québec, avec comme slogan « Garde-manger en danger. »
En signant l’accord commercial, le premier ministre Justin Trudeau « a capitulé devant Trump et les Américains, », a dit au Militant Bruno Letendre, président de la Fédération des producteurs laitiers du Québec. L’accord commercial ouvre 3,9 pour cent du marché des produits laitiers aux agriculteurs des États-Unis.
La Ligue communiste a profité de l’action pour parler avec les agriculteurs des conditions auxquelles ils font face et discuter avec eux que c’est se leurrer que de voir les patrons et le gouvernement capitaliste comme des alliés. Nous avons plutôt énoncé la nécessité de construire une alliance combative de travailleurs et d’agriculteurs. Nous avons distribué une déclaration à ce sujet publiée en août par Róger Calero, alors candidat du Parti socialiste des travailleurs (SWP) au poste de gouverneur de l’État de New York.
Les membres de la Ligue ont souligné que les dirigeants et leur gouvernement ne s’intéressent qu’aux profits pour leur classe. Ils disent toujours qu’ils travaillent pour « nous », tous les Canadiens, mais c’est un mensonge. Leurs mesures protectionnistes et réglementations reflètent leurs intérêts de classe, non pas les nôtres. Nos alliés sont nos collègues, travailleurs et agriculteurs du monde entier.
Des dizaines de milliers d’agriculteurs s’inquiètent de leur avenir. Depuis des décennies, le fonctionnement du système capitaliste de rentes et d’hypothèques à la campagne a chassé des dizaines de milliers d’agriculteurs de leurs terres et pousser des milliers d’autres à se trouver un emploi à temps partiel pour tenter de couvrir leurs coûts de production et nourrir leur famille.
Depuis 1961, le nombre de fermes au Canada est passé de 500 000 à moins de 200 000. Il y a 29 000 fermes au Québec, dont 5 473 fermes laitières. L’âge moyen des agriculteurs est passé à 55 ans. Les suicides chez les agriculteurs au Québec ont augmenté de façon dramatique.
Cela reflète le fait que les agriculteurs sont divisés en classes. Au sommet, certains « agriculteurs » sont en réalité de très grandes entreprises, qui font des profits aux dépens des petits agriculteurs. Le recours à des contrôles de marché capitalistes tels que le système de gestion de l’offre n’est pas une solution à long ou même à court terme pour les petits agriculteurs, qui constituent la majorité des producteurs laitiers.
Au Québec, pour vendre ses produits, un agriculteur doit payer entre 25 000 et 30 000 dollars canadiens par vache pour obtenir un quota dans le cadre du système de gestion de l’offre. Cela représente plus de deux millions de dollars pour un troupeau moyen de 70 vaches. Des agriculteurs capitalistes fortunés achètent et vendent ces quotas comme des marchandises.
En raison de l’influence politique de l’organisation des agriculteurs, dominée par des capitalistes, la plupart des politiciens bourgeois appuient toujours ce système.
Les agriculteurs à qui nous avons parlé ont décrit certains des problèmes auxquels ils sont confrontés.
« Pour survivre, nous avons besoin de meilleurs prix pour nos produits, » a souligné Karl Botts, un cultivateur de légumes de la région de Montréal. Il a dénoncé les grandes entreprises multinationales du secteur agroalimentaire qui augmentent le prix des machines agricoles, des semences et d’autres intrants et rendent ainsi l’agriculture de plus en plus difficile.
Vincent Chaumont, qui gère une petite ferme laitière avec son père, estime qu’il faut se tourner vers le gouvernement. « Il faut protéger les marchés pour nos produits, a-t-il dit. En Suisse, on ne peut vendre des pommes cultivées à l’étranger que lorsqu’on a vendu toutes les pommes récoltées dans le pays. »
Cours révolutionnaire alternatif
Dans sa déclaration, le SWP propose aux petits exploitants une ligne de conduite indépendante face aux monopoles de l’industrie agroalimentaire, les banques et leur gouvernement.
« Face à la ruine financière d’un nombre croissant d’agriculteurs, le mouvement syndical doit exiger que le gouvernement leur garantisse de recevoir leurs coûts de production, y compris des frais de subsistance adéquats, » disait la déclaration.
« Les travailleurs et les agriculteurs, qui produisent toutes les richesses, sont exploités de manières différentes, mais par les mêmes familles capitalistes et leur gouvernement. Nous avons un intérêt commun à forger une alliance capable de mobiliser des millions de personnes, de renverser leur régime et d’établir notre propre gouvernement.
« Les travailleurs et agriculteurs aux États-Unis peuvent beaucoup apprendre du programme révolutionnaire et du cours suivi par les travailleurs et les paysans cubains qui ont renversé en 1959 la dictature de Fulgencio Batista, que soutenait le gouvernement US. Avec une telle direction, nous pouvons prendre notre destin en main. »
Paul Kouri a contribué à cet article.