La crise politique du « Brexit » des dirigeants capitalistes du Royaume-Uni se poursuit

Ögmundur Jónsson
le 4 février 2019

MANCHESTER, Angleterre — Un accord, « qui n’a de Brexit que le nom, » négocié par le gouvernement du Royaume-Uni avec l’Union européenne pendant deux ans et demi a été rejeté à une écrasante majorité à la Chambre des communes le 15 janvier. Ceci reflète la crise politique profonde des dirigeants capitalistes ici.

Rares sont ceux dans les partis politiques capitalistes qui sont favorables à une rupture avec l’UE. Le prédécesseur de la première ministre Theresa May, l’ancien premier ministre David Cameron du Parti conservateur, avait soumis au vote la proposition de quitter l’UE dans l’espoir qu’elle serait défaite. Au lieu de cela, elle est passée avec un appui important des travailleurs, qui en ont assez des effets sur eux de la crise actuelle du capitalisme.

Des factions rivales de tous les partis capitalistes continuent de s’affronter sur la façon de négocier la relation des dirigeants du Royaume-Uni avec leurs rivaux européens face au déclin précipité du capitalisme britannique sur la scène mondiale. La première ministre Theresa May veut maintenir une forme d’affiliation à l’UE même après le 29 mars, la date butoir pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE ; d’autres essaient de manœuvrer au-delà des lignes des partis afin de récolter suffisamment de votes pour rester au sein du marché unique ou pour annuler carrément le résultat du référendum.

Ils frémissent à l’idée d’une rupture nette avec leurs rivaux sur le continent, qui sont aussi leurs alliés. Une rupture définitive placerait les travailleurs du Royaume-Uni en meilleure position pour défendre leurs propres intérêts contre leur ennemi principal, les dirigeants capitalistes au Royaume-Uni.

La pression augmente au sein de la classe possédante et de ses porte-paroles au Parlement pour un report d’échéance à mesure que s’approche la date limite du Brexit, avec ou sans accord. Des députés du Parti travailliste et au sein même du gouvernement de Theresa May cherchent un appui multipartite en faveur d’un projet de loi qui obligerait le gouvernement à demander une prolongation de neuf mois, tandis que des responsables de l’UE seraient en train de préparer des propositions pour que la Grande-Bretagne maintienne une adhésion « payée au fur et à mesure » pendant que les pourparlers s’éternisent.

Le lendemain de la défaite du gouvernement, le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn a présenté une motion de « non-confiance » envers le gouvernement, qui a également été défaite. Corbyn a ensuite refusé l’invitation de Theresa May à des pourparlers multipartites à moins, a-t-il dit, qu’elle n’exclue « la menace d’un résultat « sans accord » catastrophique. »

Dans une lettre à la première ministre, il a réitéré l’appel à « une nouvelle union douanière globale entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ; un accord solide sur le marché unique ; et des garanties qu’il ne peut y avoir de nivellement par le bas des droits et des normes. » Jeremy Corbyn, à l’instar de nombreux libéraux et radicaux de la classe moyenne, met de l’avant la notion erronée que ce qui peut protéger les droits des travailleurs, c’est la réglementation européenne et non pas les luttes de la classe ouvrière.

Jeremy Corbyn a ses propres défis de direction. Certains membres éminents du Parti travailliste ont rompu les rangs et rencontré Theresa May. D’autres demandent au parti de réclamer un nouveau référendum. Des dizaines de milliers de membres ont quitté le parti ces derniers mois.

Les travailleurs acclament un appel à la fin des tergiversations

Invitée au talk-show politique de la BBC « Heure des questions » le 17 janvier, la journaliste Isabel Oakeshott a soutenu que Theresa May devrait tout simplement tourner le dos à l’UE. Lorsqu’on lui a demandé si elle voulait vraiment dire que le Royaume-Uni devrait quitter avec ou sans accord, elle a dit oui. Le public l’a immédiatement acclamée.

« Ces acclamations, d’un auditoire dans la ville majoritairement ouvrière et de tendance travailliste de Derby, » a écrit Brendan O’Neill dans le Spectator, « étaient un rappel brutal qu’il y a des gens, un très grand nombre de personnes, qui ne partagent pas la crainte d’un non-accord de la classe politique.

« C’était une déclaration, une assertion retentissante et rebelle de l’attachement profond et continu de la population à l’idée de sortir de l’Union européenne, avec ou sans accord. »

Lorsque les membres de la Ligue communiste discutent avec d’autres travailleurs d’une voie en avant face à la crise économique et sociale prolongée, ils expliquent pourquoi l’appartenance à l’UE sous toutes ses formes est un coup porté aux intérêts des travailleurs. « Ils parlent d’un accord, mais ce pour quoi les gens ont voté était de sortir, » a affirmé Pete Clifford, membre de la LC, à Rebecca Murphy au seuil de sa porte à Wythenshawe, dans le sud de Manchester.

Le « débat » des politiciens à propos du Brexit est difficile à suivre, a-t-elle dit. « J’ai voté pour rester, mais je crois que nous serons bien d’une manière ou d’une autre. »

« Avec le Royaume-Uni hors de l’UE, a répondu Pete Clifford, la véritable lutte deviendra plus claire, c’est-à-dire quelle classe contrôle le pays. »

« En ce moment, ce sont les riches, » a-t-elle poursuivi.

« Oui et ce sont les véritables ennemis que nous devons affronter, a-t-il ajouté. Les travailleurs doivent prendre le pouvoir politique ici au Royaume-Uni. »

Comme de nombreux travailleurs, Rebecca Murphy a souligné qu’elle suivait les actions des gilets jaunes menées par les travailleurs en France. Pete Clifford a renchéri : « Ils ont besoin de notre solidarité. »

Inspirés par les manifestations des gilets jaunes

Le 19 janvier, pour la dixième semaine d’affilée, des dizaines de milliers de travailleurs, d’agriculteurs et de petits propriétaires français ont participé à des manifestations aux quatre coins de la France.

Éric Drouet, un chauffeur de camion de Melun, à l’est de Paris, un des initiateurs et dirigeants du mouvement des gilets jaunes, a pris part à la manifestation à Paris. Il a été arrêté le 2 janvier lors des mesures répressives contre les manifestants prises par le gouvernement du président français Emmanuel Macron. Les gilets jaunes l’appellent le « président des riches. »

« Il n’y a jamais rien eu comme ce mouvement, a précisé Éric Drouet au Militant. Ce sera difficile, et nous ne gagnerons pas en une seule journée. Mais c’est un mouvement qui prendra de l’ampleur. »

Cela donne froid dans le dos aux dirigeants en France et dans toute l’Europe, y compris au Royaume-Uni. Ils voient dans ses manifestations, et dans les travailleurs au Royaume-Uni qui exigent que les dirigeants britanniques « sortent » de l’UE, la désintégration de la mal nommée « Union » européenne. Ce bloc, formé au nom d’une protection accrue pour faire concurrence aux patrons américains dominants, est un outil pour enrichir les dirigeants en Allemagne et, dans une moindre mesure, à Paris. Ils l’utilisent pour siphonner les profits de leurs rivaux en Grèce, en Espagne, en Italie et d’autres « partenaires » capitalistes faibles.

Ceux qui paient le plus lourd tribut pour les conflits des dirigeants sont les travailleurs partout dans le monde.