MONTRÉAL — En scandant : « Un, deux, trois, annulez cette loi, » plusieurs milliers de personnes ont défilé à Montréal le 7 avril pour protester contre le projet de loi 21 dans le cadre d’une action organisée par le Collectif canadien de lutte contre l’islamophobie. Le projet de loi, qui a été déposé à l’Assemblée nationale du Québec le 28 mars par le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusivité du Québec, Simon Jolin-Barrette, interdirait à de nombreux travailleurs du secteur public de porter des symboles religieux au travail. Il est intitulé « Loi sur la laïcité de l’État. »
Le premier ministre du Québec, François Legault, dont le parti de la Coalition pour l’avenir du Québec dirige le gouvernement, avait annoncé après son élection en octobre dernier qu’il présenterait une telle loi.
Cette législation réactionnaire interdirait le port de signes religieux par des fonctionnaires qui occupent des « postes d’autorité, » dont les enseignants au primaire et au secondaire et les employés municipaux ; ainsi que les policiers, les procureurs de la Couronne et les gardiens de prison.
En réponse à l’opposition généralisée à cette atteinte à la liberté de pratiquer une religion, le projet de loi comporte une « clause de droits acquis » qui permettrait aux travailleurs déjà employés portant des symboles religieux de conserver leur poste, tout en les empêchant de changer d’emploi. La loi interdirait à tous les nouveaux travailleurs de porter le hijab ou tout autre vêtement ou symbole religieux.
Mais ces concessions n’ont pas réussi à réprimer l’indignation générale face à cette attaque contre un droit démocratique fondamental. Les musulmans, dont beaucoup sont des femmes qui portent le hijab et sont particulièrement visées par la loi, étaient la majorité des manifestants. Mais un nombre considérable de Sikhs vêtus de turban et de juifs portant la kippa se sont joints à eux. Beaucoup d’autres, sans appartenance religieuse apparente, ont également participé.
En plus d’un océan de signes imprimés marqués d’un X rouge par-dessus les mots « projet de loi 21, » il y avait aussi de nombreuses pancartes faites à la main dont certaines disaient : « Libérez-nous des nids-de-poule, pas des femmes voilées » ou « Non à la fausse laïcité. Ma religion, ma liberté. » De nombreux signes étaient en français d’un côté et en anglais de l’autre.
« Je suis ici pour préserver un droit fondamental. Ce n’est pas à la législature de nous dire ce que nous portons ou ce que nous enlevons, » a dénoncé Yous Mohamed, un ingénieur électricien dans une usine d’aéronautique non syndiquée, aux membres de la Ligue communiste qui se sont joints à l’action. « Cela n’a aucun sens. Je fais mon travail comme tout le monde, » a exprimé Radia Rahmani, technicienne de laboratoire dans un hôpital. « Je ne vois pas en quoi mon voile pourrait déranger qui que ce soit. »
Débat entre les travailleurs
Le 3 avril, quelque 200 enseignants, étudiants et membres de la communauté ont organisé une autre manifestation contre le projet de loi. Une chaîne humaine a été formée à l’extérieur des portes de l’école secondaire Westmount High, obligeant l’administration à retarder de près d’une heure le début de la journée scolaire. « Aucun Québécois ne devrait avoir à choisir entre sa carrière et sa foi!!! » disait une des pancartes bien en vue.
Au moins deux commissions scolaires montréalaises ont déclaré qu’elles refuseront d’appliquer la loi et l’association municipale qui regroupe 14 banlieues de Montréal exige que la loi ne s’applique pas à ses travailleurs. Parmi les autres opposants à la loi, on retrouve la Fédération des femmes du Québec, le Conseil du travail de Montréal de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et la mairesse de Montréal Valérie Plante.
Le premier ministre François Legault soutient que la loi 21 reflète ce que « veulent la grande majorité des Québécois. » La Coalition pour l’avenir du Québec justifie la loi avec des arguments relatifs au « caractère distinct du Québec, » avec des sous-entendus qui ciblent le nombre croissant de musulmans et d’autres immigrants au sein de la classe ouvrière de la province. Elle s’inspire de la campagne réactionnaire antérieure menée par le Parti québécois (PQ) lorsqu’il était au pouvoir et faisait la promotion de la « Charte des valeurs québécoises, » une politique anti-immigrante. Celle-ci a été l’une des causes de la défaite du PQ lors des élections de 2014.
Lors de porte-à-porte pour présenter la Ligue communiste et ses activités, les membres de la Ligue ont soulevé la nécessité de lutter contre cette mesure réactionnaire avec des travailleurs dans toute la province. Les travailleurs sont divisés sur la question.
À Farnham, le 10 avril, le chauffeur de camion à la retraite Michel Plouffe a souligné à ce travailleur-correspondant qu’il croyait que le projet de loi était nécessaire pour maintenir la séparation entre l’État et la religion. « Pratiquer votre religion à la maison, pas dans la rue, » a-t-il affirmé.
À Trois-Rivières, une heure et demie au nord-est de Montréal, l’enseignante Elisabeth Lenormand n’était pas d’accord. La loi « pénaliserait des femmes qui ont acquis un certain degré d’autonomie grâce à leur travail et elle pénaliserait les immigrants, » a-t-elle dit au Militant le 30 mars.
Katy LeRougetel et Marie-Claire David ont contribué à cet article.